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CINÉ<br />
LE VERGER DES DÉSIRS<br />
La cueillette des figues dans la Tunisie rurale, occasion de dialogues sur<br />
les rapports femmes-hommes et la jeunesse arabe aujourd’hui. Un film<br />
CHORAL ET SOLAIRE qui n’en finit pas de récolter des lauriers…<br />
HENIA PRODUCTION MANEKI FILMS - DR<br />
UN SOLEIL ÉCRASANT, des corps et des visages filmés au<br />
plus près, des discussions et des échanges permanents… La<br />
filiation avec certains films d’Abdellatif Kechiche est évidente,<br />
et même revendiquée par la réalisatrice. Mais Erige Sehiri<br />
[voir son interview pp. 82-87] vient du documentaire : son<br />
premier, La Voie normale (2018), racontait les problèmes d’une<br />
ligne de chemin de fer tunisienne. Elle nous plonge ici en<br />
pleine saison de la récolte des figues dans le nord-ouest rural<br />
du pays, où l’on parle un arabe mâtiné de berbère rarement<br />
entendu au cinéma. Ce ballet des saisonniers (surtout des<br />
saisonnières) dans le bruissement de feuilles offrant une ombre<br />
bienvenue est l’occasion d’échanges vifs et savoureux. Mais<br />
aussi de moments de grâce, voire d’impromptus intégrés à la<br />
narration (un vieux monsieur qui se mêle d'une conversation<br />
sur les rapports hommes-femmes). Il n’y a aucun comédien<br />
professionnel, tous connaissent visiblement les gestes de<br />
ce travail sous les branches, où ils font attention à ne pas<br />
abîmer des fruits fragiles tout en bavardant. Mais c’est une<br />
fiction, même si l’on comprend les dures conditions imposées<br />
à ces ouvriers sous-payés, victimes de harcèlement (sexuel<br />
pour les femmes), et encouragés à la délation contre ceux<br />
qui détournent une partie de la récolte. Une réalité souvent<br />
complexe : face à un garçon qui reproche aux filles leur<br />
voile et l’impossibilité du contact, il y en a une qui défend<br />
son foulard et explique vouloir un mari croyant, viril et<br />
rassurant, tandis qu’une autre affirme son indépendance<br />
en laissant ses cheveux se découvrir sans cesse… Un film<br />
féministe qui donne à entendre le point de vue des hommes<br />
et décrit un destin commun pour ces habitants coincés dans<br />
leur condition sociale. Il y a aussi des chants émouvants et<br />
joyeux, dans cette journée unique – qui occupe tout le film –,<br />
entre l’arrivée et le départ sur les camions qui transportent ce<br />
prolétariat des champs comme du bétail. Une œuvre bucolique<br />
et tragique qui a déjà touché beaucoup de monde : présenté<br />
à Cannes et récompensé dans les festivals de Namur et de<br />
Carthage notamment, le film a été choisi pour représenter<br />
la Tunisie aux prochains Oscars. ■ Jean-Marie Chazeau<br />
SOUS LES FIGUES (Tunisie-France),<br />
d’Erige Sehiri. Avec Ameni Fdhili, Samar Sifi,<br />
Leila Ohebi, Abdelhak Mrabti. En salles.<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>435</strong>-<strong>436</strong> – DÉCEMBRE 2022-JANVIER 2023 9