IJCS/RIÉCRebutée par c<strong>et</strong> univers, Cather<strong>in</strong>e voudra se libérer. Sa rencontre ave Bruno,l’authentique « Autre » de ce roman, lui en fournira l’occasion.Près du port, elle croisa le jeune homme qui rentrait avec despêcheurs. Il regarda Cather<strong>in</strong>e, longuement, avec attention, sanssourire 42 .Avec lui, sur <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ge où sous le soleil « l’amour fût donné si gratuitement 43 .»Bruno ouvre à Cather<strong>in</strong>e un monde nouveau, celui des joies familières dans <strong>la</strong>chaleur d’un amour quotidien. Un soir, Bruno <strong>et</strong> Cather<strong>in</strong>e veillent <strong>la</strong> servanteà l’agonie comme s’ils préparaient ensemble l’enterrement du passé deCather<strong>in</strong>e <strong>et</strong> son nouveau départ.Cather<strong>in</strong>e <strong>et</strong> Bruno veillèrent <strong>la</strong> servante pendant deux jours <strong>et</strong> deuxnuits... La femme regarda Cather<strong>in</strong>e, murmura encore... <strong>et</strong> ellemourut 44 .A<strong>in</strong>si, Cather<strong>in</strong>e échappe à l’univers étrange <strong>et</strong> froid de Michel. Qu<strong>and</strong> elle seprésente devant Michel pour lui faire ses adieux, elle lui rem<strong>et</strong> l’anneau,symbole de <strong>la</strong> prisonnière.— Voici l’anneau, Michel, l’anneau que tu m’avais donné.Et elle le lui mit dans <strong>la</strong> ma<strong>in</strong> 45 .* * *Tout comme <strong>la</strong> nouvelle de Kenzaburo Oé, le roman d’Anne Hébert exploite l<strong>et</strong>hème de <strong>la</strong> c<strong>la</strong>ustration auquel se mêle celui de l’apparition de l’Autre. Dans lecas d’Anne Hébert, ces deux motifs sont cependant superposés, ce qui renforcel’eff<strong>et</strong> artistique de son roman.Par ailleurs, Anne Hébert s’attarde plus longuement aux aspectspsychologiques <strong>et</strong> existentiels de ses personnages. Par exemple, Michel estqualifié d’« homme à <strong>la</strong> fois pris dans l’existence <strong>et</strong> exilé de l’existence,déchiré entre <strong>la</strong> nécessité d’être <strong>et</strong> l’impossibilité d’être 46 ».On peut aussi penser que <strong>Les</strong> chambres de bois évoque <strong>la</strong> quête d’un autremonde af<strong>in</strong> d’échapper à l’étouffement de <strong>la</strong> c<strong>la</strong>ustration, tout comme leQuébec d’alors cherche à sortir d’un long repliement historique sur lui-mêmeen s’exposant à l’afflux des nouvelles valeurs 47 .Si <strong>la</strong> nouvelle de Kenzaburo Oé se term<strong>in</strong>e de façon plutôt pessimiste, le rom<strong>and</strong>’Anne Hébert <strong>la</strong>isse po<strong>in</strong>dre à <strong>la</strong> f<strong>in</strong> une lueur d’espoir.108
La c<strong>la</strong>ustration dans l’oeuvre de Kenzaburo Oé<strong>et</strong> dans celle d’Anne HébertIII — ConclusionL’examen que nous avons fait du cadre <strong>et</strong> des thèmes qu’ont exploitésKenzaburo Oé <strong>et</strong> Anne Hébert dans Gibier d’élevage <strong>et</strong> <strong>Les</strong> chambres de bois,respectivement, nous aura, je crois, permis de m<strong>et</strong>tre en relief leurs profondescorrespondances.Bien que ces oeuvres diffèrent sensiblement sur les p<strong>la</strong>ns du style <strong>et</strong> desstructures, toutes deux ont pour motifs centraux <strong>la</strong> découverte de l’Autre <strong>et</strong> <strong>la</strong>c<strong>la</strong>ustration.Voici, sous forme de schéma, <strong>la</strong> structure de chaque oeuvre.SchémaGibier d’élevageKenzaburo OéLa c<strong>la</strong>ustration<strong>Les</strong> chambres de boisAnne HébertLa c<strong>la</strong>ustrationun vil<strong>la</strong>ge isolé pays de l’appartementCather<strong>in</strong>ede Michell’univers des enfants<strong>la</strong> maison deMichel <strong>et</strong> Lia« Autre »: le soldat noir « Autre » 1 : « Autre » 2 :Cather<strong>in</strong>eBrunoRappelons en outre que l’état de c<strong>la</strong>ustration, commun aux deux oeuvres,correspond aux réalités historiques de deux peuples engagés dans une péniblemutation.Sur le p<strong>la</strong>n psychologique, l’effondrement du royaume de l’enfance angoissepareillement les protagonistes. Dans Gibier d’élevage, « Je » dit au début durécit :Nous étions, mon frère <strong>et</strong> moi, deux menues gra<strong>in</strong>es prisonnièresd’une enveloppe dure <strong>et</strong> d’une pulpe ne se <strong>la</strong>issaient pas pénétrer par<strong>la</strong> guerre 48 .Et à <strong>la</strong> f<strong>in</strong>, il murmure avec amertume :109