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ERICK BONNIER<br />
plantations disparaissent par dizaines dans le pays. Seules<br />
celles dont les revenus sont garantis par le café du commerce<br />
équitable peuvent survivre.<br />
❋ ❋ ❋<br />
Comme tout grand produit, le café du parc des Virunga<br />
mérite l’énorme labeur qu’il exige. Avant de frapper à la porte<br />
de la grande distribution et mettre dans les rayons les boîtes<br />
de café « Congo Virunga » arborant une tête de grand singe,<br />
totem des espèces menacées d’extinction, des années se sont<br />
écoulées, pour que nous puissions garantir la qualité, mais<br />
aussi la quantité et la régularité des approvisionnements.<br />
Pour cela, l’acheminement est le nœud gordien, en<br />
particulier au Nord-Kivu qui ne dispose pas de port<br />
maritime à proximité. La voie terrestre, avec tous les<br />
aléas que l’on connaît surtout dans des pays instables,<br />
est la seule solution pour atteindre le premier port ;<br />
les camions doivent traverser l’Ouganda, puis le<br />
Kenya, une mission à haut risque pavée d’imprévus<br />
et de retards. C’est une filière qui demande beaucoup<br />
d’investissement et de travail, mais le jeu en vaut la<br />
chandelle, pour obtenir un grand cru qui régale les<br />
amateurs de café. Rond, harmonieux, bien charpenté,<br />
avec du corps, très aromatique, il a une typicité unique<br />
comme un grand vin. Un café haut de gamme à n’en<br />
pas douter, dont la valeur gustative joue à égalité<br />
avec l’importance des enjeux environnementaux et<br />
humains qu’il défend. Garantir une filière café, cela<br />
implique aussi d’anticiper le changement climatique,<br />
l’autre donne que nul ne peut ignorer, au cœur de<br />
laquelle la question de l’eau est vitale. Raison pour laquelle<br />
nous engageons un programme d’adduction d’eau pour les<br />
stations de lavage et pour l’usage domestique. La production<br />
est bien en place, charge à nous de continuer à assurer la<br />
pérennité des coopératives et à travers elles, celle du parc des<br />
Virunga, au cœur d’énormes enjeux financiers, car on sait<br />
que ses sous-sols contiennent du pétrole et du gaz, aiguisant<br />
les appétits des multinationales aux aguets. Elles attendent<br />
la moindre brèche pour faire des forages, sans parler de la<br />
déforestation qui menace et la pression sur les ressources<br />
piscicoles. Notre action sur le terrain permet d’appuyer et<br />
de fortifier les défenseurs du parc et de la biodiversité.<br />
❋ ❋ ❋<br />
Je m’arrête au bord des champs où un grand nombre de<br />
tables de séchage sur claies supportent des centaines de kilos<br />
de café. Une technique très particulière consistant à trier et<br />
faire sécher les grains de café dépulpés. Après fermentation<br />
au soleil, les femmes éliminent les fruits défectueux, malades<br />
ou pas assez mûrs. Le processus dure trois à quatre semaines<br />
et lorsque le soleil est trop fort, les paysans couvrent les grains<br />
avec des sacs en toile de jute, pour leur conserver un minimum<br />
d’humidité et les protéger des rayons. Cela donne un café<br />
parche blanc, uniforme, sans craquelures, qui a désormais fait<br />
son chemin aux quatre coins du globe. Mais beaucoup reste<br />
à faire, quand on sait que seulement 40 % des plantations<br />
de café demeurent en activité dans le pays et que le tonnage<br />
de la production nationale a drastiquement chuté en dix<br />
ans. C’est en tout cas Zac Nsenga, ambassadeur du Rwanda<br />
aux États-Unis, qui résume le mieux les enjeux du café pour<br />
son pays, lorsqu’il affirme : « Plus vous consommez du café<br />
rwandais, plus vous donnez d’espoir au Rwanda. Ce qui le rend<br />
si spécial, c’est à la fois sa qualité et l’histoire qu’il raconte ».<br />
Séchage du café en parche, à Irgachefe, en Éthiopie.<br />
Terre d’origine<br />
Une légende tenace assure que c’est un animal,<br />
vraisemblablement une chèvre, qui aurait découvert le<br />
café. Un berger appelé Kaldi, étonné que ses chèvres soient<br />
aussi excitées après avoir mangé de drôles de baies, aurait<br />
essayé à son tour. Musulman, originaire du village de Kaffa<br />
(d’où le nom de café), il aurait confié à des religieux avoir<br />
trouvé un moyen miraculeux pour rester éveillé toute la<br />
nuit pour prier. Le chemin parcouru par le kahoua jusqu’au<br />
« petit noir » des zincs parisiens reste pavé de mystères et<br />
de zones d’ombre. À l’état sauvage, les premiers plants<br />
de café auraient été localisés au sud de l’Éthiopie, dans<br />
la région de Sidamo, bien que certains assurent qu’ils<br />
proviendraient du Yémen. Mais il y aurait confusion avec<br />
la découverte de la torréfaction qui, elle, serait due à deux<br />
moines yéménites, Sciadli et Aydrus. Chargés de récolter<br />
le café, ils en reviennent avec leurs grains détrempés par<br />
une forte pluie. Pour les faire sécher, ils allument un feu.<br />
De retour de la prière, ils les découvrent rôtis et dégageant<br />
une odeur que nous connaissons tous aujourd’hui. ■<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>435</strong>-<strong>436</strong> – DÉCEMBRE 2022-JANVIER 2023 101