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AM 435-436

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INTERVIEW<br />

<strong>AM</strong> : D’où vient l’idée de cette carte blanche,<br />

Invasive Micro-organisms ?<br />

Nnenna Okore : Quand on m’a invitée à Paris pour AKAA,<br />

j’ai saisi l’occasion de présenter un travail sur un sujet que les<br />

artistes africains contemporains n’abordent pas beaucoup, c’està-dire<br />

l’omniprésence du plastique dans notre environnement.<br />

Nous avons un vrai problème sur le continent : il est partout,<br />

les déchets envahissent nos quartiers et nos sources d’eau, les<br />

microplastiques finissent dans nos assiettes, et pourtant on n’en<br />

parle pas sérieusement. À Chicago, où je vis, on a des options<br />

pour recycler nos déchets, mais ce n’est pas le cas en Afrique.<br />

La population et l’environnement souffrent de plus en plus à<br />

cause de la présence du plastique, mais aussi à cause des effets<br />

nocifs liés à sa production. Néanmoins, j’ai l’impression qu’on<br />

préfère nier le problème. Les artistes du continent sont souvent<br />

connus parce qu’ils créent des œuvres engagées, qui touchent<br />

à des enjeux sociaux et politiques, mais je remarque qu’ils ne<br />

font qu’effleurer la question écologique – et celle du plastique<br />

en particulier – ainsi que la façon dont ces problèmes impactent<br />

notre quotidien.<br />

Pourtant, un certain nombre<br />

de plasticiens travaillent à partir<br />

de matériaux de récupération.<br />

Ce n’est pas une façon d’aborder<br />

le problème ?<br />

C’est vrai qu’il y a une tendance à<br />

travailler sur les matières. Beaucoup<br />

d’artistes sont conscients des problèmes<br />

écologiques, et donc adeptes du recyclage.<br />

Déjà, quand j’étudiais au Nigeria,<br />

on nous incitait à nous servir de ce qui<br />

nous entourait pour réaliser nos créations.<br />

C’est ma rencontre à l’époque avec<br />

El Anatsui qui m’a d’ailleurs poussée à<br />

voir à quel point les éléments de mon<br />

quotidien pouvaient faire partie intégrante<br />

des œuvres d’art. Mais la réalité<br />

est que la plupart utilisent des matières<br />

de récupération pour parler d’autres<br />

sujets. Ils ne mettent pas les enjeux liés<br />

aux changements climatiques au centre<br />

de leurs discours. Mon approche est différente,<br />

car je veux me confronter directement à cette problématique<br />

et provoquer une prise de conscience dans le public.<br />

Dans ce cas, avec Invasive Micro-organisms, j’ai voulu créer un<br />

parallélisme entre le plastique qui est omniprésent dans nos<br />

vies, se répand partout en polluant notre environnement, et<br />

un micro-organisme qui remplit tous les espaces vides, comme<br />

un nuisible envahissant. J’ai réalisé l’installation avec des sacs<br />

plastiques qui traînaient à la maison : j’en avais tellement que<br />

je n’ai pas dû aller chercher plus loin pour compléter l’œuvre !<br />

Je tenais également à être présente à Paris pour pouvoir parler<br />

« J’aimerais<br />

que les<br />

institutions<br />

culturelles<br />

donnent<br />

plus de place<br />

aux œuvres<br />

inclusives et<br />

interactives. »<br />

de ce projet avec le public et les autres artistes, pour provoquer<br />

des réactions, stimuler le débat. Je crois que j’ai en partie<br />

atteint mon objectif.<br />

Alors que vous êtes connue pour votre travail<br />

avec les matériaux naturels, c’est un peu étonnant<br />

de voir que l’une de vos œuvres est faite<br />

de plastique. Comment évolue votre pratique ?<br />

Je pars toujours du principe que mes œuvres doivent avoir<br />

un impact sur les spectateurs. Ma façon de travailler évolue<br />

constamment, mais j’ai toujours une approche visuelle, qui met<br />

l’accent sur la texture de mes créations. Que ce soit à partir<br />

d’argile, de corde, de toile de jute ou de bâtons et papier, j’utilise<br />

des procédés qui me permettent de créer des œuvres abstraites<br />

mais avec une touche théâtrale qui attire et interpelle le spectateur.<br />

J’ai l’habitude de manipuler beaucoup les matières, de les<br />

coudre, les tisser, les tordre, pour redonner de la valeur à ce qui<br />

a été laissé à l’abandon ou considéré comme un déchet. J’aime<br />

aussi expérimenter avec de nouveaux matériaux. À terme,<br />

je voudrais par exemple utiliser du bioplastique fait avec des<br />

déchets alimentaires pour créer des objets concrets, que les personnes<br />

peuvent manipuler. Mais j’en suis<br />

encore au stade de recherche : chez moi, je<br />

fais des expériences avec des déchets organiques,<br />

comme des bananes ou des fruits<br />

rouges, pour créer des formes et des couleurs,<br />

des pigments naturels à utiliser dans<br />

mes nouveaux projets. Je crois que c’est<br />

important pour les artistes de s’interroger<br />

sur l’impact de notre pratique sur l’environnement.<br />

On a l’habitude d’employer des<br />

peintures et teintures toxiques, alors qu’on<br />

pourrait développer des outils eco-friendly,<br />

efficaces et naturels.<br />

Le fait d’utiliser de la matière<br />

organique pour des œuvres<br />

ne les rend-il pas trop fragiles ?<br />

Je ne crois pas qu’une œuvre d’art doive<br />

forcément durer éternellement. Nos vies<br />

sont courtes, et l’art doit aussi faire partie<br />

de ce cercle de la vie. Je conçois le travail<br />

artistique comme une partie intégrante de<br />

la façon dont nous vivons nos existences,<br />

qui sont éphémères. Beaucoup de mes sculptures évoquent des<br />

fleurs ou des plantes et renvoient directement à cette idée. Elles<br />

paraissent fragiles, mais elles ne le sont pas tant que ça. C’est<br />

aussi parce que j’aime l’idée que les spectateurs puissent interagir<br />

avec les objets que je crée. Mes installations, par exemple,<br />

sont immersives. Je mélange les odeurs, les sons, les vidéos<br />

et les lumières, et j’adore quand le public a la possibilité de se<br />

déplacer physiquement dans l’une elles. Parce que cela crée une<br />

connexion avec l’art et pousse à apprendre des choses à travers<br />

l’expérience sensorielle. J’aimerais que les institutions culturelles<br />

96 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>435</strong>-<strong>436</strong> – DÉCEMBRE 2022-JANVIER 2023

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