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^o ABBREGE' DE. L'ART POETIQUE.
DE LA POESIE EN GENERAL.
f&g; V dois fçauoir fur toutes chofes que les grands Poëmes ne fe comme ncentià-
Sfêf mais par la première occafiondufait,ny nefont tellement accomplis, que le
Lecteur efpris de plaifir n'y puiffe encores defircr vne plus longue fin: mais les bons
ouuricrs le commencent par le milieu, Se fçauentfi bien joindre le commence¬
ment au milicu,& le milieu à la fin, que de telles pièces rapportées, ils font vn corps
entier Se parfait. Tu ne commenceras iamais le difcours d'vn grand Poone, fil
n'eft efloigné delà mémoire dcshomrnes,&pourcetuinuoqueraslaMufc,quifc
fouuientdetout, comme DéefTe, pour te chanter les chofes dont les hommes ne
fe peuuent plus aucunement fouuenir. Les autres petits Poëmes veulent eftre abruptement
commencez, comme les Odes Lyriques, àla compofitiondefqueîs ie te
confeille premièrement t'exerciter,te donnant de garde fur tout d'eftre plus verfificateur
que Poète: Car la fable &fidion eft ie fujet des bons Poëtes, qui ont efté
depuis toute mémoire recommandez de la pofterité:& les vers font feulement le
but de l'ignorant verfificateur, lequel penfe auoir fait vn grâdchef-d'ruure,quand
il a compofé beaucoup de carmes rymez,qui fentent tellement la Profe , que ie fuis ,
efmerueillé comme nos François daignent imprimer telles drogueries , à la confu-
fion des Autheurs,& de noftre nation, ie te dirois icy particulièrement les propres *
fujets d'vn chacun Poëme,fitu n'auoisdefïaveul'ArtPoëtique d'Horace &d'Ariftote,aufquels
ie te cognois affez médiocrement verfé. le teveux aduertir de fuir les
Epithetes naturels qui ne feruent de rien à la fentence de ce que tu veux dire,comme
la riuiere courante, la verde ramée : Tes Epithetes feront recherchez pour lignifier , SS,
non pour remplir ton carme, ou pour eftre oifeuxen ton vers : Exemple , Le Ciel
voûté encerne tout le Monde. I'ay dit vouté,& nonardant,clair ny haut,ny azuré,d'au-
tantqu'vne voûte eft propre pour embraffer & encerner quelque chofe»Tu pour*
ras bien dire, Le bateau va defjur l'onde coulante. Pource que le cours de l'eau fait cou¬
ler le bateau. Les Romains ont efté tres-curieux obferuateurs de cefte reigle, & en¬
tre les autresVirgile Se Horacedes Grecs,comme en toutes cho fes appartenantes aux
vers, y ont efté plus libres, & n'y ontaduifé de fi prés. Tu fuiras auffi la manière de
compofer des Italiens en ta langue,qui mettent ordinairement quatre ou cinq Epi¬
thetes les vns après les autres en vn mefme vers, comme alma,bella,Mgdica yfortunata
donna. Tu vois que tels Epithetes font plus pour ampouller& farder les vers que
pour befoin qu'il en foit : bref, tu te contenteras d'vn Epithete , ou pour le moins de
deux, fi ce n'eft quelques-fois par gaillardife qu'en mettras cinq ou fix, mais fi tu -
m'en crois cela t'aduiendra le plus rarement que tu pourras.
DE LA RYME.
A Ryme n'eft autre chofe quVne confonance Se cadance de fyllabes, tom-
^bantes fur la fin des vers, laquelle ie veux que tu obferues tant aux mafeulins
qu'aux fminins, de deux entières Se parfaites fyllabes, ou pour le moins d'vne aux
mafeulins, pourueu qu'elle foit refonante,& dvn fon entier & parfait. Exemple des
i&twnins,fr4nce,ef]>eranceAefience,negligence,familierefi^
des mafeulins, fiurmonter,monter, douterffiauter, Iupiter. Toutes-fois tu feras plus foi-
gneux delà belle inuention Se des mots,que de la rymejaquelle vient affez aifément
d'elle-mefme, après quelque peu d'exercitation.
© Centre d'Études Supérieures de la Renaissance - Tours