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ÀBBREGÈ' DE L'ART POETlQVÈ; t&?
non mefchant,refrongné,ne chagrin : mais animé d'vn gentil cfprit,rie laifferas tieri
entrer en ton entendement qui ne foit fur-humain & diuin. Tu auras en premier
lieu les conceptions hautes , grandes, belles , Se non trainantes à terre. Car le princi¬
pal poindeftl'inuention, laquellevient tant delà bonne nature, que par laleçon
des bons Se anciens Autheurs. Et fi tu entreprens quelque grand uuure, tu te mon-
flreras religieux & craignant Dieu, le commençant ou parfon nom, ou par vn au¬
tre qui reprefentera quelque effed de fa Majeflé, à l'exemple des Poètes Grecs,
M&i» £'&/& V'.Af^ct^î èWs [M>vczt. E* SxU df^fittdv.. A^Vs do (poZs. Et nos
Romains , JEneadum genitrix. Mufia mihi caufios memora. Car les Mufes, Apollon,
Mercure, Pallas Se aurres telles Deïtez ne nous reprcfcntent aurre chofe que les
puiffances de Dieu, auquel les premiers hommes auoient donné plufieurs noms
pour les diuers effeds de fon incomprehenfible Majeflé. Et c'efl auffi pour te mon¬
ftrer que rien ne peut eftre ny bon,ny parfait,fi le commencement ne vient deDieu.
A près tu feras ftudieux de laledure des bons Poëtes , Se les apprendras par c au¬
tant que tu pourras.Tu feras laborieux à corriger Se limer tes vers,& ne leur pardon¬
neras non plus qu'vn bon iardinier à fon ante , quand il la voit chargéede branches
inutiles ou de bien peu de profit.Tu conuerferas doucement & honneftement auec
les Poëtes de ton temps : tu honoreras les plus vieux corne tes pères, tes pareils com¬
me tes frères, les moindres comme tes enfans, Se leur communiqueras tes eferits : car
tu ne doisiamais rien mettre en lumière qui n'ait premièrement efté veu Se reueu
de tes amis, que tu eftimeras les plus experts en ce meftier, à fin que par telles con-
iondions, Se familiaritez d'efprits auecques les lettres & la bonne nature que tu
as, tu puiffes facilement paruenir au comble de tout honneur, ayant pour exem¬
ple domeftique, les vertus de ton perc, qui non feulement a furpafTé en fa langue
Italienne les plus eftimez de ce temps, mais encores a fait la vidoire douteufe
entre luy & ceux qui efcriuentauiourdhuy le plus purement Se dodement au vieil
langage Romain. Or pour ce que tu as déjà la cognoiffance de la langue Grecque
Se Latine, Se qu'il ne te refte plus que la Françoifè,laquelle te doit eflre d'autant plus
recommandée qu'elle t'eft maternelle :ie te diray en peu de parolles ce qui me fem¬
ble le plus expédient, Se fans t'efgarer par longues Se fafcheufes forefts,ie te mene-
ray toutdroid parle fentierquei'auray cogneu le plus court, àfinqu'aifémenttu
regagnes ceux qui s'eftans les premiers mis au chemin, te pourroient auoir aucu¬
nement deuancé. Tout ainfi que les vers Latins ont leurs pieds, comme tu fçais,
nous auons en noftre Poëfie Françoife , de laquelle ie veux icy traider, vne certainc
mefure de fyllabes, félon ledeffein des carmes que nous entreprenons compofer,
qui ne fe peut outrcpafferfansoffenferla loy de noftre vers,defquelle$ mefures &.
nombre de fyllabes, nous traiterons après plus amplement. Nous auons aufïi vne
certaine cefure de la voyelle , e , laquelle fe mange toutes les fois qu'elle eft rencon¬
trée d'vne autre voyelle ou diphthongue , pourueu que la voyelle qui fuit, e,
n'ait point la force de confone. Apres à l'imitation de quelqu'vn de ce temps,
tu feras tes vers mafeulins Se fminins tant qu'il te fera poffible , pour eftre
plus propres à la Mufique Se accord des inftrumens, en faueur defquels il fem¬
ble que la Poëfie foit née :car la Poëfie fans les inftrumens, ou fans la grâce d'v¬
ne feule, ou plufieurs voix n'eft nullement aggreable, non plus que les inftru¬
mens fans eftre animez de la mélodie d'vne plaifante voix. Si de fortune tu as
compoféles deux premiers vers mafeulins , tu feras les deux autres f¢minins, Se
paracheucras de mefme mefure le refte de ton Elégie ou Chanfon, à fin que les Mu-
. ficiens les puiffent plus facilement accorder. Quant aux vers Lyriques, tu feras le
premier couplet à ta volonté, pourueu que les autres fuiuent- la trace du premier.
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