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AM 435-436

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econstituer le stock énergétique. C’est un transfert d’énergie,<br />

pour représenter dans son entièreté ce à quoi l’objet servait,<br />

selon les valeurs africaines.<br />

Vous avez été nommé administrateur de la chaire<br />

des littératures et des arts africains à l’Académie du<br />

Royaume du Maroc. En quoi consistent vos actions ?<br />

Nous sommes partis d’abord du constat que les littératures<br />

africaines sont pratiquées, ou en tout cas exposées et souvent<br />

magnifiées à l’extérieur. Le continent apparaît comme le<br />

sous-traitant de son propre mécanisme de création, de mise à<br />

distance de ce qu’il promeut ailleurs. Et n’en retire donc pas<br />

de prix. Aucun de nos grands penseurs financiers du FMI ne<br />

déplore cette situation ! Ils n’ont rien dit sur la déstructuration<br />

des termes des imaginaires. Donnons-leur l’occasion de pouvoir<br />

résoudre une équation sur les créations africaines et leur impact<br />

en économie. Cette expérience de la chaire est de modifier ce<br />

constat. Ces littératures sont elles-mêmes issues d’une histoire<br />

et d’une géopolitique imposée, subie, elles portent des chapelles<br />

différentes, lesquelles sont linguistiques. Du coup, elles produisent<br />

leur propre mécanisme de sauvegarde, de défense, de<br />

concurrence, de compétition – la francophonie, l’anglophonie,<br />

la lusophonie, l’arabophonie… Donc plusieurs blocs sont dans<br />

une espèce de guerre froide des cultures, qui n’est pas nommée.<br />

L’Académie veut en sortir afin de réchauffer l’Afrique par ses<br />

propres créations et les réinjecter, notamment à travers des<br />

colloques, en conviant les acteurs, quelle que soit leur langue,<br />

à mener une conversation à partir d’une thématique.<br />

Comment décloisonner les barrières linguistiques ?<br />

Pour que tout le monde puisse être relié, cela nécessite des<br />

investissements, car le travail de traduction est important. Mais<br />

cette vision du décloisonnement n’est pas seulement linguistique,<br />

économique, elle est aussi géographique. Des aires culturelles,<br />

des mosaïques existent, il faut sortir des caricatures et des<br />

schémas obsolètes, pour une nouvelle expérience de l’Afrique.<br />

La chaire est constituée d’outils académiques et d’un pôle de<br />

spectacles vivants (danses, rites, peintures, expositions…).<br />

Nous nous adressons aux doctorants et enseignants-chercheurs,<br />

mais aussi aux populations. Il faut faire circuler les imaginaires,<br />

comme les caravanes d’antan, dans des dynamiques qui ne<br />

soient pas construites sur des oppositions ou la volonté d’imposer<br />

un ordre à partir d’un pays. Certains appellent ça le soft<br />

power, pour moi, c’est la séduction des imaginaires. Les imaginaires<br />

sont comme du miel, les artistes, les écrivains sont de<br />

fantastiques abeilles. Il faut donc que leur miel soit mis à disposition<br />

de ce continent, à travers une opération qui rassemble,<br />

pour que cette diversité soit enchanteresse. L’Afrique regroupe<br />

toute une mosaïque de peuples, de cultures. Cette diversité,<br />

cette pluralité doivent être considérés comme un patrimoine<br />

mondial à sauvegarder. Un cocktail non pas explosif, mais<br />

expansif. Et la dimension diasporique est bien présente dans<br />

cet esprit. La culture est un méga instrument pour faciliter les<br />

reconnaissances et les conversations.<br />

« Il faut faire<br />

circuler les<br />

imaginaires,<br />

comme les caravanes<br />

d’antan, dans<br />

des dynamiques<br />

qui ne soient pas<br />

construites sur<br />

des oppositions. »<br />

Dans l’ouvrage collectif Qu’est-ce que l’Afrique ?<br />

que vous avez coordonné et qui est paru en mai<br />

dernier, vous adressez une réponse à Victor Hugo.<br />

En 1879, lors d’un banquet commémoratif de l’abolition<br />

de l’esclavage, l’écrivain déclarait notamment :<br />

« L’Afrique n’a pas d’histoire ; une sorte de légende<br />

vaste et obscure l’enveloppe. […] Dieu donne<br />

l’Afrique à l’Europe. Prenez-la. »<br />

Ce discours a modelé les esprits. Il s’est notamment appuyé<br />

sur des conceptions philosophiques hégéliennes : quand Hegel<br />

écrit La Raison dans l’Histoire, il évacue l’Afrique. L’esthétique,<br />

le politique, le dynamique appartiennent à l’Occident. On vit sur<br />

cet héritage, confortable : certains diraient que c’est une rente<br />

mémorielle. C’est une indication erronée sur laquelle beaucoup<br />

ont prospéré. On est dans un immobilisme et une projection<br />

de ce qui est, au mieux un poids, au pire une immense catastrophe.<br />

Et l’Occident se fait fort de remédier à cette situation,<br />

en indiquant en permanence ce que l’Afrique doit faire. Victor<br />

Hugo a oublié que le continent qu’il dépeint comme sombre et<br />

sans histoire, existait avant l’arrivée des explorateurs. Sa longue<br />

histoire se poursuit malgré les soubresauts et les étiquettes respectives<br />

et biaisées qu’on lui a collées. Je réponds ainsi à Victor<br />

Hugo. En même temps, je sais que les visions suprémacistes,<br />

ou hégémoniques, sont un constat et font partie de l’arsenal<br />

géopolitique. Peut-être que le continent doit s’affirmer plus,<br />

être un peu plus visible en montrant ses muscles : la culture.<br />

L’Afrique n’est pas à prendre, elle est à apprendre : finissons<br />

avec la prédation, entrons dans l’apprentissage. Sa diversité<br />

est une immense richesse, non seulement pour elle mais aussi<br />

pour l’humanité. ■<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>435</strong>-<strong>436</strong> – DÉCEMBRE 2022-JANVIER 2023 81

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