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INTERVIEW<br />
<strong>AM</strong> : D’où vient l’idée de cette carte blanche,<br />
Invasive Micro-organisms ?<br />
Nnenna Okore : Quand on m’a invitée à Paris pour AKAA,<br />
j’ai saisi l’occasion de présenter un travail sur un sujet que les<br />
artistes africains contemporains n’abordent pas beaucoup, c’està-dire<br />
l’omniprésence du plastique dans notre environnement.<br />
Nous avons un vrai problème sur le continent : il est partout,<br />
les déchets envahissent nos quartiers et nos sources d’eau, les<br />
microplastiques finissent dans nos assiettes, et pourtant on n’en<br />
parle pas sérieusement. À Chicago, où je vis, on a des options<br />
pour recycler nos déchets, mais ce n’est pas le cas en Afrique.<br />
La population et l’environnement souffrent de plus en plus à<br />
cause de la présence du plastique, mais aussi à cause des effets<br />
nocifs liés à sa production. Néanmoins, j’ai l’impression qu’on<br />
préfère nier le problème. Les artistes du continent sont souvent<br />
connus parce qu’ils créent des œuvres engagées, qui touchent<br />
à des enjeux sociaux et politiques, mais je remarque qu’ils ne<br />
font qu’effleurer la question écologique – et celle du plastique<br />
en particulier – ainsi que la façon dont ces problèmes impactent<br />
notre quotidien.<br />
Pourtant, un certain nombre<br />
de plasticiens travaillent à partir<br />
de matériaux de récupération.<br />
Ce n’est pas une façon d’aborder<br />
le problème ?<br />
C’est vrai qu’il y a une tendance à<br />
travailler sur les matières. Beaucoup<br />
d’artistes sont conscients des problèmes<br />
écologiques, et donc adeptes du recyclage.<br />
Déjà, quand j’étudiais au Nigeria,<br />
on nous incitait à nous servir de ce qui<br />
nous entourait pour réaliser nos créations.<br />
C’est ma rencontre à l’époque avec<br />
El Anatsui qui m’a d’ailleurs poussée à<br />
voir à quel point les éléments de mon<br />
quotidien pouvaient faire partie intégrante<br />
des œuvres d’art. Mais la réalité<br />
est que la plupart utilisent des matières<br />
de récupération pour parler d’autres<br />
sujets. Ils ne mettent pas les enjeux liés<br />
aux changements climatiques au centre<br />
de leurs discours. Mon approche est différente,<br />
car je veux me confronter directement à cette problématique<br />
et provoquer une prise de conscience dans le public.<br />
Dans ce cas, avec Invasive Micro-organisms, j’ai voulu créer un<br />
parallélisme entre le plastique qui est omniprésent dans nos<br />
vies, se répand partout en polluant notre environnement, et<br />
un micro-organisme qui remplit tous les espaces vides, comme<br />
un nuisible envahissant. J’ai réalisé l’installation avec des sacs<br />
plastiques qui traînaient à la maison : j’en avais tellement que<br />
je n’ai pas dû aller chercher plus loin pour compléter l’œuvre !<br />
Je tenais également à être présente à Paris pour pouvoir parler<br />
« J’aimerais<br />
que les<br />
institutions<br />
culturelles<br />
donnent<br />
plus de place<br />
aux œuvres<br />
inclusives et<br />
interactives. »<br />
de ce projet avec le public et les autres artistes, pour provoquer<br />
des réactions, stimuler le débat. Je crois que j’ai en partie<br />
atteint mon objectif.<br />
Alors que vous êtes connue pour votre travail<br />
avec les matériaux naturels, c’est un peu étonnant<br />
de voir que l’une de vos œuvres est faite<br />
de plastique. Comment évolue votre pratique ?<br />
Je pars toujours du principe que mes œuvres doivent avoir<br />
un impact sur les spectateurs. Ma façon de travailler évolue<br />
constamment, mais j’ai toujours une approche visuelle, qui met<br />
l’accent sur la texture de mes créations. Que ce soit à partir<br />
d’argile, de corde, de toile de jute ou de bâtons et papier, j’utilise<br />
des procédés qui me permettent de créer des œuvres abstraites<br />
mais avec une touche théâtrale qui attire et interpelle le spectateur.<br />
J’ai l’habitude de manipuler beaucoup les matières, de les<br />
coudre, les tisser, les tordre, pour redonner de la valeur à ce qui<br />
a été laissé à l’abandon ou considéré comme un déchet. J’aime<br />
aussi expérimenter avec de nouveaux matériaux. À terme,<br />
je voudrais par exemple utiliser du bioplastique fait avec des<br />
déchets alimentaires pour créer des objets concrets, que les personnes<br />
peuvent manipuler. Mais j’en suis<br />
encore au stade de recherche : chez moi, je<br />
fais des expériences avec des déchets organiques,<br />
comme des bananes ou des fruits<br />
rouges, pour créer des formes et des couleurs,<br />
des pigments naturels à utiliser dans<br />
mes nouveaux projets. Je crois que c’est<br />
important pour les artistes de s’interroger<br />
sur l’impact de notre pratique sur l’environnement.<br />
On a l’habitude d’employer des<br />
peintures et teintures toxiques, alors qu’on<br />
pourrait développer des outils eco-friendly,<br />
efficaces et naturels.<br />
Le fait d’utiliser de la matière<br />
organique pour des œuvres<br />
ne les rend-il pas trop fragiles ?<br />
Je ne crois pas qu’une œuvre d’art doive<br />
forcément durer éternellement. Nos vies<br />
sont courtes, et l’art doit aussi faire partie<br />
de ce cercle de la vie. Je conçois le travail<br />
artistique comme une partie intégrante de<br />
la façon dont nous vivons nos existences,<br />
qui sont éphémères. Beaucoup de mes sculptures évoquent des<br />
fleurs ou des plantes et renvoient directement à cette idée. Elles<br />
paraissent fragiles, mais elles ne le sont pas tant que ça. C’est<br />
aussi parce que j’aime l’idée que les spectateurs puissent interagir<br />
avec les objets que je crée. Mes installations, par exemple,<br />
sont immersives. Je mélange les odeurs, les sons, les vidéos<br />
et les lumières, et j’adore quand le public a la possibilité de se<br />
déplacer physiquement dans l’une elles. Parce que cela crée une<br />
connexion avec l’art et pousse à apprendre des choses à travers<br />
l’expérience sensorielle. J’aimerais que les institutions culturelles<br />
96 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>435</strong>-<strong>436</strong> – DÉCEMBRE 2022-JANVIER 2023