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AM 435-436

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ERICK BONNIER<br />

plantations disparaissent par dizaines dans le pays. Seules<br />

celles dont les revenus sont garantis par le café du commerce<br />

équitable peuvent survivre.<br />

❋ ❋ ❋<br />

Comme tout grand produit, le café du parc des Virunga<br />

mérite l’énorme labeur qu’il exige. Avant de frapper à la porte<br />

de la grande distribution et mettre dans les rayons les boîtes<br />

de café « Congo Virunga » arborant une tête de grand singe,<br />

totem des espèces menacées d’extinction, des années se sont<br />

écoulées, pour que nous puissions garantir la qualité, mais<br />

aussi la quantité et la régularité des approvisionnements.<br />

Pour cela, l’acheminement est le nœud gordien, en<br />

particulier au Nord-Kivu qui ne dispose pas de port<br />

maritime à proximité. La voie terrestre, avec tous les<br />

aléas que l’on connaît surtout dans des pays instables,<br />

est la seule solution pour atteindre le premier port ;<br />

les camions doivent traverser l’Ouganda, puis le<br />

Kenya, une mission à haut risque pavée d’imprévus<br />

et de retards. C’est une filière qui demande beaucoup<br />

d’investissement et de travail, mais le jeu en vaut la<br />

chandelle, pour obtenir un grand cru qui régale les<br />

amateurs de café. Rond, harmonieux, bien charpenté,<br />

avec du corps, très aromatique, il a une typicité unique<br />

comme un grand vin. Un café haut de gamme à n’en<br />

pas douter, dont la valeur gustative joue à égalité<br />

avec l’importance des enjeux environnementaux et<br />

humains qu’il défend. Garantir une filière café, cela<br />

implique aussi d’anticiper le changement climatique,<br />

l’autre donne que nul ne peut ignorer, au cœur de<br />

laquelle la question de l’eau est vitale. Raison pour laquelle<br />

nous engageons un programme d’adduction d’eau pour les<br />

stations de lavage et pour l’usage domestique. La production<br />

est bien en place, charge à nous de continuer à assurer la<br />

pérennité des coopératives et à travers elles, celle du parc des<br />

Virunga, au cœur d’énormes enjeux financiers, car on sait<br />

que ses sous-sols contiennent du pétrole et du gaz, aiguisant<br />

les appétits des multinationales aux aguets. Elles attendent<br />

la moindre brèche pour faire des forages, sans parler de la<br />

déforestation qui menace et la pression sur les ressources<br />

piscicoles. Notre action sur le terrain permet d’appuyer et<br />

de fortifier les défenseurs du parc et de la biodiversité.<br />

❋ ❋ ❋<br />

Je m’arrête au bord des champs où un grand nombre de<br />

tables de séchage sur claies supportent des centaines de kilos<br />

de café. Une technique très particulière consistant à trier et<br />

faire sécher les grains de café dépulpés. Après fermentation<br />

au soleil, les femmes éliminent les fruits défectueux, malades<br />

ou pas assez mûrs. Le processus dure trois à quatre semaines<br />

et lorsque le soleil est trop fort, les paysans couvrent les grains<br />

avec des sacs en toile de jute, pour leur conserver un minimum<br />

d’humidité et les protéger des rayons. Cela donne un café<br />

parche blanc, uniforme, sans craquelures, qui a désormais fait<br />

son chemin aux quatre coins du globe. Mais beaucoup reste<br />

à faire, quand on sait que seulement 40 % des plantations<br />

de café demeurent en activité dans le pays et que le tonnage<br />

de la production nationale a drastiquement chuté en dix<br />

ans. C’est en tout cas Zac Nsenga, ambassadeur du Rwanda<br />

aux États-Unis, qui résume le mieux les enjeux du café pour<br />

son pays, lorsqu’il affirme : « Plus vous consommez du café<br />

rwandais, plus vous donnez d’espoir au Rwanda. Ce qui le rend<br />

si spécial, c’est à la fois sa qualité et l’histoire qu’il raconte ».<br />

Séchage du café en parche, à Irgachefe, en Éthiopie.<br />

Terre d’origine<br />

Une légende tenace assure que c’est un animal,<br />

vraisemblablement une chèvre, qui aurait découvert le<br />

café. Un berger appelé Kaldi, étonné que ses chèvres soient<br />

aussi excitées après avoir mangé de drôles de baies, aurait<br />

essayé à son tour. Musulman, originaire du village de Kaffa<br />

(d’où le nom de café), il aurait confié à des religieux avoir<br />

trouvé un moyen miraculeux pour rester éveillé toute la<br />

nuit pour prier. Le chemin parcouru par le kahoua jusqu’au<br />

« petit noir » des zincs parisiens reste pavé de mystères et<br />

de zones d’ombre. À l’état sauvage, les premiers plants<br />

de café auraient été localisés au sud de l’Éthiopie, dans<br />

la région de Sidamo, bien que certains assurent qu’ils<br />

proviendraient du Yémen. Mais il y aurait confusion avec<br />

la découverte de la torréfaction qui, elle, serait due à deux<br />

moines yéménites, Sciadli et Aydrus. Chargés de récolter<br />

le café, ils en reviennent avec leurs grains détrempés par<br />

une forte pluie. Pour les faire sécher, ils allument un feu.<br />

De retour de la prière, ils les découvrent rôtis et dégageant<br />

une odeur que nous connaissons tous aujourd’hui. ■<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>435</strong>-<strong>436</strong> – DÉCEMBRE 2022-JANVIER 2023 101

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