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AM 435-436

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RENCONTRE<br />

profit, avec la réduction de la place de l’État, l’accroissement de<br />

l’initiative privée. Ça, c’était sur le papier. Mais sur le terrain,<br />

ça s’est traduit par des troubles, notamment l’augmentation du<br />

prix des biens de première nécessité, le désossage des structures<br />

économiques mixtes où les États pouvaient intervenir aux côtés<br />

du secteur privé. Ces mesures montrent que leur souveraineté<br />

est limitée. Et peut-être que les pays africains ont fait l’erreur de<br />

ne pas se regrouper pour affronter cette injonction extérieure.<br />

Chacun est parti dans sa réponse individuelle. Il a manqué<br />

une solidité. Aujourd’hui encore, la question reste posée : comment<br />

constituer un bloc qui puisse résister face à l’extérieur ? La<br />

division et la balkanisation du continent, qui remontent à bien<br />

loin, cristallisées lors du partage du « gâteau africain » par les<br />

Européens lors de la conférence de Berlin en 1884-1885, sont<br />

un tournant. Cela a été aussi construit par une idéologie européocentriste,<br />

considérant que l’Europe avait l’hégémonie sur la<br />

conduite des affaires du monde. Aujourd’hui, cette hégémonie<br />

est contestée, notamment par l’Empire du milieu.<br />

Vous évoquez cette idée que l’Afrique<br />

est le lieu de combats de coqs, une compétition<br />

entre les différentes puissances…<br />

Ils arrivent les uns et les autres avec de très bons sentiments<br />

! Et un appétit féroce ! Pour soi-disant aider, soutenir des<br />

peuples qui n’auraient rien compris à l’affaire. Cette réduction,<br />

cette assignation de peuples culturellement limités, économiquement<br />

faibles, politiquement instables, régressifs… Voilà<br />

un certain nombre de gentillesses dont on accable l’Afrique.<br />

Laquelle peut, parfois, peut-être donner la joue pour être souffletée.<br />

Il faut relativiser tout ça. Il y a la difficulté à faire bloc,<br />

certes, mais l’Afrique produit de tels mécanismes, car elle est si<br />

vaste, grande. Quand on s’y trouve, on peine à tout englober. La<br />

vision encyclopédique y est difficile. Mais les forces souveraines<br />

y sont nombreuses et importantes. Par exemple, son réservoir<br />

de langues. Comme le rappelle le professeur marocain Abdeljalil<br />

Lahjomri, secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume<br />

du Maroc, le continent contient la moitié des langues du monde.<br />

Et l’écrivain kenyan Ngugi wa Thiong’o, en matière de fictions,<br />

a aussi défendu l’idée qu’il fallait décoloniser les esprits, en<br />

reprenant pied dans nos langues. On l’observe également dans<br />

les politiques de restitution des œuvres d’art. Les mécanismes<br />

de restitution sont une chose, ceux de revitalisation en sont<br />

une autre. Tous ces biens, ces valeurs qui sont partis, stockés<br />

longtemps ailleurs, ont été expurgés de leur force vitale, symbolique.<br />

Et nous n’avons pas institué de « collège de recharge»<br />

de cette vitalité évaporée : il faut reprendre les codes, les processus,<br />

les personnes, les former, réinterroger les anciens,<br />

FRANCESCA MANTAVONI/ÉDITIONS GALLIMARD<br />

80 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>435</strong>-<strong>436</strong> – DÉCEMBRE 2022-JANVIER 2023

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