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AM 435-436

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CE QUE J’AI APPRIS<br />

Thomas Bimaï<br />

LE DANSEUR FRANCO-C<strong>AM</strong>EROUNAIS<br />

signe la chorégraphie de la comédie musicale Black Legends,<br />

qui retrace l’histoire des musiques afro-américaines et des luttes<br />

qu’elles ont accompagnées. propos recueillis par Astrid Krivian<br />

Je suis né à Douala, entouré d’odeurs, de bruits, de danses. Les gens s’expriment à travers<br />

le corps, le visage, les mains. La danse en Afrique, c’est organique et ça relève souvent de la transe. Ce n’est pas<br />

une discipline que l’on apprend, elle fait partie de notre culture. Elle coule dans nos veines. Je danse parce que je<br />

suis. Je suis ce que je danse. Le Cameroun m’a donné cette lecture du corps. Ces images d’enfance restent gravées<br />

en moi. Elles me sont revenues quand j’ai commencé à danser en France, où je suis arrivé à 6 ans. Aujourd’hui,<br />

elles me servent même à guider des danseurs français qui ne verront peut-être jamais ce pays.<br />

Pour de nombreux chorégraphes, la technique est importante. À mes yeux, c’est la justesse<br />

qui compte. Quand je travaille un mouvement, je ne cherche pas une technique précise, un style. Avec mes<br />

danseurs, on s’évertue à trouver le juste, à défendre le propos. Je mets mes<br />

connaissances, ma formation de danse académique et urbaine, au service de<br />

l’histoire. Le geste pour le geste ne m’intéresse pas. J’aime danser pour des projets<br />

engagés, comme pour Madiba, le musical, en hommage à Nelson Mandela.<br />

Je suis pratiquement le seul chorégraphe noir dans le milieu<br />

des comédies musicales actuellement en France. Et je signe la chorégraphie<br />

d’un spectacle sur l’histoire des Noirs américains, comme si je ne pouvais pas<br />

être crédible sur d’autres projets. Alors que j’ai le même parcours que les autres,<br />

et que j’ai des idées, un propos. Défendre Black Legends m’aide aussi à me défendre.<br />

Et d’affirmer : je suis là, je n’ai pas honte, j’ai des choses à dire. En 2022, le combat<br />

n’est pas fini, non seulement pour les Noirs mais aussi pour toutes les minorités.<br />

Ce spectacle leur dit : vous existez, continuez la lutte, car les choses évoluent.<br />

L’histoire afro-américaine ne concerne pas que les<br />

Américains : c’est l’histoire du monde, du peuple noir. Enfant, j’ai été bercé par<br />

ces musiques afro-américaines. Elles tournaient en boucle sur la platine de mon<br />

père, me faisaient danser. Bien plus que des chansons, elles représentent des instants de mon cheminement.<br />

Black Legends, Théâtre Bobino,<br />

Paris, jusqu’au 8 janvier.<br />

Avant d’entrer en scène, j’ai mon rituel. Je fais des pompes, des abdos, du gainage, de la méditation.<br />

J’établis une dimension spirituelle avec mon corps, afin de me calmer, d’évacuer le stress, l’énergie négative,<br />

et surtout, de communiquer avec lui, me centrer.<br />

On voudrait que je choisisse entre mes deux identités. Mais je me situe en équilibre sur<br />

une ligne, entre mes deux cultures, où je puise mes richesses. Ma puissance, ma réflexion sont camerounaises,<br />

mon intelligence est française. Au Cameroun, on me perçoit comme un Français, un mbenguiste. Je l’accepte.<br />

Et en France, on me demande sans cesse mes origines, ce qui sous-entend que je ne suis pas d’ici. Je l’accepte<br />

aussi. Je ne suis pas perdu ! Je suis juste au milieu, un pont reliant deux mondes. Ma spiritualité camerounaise<br />

me permet de gérer le tangible en France, et vice-versa. J’effectue cette passation à travers la danse. ■<br />

DR<br />

66 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>435</strong>-<strong>436</strong> – DÉCEMBRE 2022-JANVIER 2023

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