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pour les Camerounais ! Ils adoraient notre compagnie, nous<br />
trouvaient épatants, nous invitaient et nous réservaient les plus<br />
beaux morceaux des repas.<br />
Puis les balles pleuvent à nouveau, les combats entre<br />
les camps d’Hissène Habré et du président Goukouni<br />
Oueddei font rage. Vous retournez précipitamment<br />
au Cameroun en traversant le fleuve Chari, vous<br />
retrouvant dans un camp de réfugiés à la frontière…<br />
Commencent alors l’attente, une situation d’extrême préoccupation<br />
– vous ne savez pas ce qui va arriver d’une seconde à<br />
l’autre, vous êtes entre parenthèses –, et la tente, dans laquelle<br />
vous êtes précipité, parce que l’extérieur est angoissant, que<br />
les bombes éclatent, que vous avez échappé au désastre, à la<br />
tragédie qui est en route, et qui broie des êtres, indifféremment.<br />
J’aurais pu moi-même être broyé à plusieurs reprises.<br />
Les balles tombent sur n’importe qui, vous voyez des gens qui<br />
s’écroulent, qui se marchent dessus, d’autres se révèlent extrêmement<br />
véloces, devant le péril, ils s’enfuient plus vite que<br />
vous. Et vous voyez chuter ceux qui croyaient se tirer du sol<br />
d’Afrique – ils y sont ramenés durement. L’éblouissement est<br />
détruit. C’est difficile à retraduire. On meurt plusieurs fois dans<br />
une vie, pas seulement par les balles, on est fusillé plusieurs<br />
fois. Souvent, je me réveille la nuit – j’ai quelques cauchemars<br />
récurrents –, et ma nuit est fichue. Vous pouvez faire un travail,<br />
l’écriture aide à évacuer, même si ce n’est pas sa fonction thérapeutique.<br />
Vous mettez à distance, il y a une médiation qui passe<br />
par la réflexion, la pensée, la couture des mots, leur choix, et<br />
le mystère de l’ensemble. Mais ces moments ne me quitteront<br />
plus. Je n’y échapperai pas.<br />
Pourquoi êtes-vous persuadé, alors que<br />
ce n’est pas le cas, que votre mère est morte ?<br />
Je suis déçu de repartir. Mon rêve, mon projet s’écroule :<br />
décrocher mon diplôme pour que maman puisse sonner son<br />
oyenga, son cri d’enthousiasme majestueux – une espèce de<br />
chant de rassemblement, de réjouissance. Cet écroulement<br />
provoque l’idée fausse que ma mère est morte. Mais en fait, je<br />
pense que je l’ai tuée, parce que je n’ai pas le bac.<br />
Un Tchadien vous avait dit lors de votre arrivée :<br />
« Bienvenue dans ce pays qui n’a de passion<br />
que pour la guerre !»<br />
C’est aussi une méditation sur le pouvoir. Et les conditions<br />
dans lesquelles certains peuples, certaines nations ont des<br />
réflexes, des aptitudes, ou un goût particulier pour quelque<br />
chose qui les dépasse probablement, qui s’est construit et inscrit<br />
dans l’ADN des identités collectives, pas toujours remarquables<br />
! Au fond, ces Tchadiens qui aiment tant faire la guerre,<br />
pourquoi ne transforment-ils pas cela dans la réflexion globale<br />
« J’ai eu peur<br />
que les souvenirs<br />
s’envolent. J’ai<br />
estimé qu’il fallait<br />
riposter. Prendre<br />
la plume est la<br />
meilleure façon<br />
pour que les images<br />
ne s’enfuient pas à<br />
toute aile battante. »<br />
géopolitique en Afrique ? L’activité guerrière peut être mobilisée<br />
vers la défense africaine, devenir une force, l’ossature d’une<br />
armée panafricaine.<br />
Les bras d’une mère sont le plus grand réconfort<br />
qui soit, écrivez-vous. Ce livre a-t-il un peu apaisé<br />
la brûlure de son absence ?<br />
Il y a en effet une dimension de consolation, et puis une<br />
dynamique, puisqu’à la fin de l’ouvrage, elle est debout, et ses<br />
bras reviennent, même de manière encore plus forte ! Elle intervient<br />
d’une façon inimaginable, puisqu’elle est capable d’être<br />
critique littéraire et de dire à son professeur de fils : « Va finir, va<br />
reprendre ici ou là cet ouvrage !» Avant d’accrocher le diplôme<br />
au mur, c’est elle qui fait la leçon. Je n’avais pas cette trajectoire<br />
en tête. Une nuit, elle apparaît… Je ne m’y attendais pas.<br />
Son intervention, l’élimination des frontières spatiotemporelles,<br />
littéraires, matérielles, charnelles… Ce fracas maternel, c’est<br />
extrêmement puissant. Ses bras qui reviennent m’ont donné<br />
une véritable force.<br />
Votre livre évoque le début des années 1980<br />
en Afrique. C’est également à cette période que<br />
le FMI et la Banque mondiale décident de mener<br />
des programmes d’ajustement structurel.<br />
Effectivement, ces mesures commençaient à être appliquées.<br />
Une nouvelle vision économique, voire de nouvelles<br />
variantes macroéconomiques, économétriques se mettaient en<br />
place pour édicter quelle gestion, quelle gouvernance pour les<br />
pays du Sud. Et comment maximiser non plus le crédit mais le<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>435</strong>-<strong>436</strong> – DÉCEMBRE 2022-JANVIER 2023 79