déchets. stigmatisations, commerces, politiques ... - Viva Rio en Haiti
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Elles dép<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t de la région de résid<strong>en</strong>ce du sujet<br />
mais aussi des diverses situations d’interaction<br />
au cours desquelles ce thème est abordé.<br />
Aux yeux de nombreuses institutions, Bel Air<br />
est une région « à problèmes ». La prés<strong>en</strong>ce des <strong>déchets</strong><br />
r<strong>en</strong>forcerait et révèlerait de façon exemplaire<br />
les stigmates qui lui sont associés : la dégradation<br />
<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>tale, sanitaire et sociale ; la viol<strong>en</strong>ce,<br />
le chômage et l’abs<strong>en</strong>ce de l’État. Cette dynamique<br />
stigmatisante générée de l’extérieur se somme à la<br />
description de caractéristiques « sales » du quartier<br />
et se transforme <strong>en</strong> jugem<strong>en</strong>t de valeur à l’égard de<br />
ce que serai<strong>en</strong>t les habitudes « sales » des habitants.<br />
Le « manque d’éducation » et « l’abs<strong>en</strong>ce d’hygiène »<br />
attribués aux habitants sont associés avec les opinions<br />
dépréciatives sur le quartier, ce qui r<strong>en</strong>force<br />
l’idée communém<strong>en</strong>t répandue d’une saleté diffuse,<br />
doublem<strong>en</strong>t stigmatisante, une sorte de diagnostic<br />
sanitaire et de condamnation morale. 8<br />
Les perceptions locales au sujet de la saleté et<br />
des <strong>déchets</strong> interagiss<strong>en</strong>t de façon implicite ou explicite<br />
avec ces stigmates « v<strong>en</strong>us de l’extérieur » 9 .<br />
Il n’est pas rare d’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre de la bouche même des<br />
habitants du quartier des affi rmations ou des comm<strong>en</strong>taires<br />
au sujet des mauvaises habitudes ou du<br />
manque d’éducation d’une population dont ils font<br />
eux-mêmes partie. Si ces thèmes sont abordés,<br />
d’autres questions déplaçant l’axe de cette logique<br />
sont aussi m<strong>en</strong>tionnées par les habitants : ce qui<br />
expliquerait la situation de dégradation serait da-<br />
7 L’équipe de recherche était composée de deux chercheurs<br />
(Federico Neiburg et Natacha Nicaise), un assistant<br />
de recherche (Sergo Jean Louis, étudiant de la<br />
Faculté d’Ethnologie de l’Université d’Etat d’Haïti) et<br />
un collaborateur/ag<strong>en</strong>t de liaison (Hérold Saint Joie).<br />
8 Voir le traitem<strong>en</strong>t classique de l’association <strong>en</strong>tre les<br />
idées de saleté et de pollution proposé par Mary Douglas<br />
dans son livre Purity and Danger – An analysis<br />
of concepts of pollution and taboo (Routledge, 1973<br />
[1966]). Au sujet des logiques stigmatisantes qui associ<strong>en</strong>t<br />
la « saleté » et « l’anomie », il est intéressant de rappeler<br />
les descriptions sociologiques classiques, notamm<strong>en</strong>t<br />
dans le cas des États-Unis l’ouvrage de William<br />
Foote Whyte : Street Corner Society. The Social Structure<br />
of an Italian Slum (The University of Chicago Press 1943<br />
[1993]) et, dans le cas de l’Angleterre, le livre de Norbert<br />
Elias : The Established and the Outsiders. A Sociological<br />
Enquiry into Community Problems (Londres: Frank<br />
Cass & Co, 1976). Cette littérature permet de mettre <strong>en</strong><br />
évid<strong>en</strong>ce le fait que, à l’inverse de ce que présuppos<strong>en</strong>t<br />
vantage le manque de possibilité d’agir différemm<strong>en</strong>t<br />
que le « manque d’éducation » – un argum<strong>en</strong>t<br />
qui peut servir à rev<strong>en</strong>diquer l’installation de latrines<br />
et de poubelles, par exemple.<br />
S’ajoute parfois à cet argum<strong>en</strong>t une dénonciation<br />
de la part de la population locale : les <strong>déchets</strong><br />
prés<strong>en</strong>ts dans le quartier vi<strong>en</strong>drai<strong>en</strong>t d’ailleurs. Il<br />
s’agit d’un des rares points de cons<strong>en</strong>sus <strong>en</strong>tre les<br />
habitants de la région et les ag<strong>en</strong>ces d’interv<strong>en</strong>tion :<br />
la plus grande partie des <strong>déchets</strong> (principalem<strong>en</strong>t<br />
non-organiques) serai<strong>en</strong>t am<strong>en</strong>ée effectivem<strong>en</strong>t des<br />
régions riches et hautes de la ville par l’eau de pluie<br />
et les égouts qui rempliss<strong>en</strong>t les canaux.<br />
Les observations réalisées dans le quartier ainsi<br />
que les conversations avec les habitants nous<br />
ont obligés à mettre <strong>en</strong> perspective les représ<strong>en</strong>tations<br />
courantes qui associ<strong>en</strong>t la saleté à l’anomie<br />
et font de la saleté une propriété intrinsèque<br />
(ou ontologique) d’une population spécifi que, <strong>en</strong><br />
général extrêmem<strong>en</strong>t pauvre et, dans tous les cas,<br />
historiquem<strong>en</strong>t stigmatisée et marginalisée. Au<br />
contraire de l’image que véhicul<strong>en</strong>t ces représ<strong>en</strong>tations,<br />
les habitants des régions fortem<strong>en</strong>t stigmatisées<br />
par la prés<strong>en</strong>ce des <strong>déchets</strong> manifest<strong>en</strong>t<br />
une grande préoccupation à l’égard de la propreté<br />
et de l’hygiène. Même lorsque leurs modestes<br />
habitations sont faites de matériaux récupérés et<br />
parfois directem<strong>en</strong>t construites sur une couche<br />
épaisse de <strong>déchets</strong> et de déjections prov<strong>en</strong>ant des<br />
égouts, l’espace domestique est constamm<strong>en</strong>t ba-<br />
de nombreux planifi cateurs de <strong>politiques</strong> publiques et,<br />
dans certains contextes déterminés, les habitants de la<br />
région <strong>en</strong> question, les dynamiques stigmatisantes du<br />
type de celles décrites dans ce travail sont loin d’être<br />
l’apanage des pays « pauvres » ou « du sud ». Sur les<br />
associations <strong>en</strong>tre <strong>stigmatisations</strong>, proximité avec les<br />
<strong>déchets</strong> et g<strong>en</strong>èse des <strong>politiques</strong> étatiques de gestion<br />
urbaine, voir Alain Fauré, « Classe malpropre, classe<br />
dangereuse. Quelques remarques à propos des chiffonniers<br />
parisi<strong>en</strong>s au 19eme siècle et de leur cités », Recherches<br />
29, 1977, pp. 79-102.<br />
9 Dans l’esprit de la note de bas de page précéd<strong>en</strong>t (et<br />
aussi de Goffman, 1986), il est crucial de compr<strong>en</strong>dre<br />
que la stigmatisation n’est pas une propriété intrinsèque<br />
des sujets ou des groupes « stigmatiseurs » (ceux<br />
qui sont « propres » dans ce cas-ci), elle se produit plutôt<br />
au cours de la relation <strong>en</strong>tre ces derniers et les personnes<br />
stigmatisées qui incorpor<strong>en</strong>t les valeurs morales<br />
associées à la saleté (ou se voi<strong>en</strong>t obligés de les<br />
refuser).<br />
DÉCHETS | 13