22.12.2012 Views

déchets. stigmatisations, commerces, politiques ... - Viva Rio en Haiti

déchets. stigmatisations, commerces, politiques ... - Viva Rio en Haiti

déchets. stigmatisations, commerces, politiques ... - Viva Rio en Haiti

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Elles dép<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t de la région de résid<strong>en</strong>ce du sujet<br />

mais aussi des diverses situations d’interaction<br />

au cours desquelles ce thème est abordé.<br />

Aux yeux de nombreuses institutions, Bel Air<br />

est une région « à problèmes ». La prés<strong>en</strong>ce des <strong>déchets</strong><br />

r<strong>en</strong>forcerait et révèlerait de façon exemplaire<br />

les stigmates qui lui sont associés : la dégradation<br />

<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>tale, sanitaire et sociale ; la viol<strong>en</strong>ce,<br />

le chômage et l’abs<strong>en</strong>ce de l’État. Cette dynamique<br />

stigmatisante générée de l’extérieur se somme à la<br />

description de caractéristiques « sales » du quartier<br />

et se transforme <strong>en</strong> jugem<strong>en</strong>t de valeur à l’égard de<br />

ce que serai<strong>en</strong>t les habitudes « sales » des habitants.<br />

Le « manque d’éducation » et « l’abs<strong>en</strong>ce d’hygiène »<br />

attribués aux habitants sont associés avec les opinions<br />

dépréciatives sur le quartier, ce qui r<strong>en</strong>force<br />

l’idée communém<strong>en</strong>t répandue d’une saleté diffuse,<br />

doublem<strong>en</strong>t stigmatisante, une sorte de diagnostic<br />

sanitaire et de condamnation morale. 8<br />

Les perceptions locales au sujet de la saleté et<br />

des <strong>déchets</strong> interagiss<strong>en</strong>t de façon implicite ou explicite<br />

avec ces stigmates « v<strong>en</strong>us de l’extérieur » 9 .<br />

Il n’est pas rare d’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre de la bouche même des<br />

habitants du quartier des affi rmations ou des comm<strong>en</strong>taires<br />

au sujet des mauvaises habitudes ou du<br />

manque d’éducation d’une population dont ils font<br />

eux-mêmes partie. Si ces thèmes sont abordés,<br />

d’autres questions déplaçant l’axe de cette logique<br />

sont aussi m<strong>en</strong>tionnées par les habitants : ce qui<br />

expliquerait la situation de dégradation serait da-<br />

7 L’équipe de recherche était composée de deux chercheurs<br />

(Federico Neiburg et Natacha Nicaise), un assistant<br />

de recherche (Sergo Jean Louis, étudiant de la<br />

Faculté d’Ethnologie de l’Université d’Etat d’Haïti) et<br />

un collaborateur/ag<strong>en</strong>t de liaison (Hérold Saint Joie).<br />

8 Voir le traitem<strong>en</strong>t classique de l’association <strong>en</strong>tre les<br />

idées de saleté et de pollution proposé par Mary Douglas<br />

dans son livre Purity and Danger – An analysis<br />

of concepts of pollution and taboo (Routledge, 1973<br />

[1966]). Au sujet des logiques stigmatisantes qui associ<strong>en</strong>t<br />

la « saleté » et « l’anomie », il est intéressant de rappeler<br />

les descriptions sociologiques classiques, notamm<strong>en</strong>t<br />

dans le cas des États-Unis l’ouvrage de William<br />

Foote Whyte : Street Corner Society. The Social Structure<br />

of an Italian Slum (The University of Chicago Press 1943<br />

[1993]) et, dans le cas de l’Angleterre, le livre de Norbert<br />

Elias : The Established and the Outsiders. A Sociological<br />

Enquiry into Community Problems (Londres: Frank<br />

Cass & Co, 1976). Cette littérature permet de mettre <strong>en</strong><br />

évid<strong>en</strong>ce le fait que, à l’inverse de ce que présuppos<strong>en</strong>t<br />

vantage le manque de possibilité d’agir différemm<strong>en</strong>t<br />

que le « manque d’éducation » – un argum<strong>en</strong>t<br />

qui peut servir à rev<strong>en</strong>diquer l’installation de latrines<br />

et de poubelles, par exemple.<br />

S’ajoute parfois à cet argum<strong>en</strong>t une dénonciation<br />

de la part de la population locale : les <strong>déchets</strong><br />

prés<strong>en</strong>ts dans le quartier vi<strong>en</strong>drai<strong>en</strong>t d’ailleurs. Il<br />

s’agit d’un des rares points de cons<strong>en</strong>sus <strong>en</strong>tre les<br />

habitants de la région et les ag<strong>en</strong>ces d’interv<strong>en</strong>tion :<br />

la plus grande partie des <strong>déchets</strong> (principalem<strong>en</strong>t<br />

non-organiques) serai<strong>en</strong>t am<strong>en</strong>ée effectivem<strong>en</strong>t des<br />

régions riches et hautes de la ville par l’eau de pluie<br />

et les égouts qui rempliss<strong>en</strong>t les canaux.<br />

Les observations réalisées dans le quartier ainsi<br />

que les conversations avec les habitants nous<br />

ont obligés à mettre <strong>en</strong> perspective les représ<strong>en</strong>tations<br />

courantes qui associ<strong>en</strong>t la saleté à l’anomie<br />

et font de la saleté une propriété intrinsèque<br />

(ou ontologique) d’une population spécifi que, <strong>en</strong><br />

général extrêmem<strong>en</strong>t pauvre et, dans tous les cas,<br />

historiquem<strong>en</strong>t stigmatisée et marginalisée. Au<br />

contraire de l’image que véhicul<strong>en</strong>t ces représ<strong>en</strong>tations,<br />

les habitants des régions fortem<strong>en</strong>t stigmatisées<br />

par la prés<strong>en</strong>ce des <strong>déchets</strong> manifest<strong>en</strong>t<br />

une grande préoccupation à l’égard de la propreté<br />

et de l’hygiène. Même lorsque leurs modestes<br />

habitations sont faites de matériaux récupérés et<br />

parfois directem<strong>en</strong>t construites sur une couche<br />

épaisse de <strong>déchets</strong> et de déjections prov<strong>en</strong>ant des<br />

égouts, l’espace domestique est constamm<strong>en</strong>t ba-<br />

de nombreux planifi cateurs de <strong>politiques</strong> publiques et,<br />

dans certains contextes déterminés, les habitants de la<br />

région <strong>en</strong> question, les dynamiques stigmatisantes du<br />

type de celles décrites dans ce travail sont loin d’être<br />

l’apanage des pays « pauvres » ou « du sud ». Sur les<br />

associations <strong>en</strong>tre <strong>stigmatisations</strong>, proximité avec les<br />

<strong>déchets</strong> et g<strong>en</strong>èse des <strong>politiques</strong> étatiques de gestion<br />

urbaine, voir Alain Fauré, « Classe malpropre, classe<br />

dangereuse. Quelques remarques à propos des chiffonniers<br />

parisi<strong>en</strong>s au 19eme siècle et de leur cités », Recherches<br />

29, 1977, pp. 79-102.<br />

9 Dans l’esprit de la note de bas de page précéd<strong>en</strong>t (et<br />

aussi de Goffman, 1986), il est crucial de compr<strong>en</strong>dre<br />

que la stigmatisation n’est pas une propriété intrinsèque<br />

des sujets ou des groupes « stigmatiseurs » (ceux<br />

qui sont « propres » dans ce cas-ci), elle se produit plutôt<br />

au cours de la relation <strong>en</strong>tre ces derniers et les personnes<br />

stigmatisées qui incorpor<strong>en</strong>t les valeurs morales<br />

associées à la saleté (ou se voi<strong>en</strong>t obligés de les<br />

refuser).<br />

DÉCHETS | 13

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!