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édito<br />
DES RICHES ET DES AUTRES<br />
En regardant la Coupe du monde au Qatar, la<br />
dichotomie des regards apparaît assez nettement.<br />
Schématiquement, d’un côté, au Nord, en Occident,<br />
des critiques sur la démesure, la climatisation des stades,<br />
le traitement des travailleurs, le rigorisme religieux, le<br />
non-respect des droits LGBT. Des vraies questions, évidemment,<br />
incontournables, mais aussi la sensation d’un<br />
jugement à charge, à sens unique, sans nuances. Et puis<br />
de l’autre, au Sud disons, un autre regard, nettement<br />
plus positif, sur la capacité d’un petit pays, même riche,<br />
à organiser sans trop de soucis le plus grand événement<br />
sportif du monde, à assurer une certaine bonhomie, la<br />
sécurité des fans, sans les débordements habituels. Du<br />
ressentiment aussi vis-à-vis du sombre tableau peint par<br />
les médias du « Nord ». Et sportivement, les petites nations<br />
du foot ont montré qu’elles pouvaient aspirer à rivaliser<br />
avec les grandes, comme le Maroc l’a prouvé… Comme<br />
un symbole de ce monde qui change.<br />
Les pays dits riches, l’Occident, le G7 pour faire<br />
simple, les États-Unis, la France, l’Allemagne, la<br />
Grande-Bretagne, l’Italie, le Canada, le Japon, auxquels<br />
on pourrait rajouter l’Australie, et aussi la Corée<br />
du Sud représentent aux alentours de 800 millions de<br />
personnes. Sur 8 milliards d’êtres humains. Donc 10 % de<br />
l’humanité. Hier, ce que l’on appelait encore les pays en<br />
voie de développement ne pesait pas grand-chose. À<br />
l’orée des années 1970, le G7 représentait les deux tiers<br />
de l’économie mondiale. Et assurait une domination<br />
globale, malgré la présence de l’URSS et du bloc communiste.<br />
Aujourd’hui, ces pays développés, riches, ne<br />
représentent plus que 40 % de la richesse globale, ce<br />
qui reste encore le signe d’une profonde inégalité, mais<br />
aussi le marqueur fort d’un changement systémique. La<br />
domination des uns se dilue, la marge de manœuvre<br />
des autres augmente. Les États-Unis sont toujours l’hyper<br />
puissance militaire et économique, mais leur pouvoir<br />
atteint des limites. La Russie, en asthénie économique<br />
et démographique, peut se permettre pour le moment<br />
de mener une guerre, même si elle est quasi suicidaire…<br />
Surtout, la Chine s’est imposée en quarante ans<br />
comme la première puissance économique (en<br />
volume). Une mutation révolutionnaire. Le pays de Xi<br />
Jinping est un géant autoritaire, affaibli par sa politique<br />
zéro Covid et par les contradictions de plus en plus<br />
PAR ZYAD LIM<strong>AM</strong><br />
criantes entre autoritarisme politique et libéralisme économique.<br />
Mais c’est un géant quand même, avec une<br />
ambition planétaire. L’Inde aussi est en marche, elle est<br />
déjà dans l’espace. Son voisin le Pakistan détient l’arme<br />
nucléaire. Le Brésil, l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines,<br />
le Mexique, la Turquie, la Thaïlande, le Vietnam,<br />
d’autres encore, prennent place dans l’échiquier mondial.<br />
Les pays du Golfe sont assis sur de gigantesques<br />
montagnes de dollars, qui leur donnent un pouvoir d’influence<br />
majeur.<br />
Ces pays émergents sont fragiles, divisés, socialement<br />
instables, politiquement polarisés, mais ils pèsent<br />
plus lourd, à la fois en tant que puissances économiques,<br />
producteurs, consommateurs, acteurs diplomatiques. Ils<br />
changent l’équilibre.<br />
L’Afrique n’a pas encore de géants. L’émergence<br />
reste pour nous un objectif. Le Nigeria, l’Égypte, l’Afrique<br />
du Sud, le Maroc, l’Algérie ou d’autres sont encore loin<br />
de ce statut. Mais l’Afrique n’est pas marginale, elle<br />
représente un enjeu planétaire central. Aujourd’hui, un<br />
être humain sur huit est africain. 60 % de la population<br />
du continent a moins de 25 ans. Selon les estimations, il<br />
devrait compter plus de 2 milliards d’habitants en 2050.<br />
Avec les plus grandes conurbations urbaines de la planète,<br />
dont celle qui devrait progressivement relier Abidjan<br />
à Lagos, en passant par Accra, Lomé, Cotonou…<br />
Démographiquement incontournable, l’Afrique<br />
sera au centre du débat climatique. C’est ici que la<br />
bataille se jouera, au cœur par exemple des forêts du<br />
bassin du Congo. C’est ici qu’il faudra inventer un lien<br />
opérationnel, entre développement économique et<br />
développement durable. Comment pourra-t-on dire aux<br />
Africains qu’ils devront se serrer la ceinture, renoncer aux<br />
énergies fossiles, au gaz, alors qu’ils ne sont responsables<br />
que de 3 % à 4 % des émissions globales ?<br />
Le monde est beaucoup plus complexe que ne<br />
le voudrait le récit occidental. Culturellement, sociétalement,<br />
religieusement, l’humanité est un immense<br />
melting-pot. Le meilleur moyen de défendre l’universalisme,<br />
c’est de prendre en compte la diversité des systèmes<br />
et des pensées, de prendre en compte les injustices<br />
économiques et climatiques, de prendre en compte<br />
les richesses tout autant que les résistances culturelles. Le<br />
chemin sera long. ■<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>435</strong>-<strong>436</strong> – DÉCEMBRE 2022-JANVIER 2023 3