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ABBREGE' ABBREGE' DE LART
POETIQVE FRANÇOIS.
P A R P. DE RONSARD, GENTIL¬
HOMME VENDOMOIS.
A ALPHONSE D E L3 E N E , A3 B E'
de Haute- combe en Sauoye.
O M b i e n que l'art de Poëfie ne fe puiffe par préceptes com¬
prendre ny enfeigner pour eftre plus mental que traditif : toutes-
fois d'autant que l'artifice humain , expérience & labeur le peuuent
permettre, i'ay bien voulu t'en donner quelques reiglesicy,àfin
qu'vn iour tu puiffes eftre des premiers en la cognoiffance d'vn fi
aggreable meftier, à l'exemple de moy qui confeffe y eftre affez
paffablement verfé. Sur toutes chofes tu auras les Mufes en reuerence, voire en
îinguliere vénération, & ne les feras iamais feruir à chofes des-honneftes, à rifées,
ny à libelles iniurieux , mais les tiendras chères Se facrees , comme les filles de
Iupiter, c'eft à dire, de Dieu, qui de fafainde grâce a premièrement par elles fait
cognoiflre aux peuples ignoransles excellences de fa majeflé. Car la Poëfie n'e¬
ftoit au premier âge qu'vne Théologie allégorique, pour faire entrer au cerueau
des hommes groffiers par fables plaifantes Se colorées les fecrets qu'ils ne pou-
uoient comprendre, quand trop ouuertement on leur defcouuroit la vérité. On
ditqu'EumolpeCecropien, Line maiflre d'Hercule, Orphée, Homère, Hefiode
inuenterent vn fi doux allechement. Pour cefte caufe ils font appeliez Poètes di¬
uins, non tant pour leur diuin efprit qui les rendoit fur tous admirables Se excel-
lens, que pour la conuerfation qu'ils auoient auecques les Oracles, Prophètes, De¬
uins, Sibylles, interprètes de fonges,defquelsilsauoientapprislameilleurepartde
ce qu'ils fçauoient : car ce que les Oracles difoient en peu de mots , ces gentils per~
fonnagcsl'amplifioient, coloroient Se augmentoient, eftans enuers le peuple ce que
les Sibylles & Deuins eftoient en leur endroit. Long-temps.apres eux font venus
d'vnmeftne pais les féconds Poètes, que f appelle humains, pour eftre plus enflez
d'artifice Se labeur que de diuinité. A l'exemple de ceux-cy, les Poètes Romains ont
foifonné en telle formiliere, qu'ils ont apporté aux Libraires plus de charge que
d'honneur, excepté cinq ou fix,defquels la dodrine, accompagnée d'vn parfait
artifice, m'a toufiours tiré en admiration. Or pour-ce que les Mufes ne veulent
loger en vne ame fi elle n'eft bonne, fainde Se vertueufe ; tu feras de bonne nature,
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