<strong>Les</strong> autochtones dans <strong>la</strong> chanson canadienne-française<strong>Les</strong> frère <strong>et</strong> soeur Ségu<strong>in</strong> qui prennent Vigneault <strong>et</strong> Brel comme exemple 59 ontcréé, avec c<strong>et</strong>te chanson de jeunesse (dont Franc<strong>in</strong>e Hamel<strong>in</strong> n’est pas encore<strong>la</strong> parolière) plus qu’une composition réussie, un mé<strong>la</strong>nge de « folk » <strong>et</strong> « folkrock » « où les rythmes amér<strong>in</strong>diens affrontent les rythmes les pluscontempora<strong>in</strong>s du rock » 60 . Très spontanément <strong>et</strong> avec l’enthousiasme de <strong>la</strong>jeunesse, ils ont pris position dans le débat de <strong>la</strong> Baie-James :Moi, explique Marie-C<strong>la</strong>ire, ça m’a complètement bouleversée [...].On avait beso<strong>in</strong> de le crier [...]. Très fort. Parce que c’est une affairequ’on avait vraiment vécue en dedans de nous autres, même si onpouvait pas se m<strong>et</strong>tre à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce des victimes. 61Et bien que les Ségu<strong>in</strong>, dans l’ensemble, s’engagent mo<strong>in</strong>s dans <strong>la</strong> chansonpolitique que dans <strong>la</strong> chanson qui célèbre <strong>la</strong> nature, l’écologie <strong>et</strong> un bril<strong>la</strong>ntmonde nouveau, « Sam Ségu<strong>in</strong> » fut le gr<strong>and</strong> succès du « Spectacle de défensepour <strong>la</strong> Baie-James » en 1973. 62 Tous les pr<strong>in</strong>cipaux po<strong>in</strong>ts criticables duproj<strong>et</strong> y sont résumés dans toute leur acuité.Avec ce texte nous <strong>la</strong>issons 1973 derrière nous <strong>et</strong> nous tournons à nouveau versGilles Vigneault <strong>et</strong> ses chansons, avec « Faut que je me réveille » (1976) <strong>et</strong> « Laquête du pays » (1976). La première, courte <strong>et</strong> extrêmement « élémentaire »,tourne beaucoup mo<strong>in</strong>s que « Sam Ségu<strong>in</strong> » autour des requêtes des m<strong>in</strong>oritésautochtones, que autour du fait que « Dans tout québécois/ Un hommesommeille » 63 , qu’il faut réveiller. Dans une <strong>in</strong>terview Vigneault fait remonter<strong>la</strong> chanson de façon directe aux changements politiques de 1976 qui luiauraient montré « qu’ils [les Québécois] avaient pris conscience desproblèmes qu’ils avaient à résoudre » <strong>et</strong> « que les choses n’étaient plus cequ’elles étaient auparavant ». 64 Mais l’Iroquois aussi, l’observateur mu<strong>et</strong> àl’orée des bois qui ne dort qu’en apparence, doit être, selon Vigneault, secouépour être réveillé. Et c’est avec sa voix qui r<strong>et</strong>ient le vent du Nord — ventviolent « qui réveille/Avant d’endormir » — que le moi y parvient.Si dans <strong>la</strong> suite logique de « Tit-Cul Lachance » Iroquois <strong>et</strong> Québécois doiventse réveiller ensemble, <strong>et</strong> si chacun doit se débarrasser de ses raideurs sidiverses, « La quête du pays » ira plus lo<strong>in</strong>. Le Québécois s’est éveillé <strong>et</strong>cherche son pays, son identité. Mais l’Indien aussi est éveillé <strong>et</strong> donne, dans sa<strong>la</strong>ngue, <strong>la</strong> réponse dép<strong>la</strong>isante :Un <strong>in</strong>dien qui passe par làJe l’appelle, viens par ici (bis)Peux-tu me dire comment fairePour trouver mon paysIl s’amène <strong>et</strong> me regardeIl m’écoute <strong>et</strong> puis il ritIl y pense <strong>et</strong> il s’assit137
IJCS/RIÉCEt dans son <strong>la</strong>ngage il me dit:KAISPISH TAKUSHININ UTE TSHINAKATUAPAMITIMAPU NISTUTAMAN TSHEKUAN NIANATUAPATAMINASSI NANATUAPATAMINTSHIN TSHITIPENITENATSHE USAMTSHITSHIMUTAMUTITAN KA IAITUTAMIN NENEDepuis ton arrivéeJ’ai beau t’observerJe ne comprends pas ce que tu cherchesSi c’est le paysTu devrais l’avoirTu me l’as voléJ’me d’m<strong>and</strong>e c’que t’as fait avec ? 65Ce passage, le dernier parmi c<strong>in</strong>q autres construits de façon identique danslesquels alternent le récit <strong>et</strong> le discours, m<strong>et</strong> f<strong>in</strong> à <strong>la</strong> recherche du « pays » queVigneault présente non sans humour : le vois<strong>in</strong> conseille de démolir <strong>la</strong> vieillebicoque car « le pays » se trouve dessous; le nouveau bungalow pourra êtreposé dessus. Le maire conseille de déboiser <strong>la</strong> forêt <strong>et</strong> de sacrifier en touteconfiance l’érable <strong>et</strong> le sap<strong>in</strong> à <strong>la</strong> fabrication du papier. Le prêtre conseille,comme à l’époque de Maria Chapde<strong>la</strong><strong>in</strong>e, de défricher le sol <strong>et</strong> raconte <strong>la</strong>parabole du « riche <strong>la</strong>boureur » qui, sur son lit de mort, prom<strong>et</strong> à ses enfants untrésor caché. F<strong>in</strong>alement le m<strong>in</strong>istre conseille de creuser encore plus <strong>et</strong> c’est làqu’<strong>in</strong>tervient le « ball<strong>et</strong> verbal » de Vigneault. Dans un monologue dramatiquesi caractéristique de <strong>la</strong> production littéraire du pays, 66 l’« habitant » décrit les« fouilles ».Faut que ça soit f<strong>in</strong>i ce soir, puis j’ai f<strong>in</strong>i mon trou. Si t’avais vu çapasser en l’air, ça sortait de d’là, puis ça revo<strong>la</strong>it partout. La roche, lesable, <strong>la</strong> g<strong>la</strong>ise, les cailloux mêlés, les poissons puis les crapauds quirevo<strong>la</strong>ient dans l’air puis qui frayaient avec les canards, puis revolepuis creuse!Un jour on voit arriver des personnages qui ont l’air de touristes <strong>et</strong> quidem<strong>and</strong>ent :si on avait <strong>la</strong> bonté d’envoyer <strong>la</strong> vase, <strong>la</strong> terre sale, <strong>la</strong> mousse, puis lesdéch<strong>et</strong>s, <strong>la</strong> ‘scrap’ vers le nord, he<strong>in</strong> ? Puis l’or, le cuivre, le nickel, lefer <strong>et</strong> le titane vers le sud.Grâce à son esprit de pionnier le moi est promu Gr<strong>and</strong> Général Creuseux,jusqu’au jour où ce n’est plus de <strong>la</strong> terre, mais des hommes qui « sortent du138