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déchets. stigmatisations, commerces, politiques ... - Viva Rio en Haiti

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sud du pays et sont arrivés à la capitale dans leur<br />

petite <strong>en</strong>fance. Certains d’<strong>en</strong>tre eux ont d’abord<br />

été restaveks ou kokorats et sont orphelins depuis<br />

leur plus jeune âge. Malgré le stigmate qui pèse sur<br />

ces individus et le fait que leur histoire de vie est<br />

<strong>en</strong> général dramatique, il faut noter que ces professionnels,<br />

surtout ceux qui travaill<strong>en</strong>t régulièrem<strong>en</strong>t,<br />

sont relativem<strong>en</strong>t privilégiés : ils arriv<strong>en</strong>t à<br />

faire r<strong>en</strong>trer de l’arg<strong>en</strong>t quotidi<strong>en</strong>nem<strong>en</strong>t ou presque,<br />

un fait rare dans un monde de pauvreté extrême<br />

comme celui décrit ici.<br />

Il existe une véritable éthique de l’hygiène<br />

parmi les bayakous. Certains achèt<strong>en</strong>t des habits<br />

bon marché qu’ils utiliseront une seule fois (les<br />

rebus du pèpè, appelé debachis). Ils utilis<strong>en</strong>t tous<br />

un savon spécial pour se laver une fois sortis de<br />

la latrine.<br />

Les réseaux de bayakous sont organisés <strong>en</strong><br />

bases. Nous avons <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du parler de 5 d’<strong>en</strong>tre elles<br />

dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince.<br />

Elles sont situées à Fortouron, Cité Soleil, Marché<br />

Salomon, Fort Dimanche et à la Ravine Pintade.<br />

Notre contact a eu lieu avec la base de Fortouron,<br />

située av<strong>en</strong>ue La Saline, à la frontière <strong>en</strong>tre<br />

les micro-régions 2 et 3. On peut reconnaître<br />

qu’il s’agit d’une base de bayakous par la prés<strong>en</strong>ce<br />

d’une douzaine de brouettes devant la façade.<br />

Quand le soir tombe, vers 16h ou 17h, les bayakous<br />

comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t à arriver à la base. Ils discut<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre<br />

eux, s’échang<strong>en</strong>t des nouvelles et vérifi <strong>en</strong>t les<br />

possibilités de travail. Leur service ne comm<strong>en</strong>ce<br />

qu’après 22h. (photos 36 et 37)<br />

Les bayakous sont organisés <strong>en</strong> réseau ou <strong>en</strong><br />

équipe. Chacun a sa fonction : le demachè recherche<br />

les cli<strong>en</strong>ts et s’occupe des paiem<strong>en</strong>ts; le boss<br />

travaille dans la latrine et le majo reste à l’extérieur<br />

pour recevoir les récipi<strong>en</strong>ts remplis d’excrém<strong>en</strong>ts<br />

(les bokits) et éclairer la fosse avec une<br />

lanterne. Les rôles peuv<strong>en</strong>t être interchangeables :<br />

celui qui semble occuper la position la plus noble<br />

(la relation avec la cli<strong>en</strong>tèle) peut à son tour<br />

être le boss ou le majo. Tous pouss<strong>en</strong>t les brouettes<br />

chargées de droums remplis d’excrém<strong>en</strong>ts jusqu’à<br />

l’<strong>en</strong>droit de décharge. L’équipe de base est constituée<br />

de trois personnes munies d’une brouette, de<br />

trois droums, de plusieurs bokits et d’une lampe.<br />

Pour <strong>en</strong>trer dans la profession, il faut d’abord<br />

avoir été baptisé par un anci<strong>en</strong> bayakou. Selon le<br />

récit de plusieurs individus, le bénéfi ce journalier<br />

est de 250 gourdes <strong>en</strong>viron. La répartition des<br />

gains se fait <strong>en</strong> fonction de critères d’anci<strong>en</strong>neté et<br />

des rôles de chacun au cours de l’opération. Comme<br />

nous l’avons m<strong>en</strong>tionné précédemm<strong>en</strong>t, les rôles<br />

sont interchangeables : un bayakou peut avoir<br />

travaillé un jour et pas celui d’avant, un autre peut<br />

une fois desc<strong>en</strong>dre dans la latrine et le l<strong>en</strong>demain<br />

être chargé de l’éclairage, etc.<br />

Le prix du service est fonction de la profondeur<br />

de la latrine, de son état de conservation mais<br />

aussi du nombre de latrines à nettoyer (exigeant<br />

ou non l’usage de plus d’une brouette et de plus de<br />

droums). Nous avons observé une variation de prix<br />

de 1 200 à 600 gourdes par latrine. Une partie des<br />

bénéfi ces est destinée au paiem<strong>en</strong>t de la location<br />

du matériel. A Fortouron, un couple propriétaire de<br />

deux baraques loue du matériel au bayakous. En face,<br />

dans la rue La Saline, se trouve la base où sont<br />

stationnées les brouettes, elles peuv<strong>en</strong>t aussi être<br />

louées pour d’autres types de services.<br />

Nous avons eu l’occasion d’écouter des récits<br />

d’agression dont ont été victimes certains<br />

bayakous, notamm<strong>en</strong>t des lapidations lorsqu’ils se<br />

r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t sur leur lieu de travail ou lors de la décharge<br />

des excrém<strong>en</strong>ts. Considérant le stigmate qui leur<br />

est associé et le risque que cela peut <strong>en</strong>traîner, ils<br />

doiv<strong>en</strong>t faire peu de bruit lorsqu’ils travaill<strong>en</strong>t, ce<br />

qui est très diffi cile car tous les voisins sav<strong>en</strong>t lorsque<br />

des bayakous travaill<strong>en</strong>t dans le voisinage.<br />

La stigmatisation se manifeste aussi lors de<br />

la décharge des excrém<strong>en</strong>ts, une activité clandestine<br />

due aux interdictions légales (dans la région<br />

couverte par la recherche, le point de décharge est<br />

Titany<strong>en</strong>). Tous les bayakous interrogés nous ont<br />

parlé de l’obligation de donner un bakchich aux<br />

individus qui contrôl<strong>en</strong>t l’<strong>en</strong>droit, les « chefs de<br />

la zone ».<br />

Nous avons pu observer que malgré la stigmatisation,<br />

l’activité des bayakous est valorisée,<br />

par eux-mêmes mais aussi par les habitants des<br />

26 Des latrines commerciales ont été construites lors de<br />

la réforme réc<strong>en</strong>te du marché Croix de Bossales. Leur<br />

prix est deux fois plus élevé qu’ailleurs (10 gourdes).<br />

Leur usage est quelques peu détourné, elles sont utilisées<br />

par les passants pour se reposer et se rafraîchir à<br />

l’ombre de leurs carrelages rutilants...<br />

27 Au sujet de la localisation des latrines, des pratiques<br />

fécales et des valeurs qui leurs sont associées dans le<br />

monde rural, voir Hugues Foucault et Nelson Sylvestre,<br />

« Étude des pratiques de défécation dans le Nord-Ouest »,<br />

Faculté d’Ethnologie, Université d’Etat d’Haïti, 2009.<br />

DÉCHETS | 23

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