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AM 435-436

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pour les Camerounais ! Ils adoraient notre compagnie, nous<br />

trouvaient épatants, nous invitaient et nous réservaient les plus<br />

beaux morceaux des repas.<br />

Puis les balles pleuvent à nouveau, les combats entre<br />

les camps d’Hissène Habré et du président Goukouni<br />

Oueddei font rage. Vous retournez précipitamment<br />

au Cameroun en traversant le fleuve Chari, vous<br />

retrouvant dans un camp de réfugiés à la frontière…<br />

Commencent alors l’attente, une situation d’extrême préoccupation<br />

– vous ne savez pas ce qui va arriver d’une seconde à<br />

l’autre, vous êtes entre parenthèses –, et la tente, dans laquelle<br />

vous êtes précipité, parce que l’extérieur est angoissant, que<br />

les bombes éclatent, que vous avez échappé au désastre, à la<br />

tragédie qui est en route, et qui broie des êtres, indifféremment.<br />

J’aurais pu moi-même être broyé à plusieurs reprises.<br />

Les balles tombent sur n’importe qui, vous voyez des gens qui<br />

s’écroulent, qui se marchent dessus, d’autres se révèlent extrêmement<br />

véloces, devant le péril, ils s’enfuient plus vite que<br />

vous. Et vous voyez chuter ceux qui croyaient se tirer du sol<br />

d’Afrique – ils y sont ramenés durement. L’éblouissement est<br />

détruit. C’est difficile à retraduire. On meurt plusieurs fois dans<br />

une vie, pas seulement par les balles, on est fusillé plusieurs<br />

fois. Souvent, je me réveille la nuit – j’ai quelques cauchemars<br />

récurrents –, et ma nuit est fichue. Vous pouvez faire un travail,<br />

l’écriture aide à évacuer, même si ce n’est pas sa fonction thérapeutique.<br />

Vous mettez à distance, il y a une médiation qui passe<br />

par la réflexion, la pensée, la couture des mots, leur choix, et<br />

le mystère de l’ensemble. Mais ces moments ne me quitteront<br />

plus. Je n’y échapperai pas.<br />

Pourquoi êtes-vous persuadé, alors que<br />

ce n’est pas le cas, que votre mère est morte ?<br />

Je suis déçu de repartir. Mon rêve, mon projet s’écroule :<br />

décrocher mon diplôme pour que maman puisse sonner son<br />

oyenga, son cri d’enthousiasme majestueux – une espèce de<br />

chant de rassemblement, de réjouissance. Cet écroulement<br />

provoque l’idée fausse que ma mère est morte. Mais en fait, je<br />

pense que je l’ai tuée, parce que je n’ai pas le bac.<br />

Un Tchadien vous avait dit lors de votre arrivée :<br />

« Bienvenue dans ce pays qui n’a de passion<br />

que pour la guerre !»<br />

C’est aussi une méditation sur le pouvoir. Et les conditions<br />

dans lesquelles certains peuples, certaines nations ont des<br />

réflexes, des aptitudes, ou un goût particulier pour quelque<br />

chose qui les dépasse probablement, qui s’est construit et inscrit<br />

dans l’ADN des identités collectives, pas toujours remarquables<br />

! Au fond, ces Tchadiens qui aiment tant faire la guerre,<br />

pourquoi ne transforment-ils pas cela dans la réflexion globale<br />

« J’ai eu peur<br />

que les souvenirs<br />

s’envolent. J’ai<br />

estimé qu’il fallait<br />

riposter. Prendre<br />

la plume est la<br />

meilleure façon<br />

pour que les images<br />

ne s’enfuient pas à<br />

toute aile battante. »<br />

géopolitique en Afrique ? L’activité guerrière peut être mobilisée<br />

vers la défense africaine, devenir une force, l’ossature d’une<br />

armée panafricaine.<br />

Les bras d’une mère sont le plus grand réconfort<br />

qui soit, écrivez-vous. Ce livre a-t-il un peu apaisé<br />

la brûlure de son absence ?<br />

Il y a en effet une dimension de consolation, et puis une<br />

dynamique, puisqu’à la fin de l’ouvrage, elle est debout, et ses<br />

bras reviennent, même de manière encore plus forte ! Elle intervient<br />

d’une façon inimaginable, puisqu’elle est capable d’être<br />

critique littéraire et de dire à son professeur de fils : « Va finir, va<br />

reprendre ici ou là cet ouvrage !» Avant d’accrocher le diplôme<br />

au mur, c’est elle qui fait la leçon. Je n’avais pas cette trajectoire<br />

en tête. Une nuit, elle apparaît… Je ne m’y attendais pas.<br />

Son intervention, l’élimination des frontières spatiotemporelles,<br />

littéraires, matérielles, charnelles… Ce fracas maternel, c’est<br />

extrêmement puissant. Ses bras qui reviennent m’ont donné<br />

une véritable force.<br />

Votre livre évoque le début des années 1980<br />

en Afrique. C’est également à cette période que<br />

le FMI et la Banque mondiale décident de mener<br />

des programmes d’ajustement structurel.<br />

Effectivement, ces mesures commençaient à être appliquées.<br />

Une nouvelle vision économique, voire de nouvelles<br />

variantes macroéconomiques, économétriques se mettaient en<br />

place pour édicter quelle gestion, quelle gouvernance pour les<br />

pays du Sud. Et comment maximiser non plus le crédit mais le<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>435</strong>-<strong>436</strong> – DÉCEMBRE 2022-JANVIER 2023 79

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