Quelle place pour la puissance publique - Claude Rochet
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IHESI – 14 ème SNE – 2002/2003 – GDS n° 1 : "Entreprises et intelligence économique –<br />
<strong>Quelle</strong> <strong>p<strong>la</strong>ce</strong> <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>puissance</strong> <strong>publique</strong> ?"<br />
reproduisent l’article du « Monde » et invitent à <strong>la</strong> défiance contre les dirigeants. Les<br />
distributeurs de tracts se révèlent être des « sans-papiers » qui avaient été payés par des<br />
inconnus <strong>pour</strong> cette mission.<br />
Coups de téléphone anonymes, rumeurs, suspicion deviennent le lot quotidien de<br />
l’entreprise où l’inquiétude est à son comble, beaucoup d’ingénieurs ayant acquis des<br />
actions de <strong>la</strong> firme. L’offensive externe fait le lien avec les facteurs de mécontentement<br />
interne. « Le Monde » a en fait été renseigné par trois cadres de <strong>la</strong> direction, mécontents<br />
de leur sort et désireux d’en découdre avec elle. Ils seront démasqués et mis à pied et<br />
une p<strong>la</strong>inte récapitu<strong>la</strong>nt une longue liste de délits est actuellement à l’instruction à leur<br />
encontre.<br />
Le catalogue des mesures utilisées <strong>pour</strong> déstabiliser <strong>la</strong> firme est en réalité assez<br />
c<strong>la</strong>ssique : rumeurs externes, utilisation des mécontentements internes et des rivalités<br />
entre cadres dirigeants, harcèlement, faux chasseurs de tête <strong>pour</strong> « debriefer » des<br />
cadres mécontents ou répandre de fausses informations auprès de postu<strong>la</strong>nts par nature<br />
nombreux et de très haut niveau dans ce type de firme. Le but est d’empêcher <strong>la</strong><br />
direction de travailler, de <strong>la</strong> discréditer et de permettre une prise de pouvoir par<br />
l’intérieur tandis que <strong>la</strong> chute des cours permet un ramassage systématique et anonyme<br />
en bourse.<br />
Rien de fondamentalement irrégulier n’a été trouvé dans les comptes de <strong>la</strong> firme, mais<br />
compte tenu du discrédit des sociétés d’audit depuis l’affaire Enron, il est très facile de<br />
répandre, sans contrepartie possible, des rumeurs sur les engagements hors bi<strong>la</strong>n. Après<br />
l’euphorie de <strong>la</strong> bulle internet qui a poussé les dirigeants des plus grandes firmes à se<br />
<strong>la</strong>ncer dans des aventures insensées, il est assez probable de pouvoir trouver dans les<br />
comptes de n’importe quelle société des opérations à <strong>la</strong> marge de <strong>la</strong> régu<strong>la</strong>rité<br />
comptable qui amènent à passer des provisions. Celles-ci se conjuguant à <strong>la</strong> chute du<br />
marché, alimentent <strong>la</strong> baisse des cours <strong>pour</strong> le plus grand profit des raiders.<br />
Quel est l'enjeu ? Pourquoi Altran est-elle un objet de convoitise qui motiverait un tel<br />
désir de conquête ou, à défaut, de destruction ?<br />
Au delà de <strong>la</strong> success story boursière, le modèle d’activité d’Altran est très original :<br />
basé sur <strong>la</strong> créativité collective, il permet de concevoir des solutions particulièrement<br />
innovantes et proactives <strong>pour</strong> les clients. Altran n’est pas une SSI qui produit du<br />
software où les ingénieurs sont plus ou moins interchangeables : son métier est le<br />
brainware qui repose sur un mode d’organisation bien spécifique privilégiant <strong>la</strong><br />
créativité, <strong>la</strong> production d’intelligence collective, où les carrières sont gérées à long<br />
terme selon le triptyque « Hire them, Mind Them, Keep them ». La conception des<br />
re<strong>la</strong>tions sociales à <strong>la</strong> française, qui privilégie <strong>la</strong> recherche du consensus et les carrières,<br />
est un avantage par rapport à <strong>la</strong> conception américaine qui privilégie les turn-over<br />
rapides et donc <strong>la</strong> destruction de <strong>la</strong> mémoire collective.<br />
Le principal levier de création de valeur de ce genre de firme est donc non<br />
technologique et réside dans <strong>la</strong> culture organisationnelle. Pour s’emparer du savoir-faire<br />
d’une firme comme Altran, il est vain de songer à débaucher les ingénieurs : <strong>la</strong> culture<br />
tacite se copie très difficilement. Dès lors, soit on parvient à discréditer <strong>la</strong> direction<br />
générale <strong>pour</strong> prendre le contrôle de <strong>la</strong> firme en conjuguant subversion interne et<br />
attaque externe sur le capital – ce qui est arrivé à GemPlus – soit, par les mêmes<br />
moyens, on détruit <strong>la</strong> firme et <strong>la</strong> concurrence qu’elle représente.<br />
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