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AM 435-436

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édito<br />

DES RICHES ET DES AUTRES<br />

En regardant la Coupe du monde au Qatar, la<br />

dichotomie des regards apparaît assez nettement.<br />

Schématiquement, d’un côté, au Nord, en Occident,<br />

des critiques sur la démesure, la climatisation des stades,<br />

le traitement des travailleurs, le rigorisme religieux, le<br />

non-respect des droits LGBT. Des vraies questions, évidemment,<br />

incontournables, mais aussi la sensation d’un<br />

jugement à charge, à sens unique, sans nuances. Et puis<br />

de l’autre, au Sud disons, un autre regard, nettement<br />

plus positif, sur la capacité d’un petit pays, même riche,<br />

à organiser sans trop de soucis le plus grand événement<br />

sportif du monde, à assurer une certaine bonhomie, la<br />

sécurité des fans, sans les débordements habituels. Du<br />

ressentiment aussi vis-à-vis du sombre tableau peint par<br />

les médias du « Nord ». Et sportivement, les petites nations<br />

du foot ont montré qu’elles pouvaient aspirer à rivaliser<br />

avec les grandes, comme le Maroc l’a prouvé… Comme<br />

un symbole de ce monde qui change.<br />

Les pays dits riches, l’Occident, le G7 pour faire<br />

simple, les États-Unis, la France, l’Allemagne, la<br />

Grande-Bretagne, l’Italie, le Canada, le Japon, auxquels<br />

on pourrait rajouter l’Australie, et aussi la Corée<br />

du Sud représentent aux alentours de 800 millions de<br />

personnes. Sur 8 milliards d’êtres humains. Donc 10 % de<br />

l’humanité. Hier, ce que l’on appelait encore les pays en<br />

voie de développement ne pesait pas grand-chose. À<br />

l’orée des années 1970, le G7 représentait les deux tiers<br />

de l’économie mondiale. Et assurait une domination<br />

globale, malgré la présence de l’URSS et du bloc communiste.<br />

Aujourd’hui, ces pays développés, riches, ne<br />

représentent plus que 40 % de la richesse globale, ce<br />

qui reste encore le signe d’une profonde inégalité, mais<br />

aussi le marqueur fort d’un changement systémique. La<br />

domination des uns se dilue, la marge de manœuvre<br />

des autres augmente. Les États-Unis sont toujours l’hyper<br />

puissance militaire et économique, mais leur pouvoir<br />

atteint des limites. La Russie, en asthénie économique<br />

et démographique, peut se permettre pour le moment<br />

de mener une guerre, même si elle est quasi suicidaire…<br />

Surtout, la Chine s’est imposée en quarante ans<br />

comme la première puissance économique (en<br />

volume). Une mutation révolutionnaire. Le pays de Xi<br />

Jinping est un géant autoritaire, affaibli par sa politique<br />

zéro Covid et par les contradictions de plus en plus<br />

PAR ZYAD LIM<strong>AM</strong><br />

criantes entre autoritarisme politique et libéralisme économique.<br />

Mais c’est un géant quand même, avec une<br />

ambition planétaire. L’Inde aussi est en marche, elle est<br />

déjà dans l’espace. Son voisin le Pakistan détient l’arme<br />

nucléaire. Le Brésil, l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines,<br />

le Mexique, la Turquie, la Thaïlande, le Vietnam,<br />

d’autres encore, prennent place dans l’échiquier mondial.<br />

Les pays du Golfe sont assis sur de gigantesques<br />

montagnes de dollars, qui leur donnent un pouvoir d’influence<br />

majeur.<br />

Ces pays émergents sont fragiles, divisés, socialement<br />

instables, politiquement polarisés, mais ils pèsent<br />

plus lourd, à la fois en tant que puissances économiques,<br />

producteurs, consommateurs, acteurs diplomatiques. Ils<br />

changent l’équilibre.<br />

L’Afrique n’a pas encore de géants. L’émergence<br />

reste pour nous un objectif. Le Nigeria, l’Égypte, l’Afrique<br />

du Sud, le Maroc, l’Algérie ou d’autres sont encore loin<br />

de ce statut. Mais l’Afrique n’est pas marginale, elle<br />

représente un enjeu planétaire central. Aujourd’hui, un<br />

être humain sur huit est africain. 60 % de la population<br />

du continent a moins de 25 ans. Selon les estimations, il<br />

devrait compter plus de 2 milliards d’habitants en 2050.<br />

Avec les plus grandes conurbations urbaines de la planète,<br />

dont celle qui devrait progressivement relier Abidjan<br />

à Lagos, en passant par Accra, Lomé, Cotonou…<br />

Démographiquement incontournable, l’Afrique<br />

sera au centre du débat climatique. C’est ici que la<br />

bataille se jouera, au cœur par exemple des forêts du<br />

bassin du Congo. C’est ici qu’il faudra inventer un lien<br />

opérationnel, entre développement économique et<br />

développement durable. Comment pourra-t-on dire aux<br />

Africains qu’ils devront se serrer la ceinture, renoncer aux<br />

énergies fossiles, au gaz, alors qu’ils ne sont responsables<br />

que de 3 % à 4 % des émissions globales ?<br />

Le monde est beaucoup plus complexe que ne<br />

le voudrait le récit occidental. Culturellement, sociétalement,<br />

religieusement, l’humanité est un immense<br />

melting-pot. Le meilleur moyen de défendre l’universalisme,<br />

c’est de prendre en compte la diversité des systèmes<br />

et des pensées, de prendre en compte les injustices<br />

économiques et climatiques, de prendre en compte<br />

les richesses tout autant que les résistances culturelles. Le<br />

chemin sera long. ■<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>435</strong>-<strong>436</strong> – DÉCEMBRE 2022-JANVIER 2023 3

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