Exode (des Kurdes d'Irak) - Institut kurde de Paris
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REVUE DE PRESSE-PRESS REVlEW-BERHEvOKA ÇAPÊ-RMSTA STAMPA-DmâRO DE LA PRENSA-BASINÖzETi<br />
LE 28 MARS, LES UNITES D'ELITE DE SADDAM AVAIENT REPRIS KIRKOUK ET MARCHAIENT<br />
SUR ARBIL<br />
Retour dans la ville d'Balabja, gazée en 1988<br />
Le 16 mars 1988,Saddam Hussein utilisait, pour la première fois, son arsenal chimique<br />
contre une population civile. En ce .bref printemps <strong>kur<strong>de</strong></strong>, certains <strong>de</strong>' ses habitants<br />
qui l'avaient quittée alors, reviennent. Et se souviennent.<br />
Hälabjil, envoyé spéCial .<br />
,osar Marouf a eu trOis ans le<br />
17 mars 1991. C'est un petit.<br />
garçon aux cheveux roux et<br />
bouclés, au teint pâle. Il a du.<br />
mal à sourire, intiinidé probablement,<br />
fatigué aussi par:<br />
le voyage à l'arrière d'une<br />
:camionnette sur les genoux <strong>de</strong> sa<br />
mère, elle-même coincée entre <strong><strong>de</strong>s</strong>'<br />
ballots <strong>de</strong> vêtements, quelques meu-.<br />
bles et <strong><strong>de</strong>s</strong> ustensiles <strong>de</strong> cuisine, autrement<br />
dit tous les biens <strong>de</strong> la famille<br />
Marour. .<br />
Après trois années passées chez les:<br />
.autres, vivant à huit -le père, la<br />
mère, trois garçons, trois filles - dans<br />
une seule pièce, Mohamed Mahmoud'<br />
Marouf a décidé <strong>de</strong> ramener les siens à<br />
la maispn, Maintenant qu'à Arbil,<br />
comme ~ SJiaYlJlaniah, à Rawandouz<br />
-20mme à Dohouk et jusqu'à Kirkouk •.<br />
lb, pesl1l1lergas avaient chassé les oc- .<br />
(;upi\nts <strong>de</strong> Bagdad <strong><strong>de</strong>s</strong> rues com~e<br />
:<strong><strong>de</strong>s</strong>~bêtes, maintenant que le Kurdls-<br />
:ici'ri était libre, il était temps <strong>de</strong> le,<br />
.reconstruire. Enfin on allait revivre.'<br />
Retrouver sa ville, sa maison. Même<br />
.s'il fallait d'abord en balayer les<br />
ruines .<br />
. Il n'y avait pas que la famille Marouf:<br />
.qui ait décidé <strong>de</strong> retourner à Halabja. '.<br />
Tout au long du chemin, sur la route<br />
.<strong>de</strong> Sulavmaniah, nous avions doublé<br />
d'invraï'semblable:wéquipagés, <strong><strong>de</strong>s</strong> cao'<br />
mions croulant sous les bagages aux'<br />
tracteurs traînant une remorque <strong>de</strong>.<br />
vieilles planches, et chaque fois emportant<br />
qui vingt, qui trente ou cin-'<br />
quarite passagers. Voilà une semaine<br />
que cela durait.<br />
. Au début, les responsables kur<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong><br />
la région avaient tenté <strong>de</strong> diss!la<strong>de</strong>r les:<br />
'candidats au retour. «Les rumes peuvent<br />
cacher <strong><strong>de</strong>s</strong> bombes qui n'ont pas<br />
explosé, exposait l'un d'eux à Sulay-<br />
: mania. On ignore aussi combien <strong>de</strong><br />
'.corps sont toujours ensevelis sous les<br />
. décombres. Il n'y a ni eau, ni électricité.<br />
pratiquement pas un endroit pro~<br />
pre pour dormir. Mais comment em"<br />
:pêcher les gens <strong>de</strong> revenir?»<br />
. Halabja ètait le souvenir maudit. La<br />
marque ineffaçable <strong>de</strong> l'horreur. lei, le .<br />
16 mars 1988 (la chronique a retenu<br />
.généralement la date du 17, mais tous<br />
:1esrécits <strong><strong>de</strong>s</strong> témoins s'accor<strong>de</strong>nt pour<br />
dater le bombar<strong>de</strong>ment meurtrier du<br />
'16), l'aviation <strong>de</strong> Saddam Hussein a,<br />
:pour la premi~re fois, utilisé son arse-<br />
nal. chimique'J'usqu.'alors réservé au corn bats .eroces' fi' se d' erou l' aient dans' Hahibia, 'il y a'ëu <strong><strong>de</strong>s</strong> explosionsët<br />
J<br />
fl'ont <strong>de</strong> la guerre Iran-Irak, contre ..esenvlrons, I . d' au t res VI '11 age('!setaIent<br />
.•. aussitôt une gran<strong>de</strong> fumée s'est répan-<br />
une population civile, sans même le.enus<br />
'i,<br />
se re'f" ugIer a H aIa b' Ja sur l' e. due. J'ai couru vers la maison, tous les<br />
,prétexte d'une présence ou d'un enjeu . '" '''h' emm <strong>de</strong> 1'1ran. Bagdad coneen. t rai: 't -ns du village s'enfuyaient déià. J'ai.<br />
ö- J<br />
militaire. Les gaz mortels jetés sur,' l, es troupes dl'" ans a regIOn, eth' c acun, retrouvé m.a mère et mes sœurs, nous'<br />
Halabjaet le petit village voisin'<strong>de</strong>'pressentalt qu'une<br />
.<br />
epreuve terrible se;<br />
. :s.ommes partis ensemble. Nous étions<br />
A,riap' ont fait quelque 5000 morts, i:préparait, dont les Kur<strong>de</strong>.s seraient :'â:.peu près sur ce chemin en bas du:<br />
.estimation habituellement jugée en. .une " lOIS . d e plüs les victim~s désignées. . :c,imetière quand les bombes sont toIil- ,.:<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong>sous <strong>de</strong> la réalité par la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong>' S'attendant au pire, les peshmergas <strong>de</strong>: :'bées aussi sur le '{illage et puis j'ai vu<br />
témoins. Halabja se retirèrent après avoir: :lIne fumée grise et jaune qui <strong><strong>de</strong>s</strong>cen-<br />
.. Pour les Kur<strong><strong>de</strong>s</strong>, aucun doute n'est ;averti les onze à quinze mille habitants: ;dait <strong>de</strong> la colline. Je courais, je croyais<br />
.d I '11 '1 l' . ici. ue les. autres me suivaient. Il y a eu :<br />
possible. Le massacre chimique <strong>de</strong> " e a VI e qu'l va alt mieux partir. ' :rl.ne forte explosion tout près, je suis<br />
Halabja avaitété rigoureusement pla- . En 1.975, puis en 1983, Saddam Hus- .' ,<br />
nifié, Il n'était du reste que le com- . sein avait montré qu'il ne reculait :\ombé. Quand je me suis releve, j'ai'<br />
d . ... ~perçu mes <strong>de</strong>ux sœurs à une cinquan- .<br />
mencement d'une répression impi-' . evant nen. Avec Halabja, il à proùvè~iaine <strong>de</strong> mètres <strong>de</strong>rrière moi. Elles •<br />
t~yable qui allait se poursuivre durän'f~ jusqu'où il était capable d'aller, dès 'étaient couchées sur le dos avec <strong><strong>de</strong>s</strong>'<br />
toute la secon<strong>de</strong> moitié <strong>de</strong> l'année' )ors qu'il s'agissait cette fois <strong>de</strong> « pu-' "petites gouttes <strong>de</strong> sang sorties <strong>de</strong> leur'<br />
'1988, une "Ol'Sa'ch'eve'e la guerre avecnir» les Kur<strong><strong>de</strong>s</strong>, testant à l'occasion . d' ., Il<br />
Il I .. d I :.nez.j'ai tout e sUIte compns qu e es:<br />
l'Iran, "al'sant <strong><strong>de</strong>s</strong> dl'lal'nes <strong>de</strong> ml'Ill'ers es reactIOns e a communauté l' .. . .<br />
l'\étaient mortes, a trolSleme aussI.<br />
<strong>de</strong> VI'ctl'mes,etJ'etant sur les routes cent. internationale. . .. 'J l' .'<br />
C ". I . ,.. . ..Alors J'al vu ma mere. e ne aurais;<br />
ou <strong>de</strong>ux cent ml'lle Kur<strong><strong>de</strong>s</strong> do nt les ette lOIS e.cnme n etalt pas passe \ l' "1 Il<br />
. T'h' . t -I 't "pas reconnue, je vous e Jure, sie e<br />
vl'Ilages, pre's <strong>de</strong> 4000 ml'lle en tout, maperçu. e eran, qUI con ro al en- , , " -, d .<br />
1~ t .. "t 'n'avait pas ete a cote e ma petite:<br />
avaient été systématiquement dyn.a-' core'f s~c t;ur,prgamsa .une VISIe. Ell" Id' .<br />
ml<br />
'te's. . guidée ''tJour 1;1 presse mondiale. Les sœur. e n avait pus e visage et'<br />
. d l'h bid' fi l' :~tout son corps était comme du bois'<br />
A ce bl'lan monstrueux, 1'1 convl'ent 'Images e . orreur a so ue e er e- . . ". d<br />
' l ' ," d' d E "çarbonise. Je croIs que c eta!t u na- d'ajouter la masse <strong><strong>de</strong>s</strong> disparus. D~ . ;.~~~u~Ut~~~~ses ~cra:~s u/mon e. t '-palm.» .<br />
bonnes sources les estiment à cent. . Aujourd'hui. sur les collines aux \: Ahmed continuait <strong>de</strong> disposer les:<br />
mille, déportés dans le désert, du côté, pentes ru<strong><strong>de</strong>s</strong> qui dominent Halabja :petits sacs blancs bien parallèlement<br />
<strong>de</strong> la frontière saoudienne, vers l'Est, les premières fleurs du prin- :au trou. « Regar<strong>de</strong>z », dit-iL Ce n'était,<br />
A la veille du printemps <strong>de</strong> 1988, on: :temps égayaient l'herbe drue. Effet. ~pas regardable. Comme s'il avait pressentait<br />
déjà que la guerre Iran-Irak '<strong><strong>de</strong>s</strong> bombar<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> 1988, les ar-' :senti une question que nul n'oserait<br />
touchait à sa fin. L'Irak reprenait bres, définitivement <strong><strong>de</strong>s</strong>séchés:sans ;.poser, Kamal ajouta: « Après le bomdans<br />
le sud une partie du terrain perdu ,'une feuille ni même la promesse d'un . bar<strong>de</strong>ment, nous les avions enterr.ées<br />
~ais l'Iran gardait ~nco~e .ses posi- ,bourgeon, auraient dû passer pour 'ensemble, en laissant <strong><strong>de</strong>s</strong> repères.<br />
.tlons dans le nord. L armee .Iramenne. :simplement tardifs. Deux' hommes. .:Pour être sûr <strong>de</strong> les retrouver, j'ai<br />
:e~ les p~sdaran -l~s «g,ardl.ens <strong>de</strong> las'affairaientprès du petit cimetière qui ,placé à côté <strong><strong>de</strong>s</strong> corps les boucles:<br />
.revolutlOn »-- aV~lent reussi une per-, prolongeait le'village d'Anäp , à un; .-d'oreilles <strong>de</strong> ma sœur et la montre dl';<br />
cée aux c~mfi,~s~nentau~ <strong>de</strong> l'Iran s~r' petit kilomètre à l'est d'Halabja. Ils . ma mère. » Il tenait les pauvres bijoux.<br />
laquelle Ils s etalent mamtenus, ~alSnous firent signe d'approcher, et c'est: dans sa main. Pui~, avec une douceur<br />
'ce sont les combattants kur<strong><strong>de</strong>s</strong> Ira- alors que nous vîmes les quatre, "infinie, il les déposa sur l'un <strong><strong>de</strong>s</strong> sacs'<br />
'kiens, dont la plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> dirige~nts: tombes, fraîchement creusées,q'ue le' et, soudain, jeta une pelletée <strong>de</strong> terre<br />
étaien~ alors à Téh.éran, qu.i s'étale~t '. premier commençait à combler tandis' '..sUr le tout. Il y eut uri long silence,<br />
installes dans les villes .et Villages <strong>de</strong>- que te second disposait les sac~ au Pendant tout son récit, Kamal avait ..<br />
.barrassés <strong><strong>de</strong>s</strong> troupes <strong>de</strong> Bagdad. A la fond <strong><strong>de</strong>s</strong> trous. Kamal, le fossoyeur,', gardé la tête baissée. Quand il leva les<br />
:mi-mars, les peshmergas étaient donc. 'nous présentait sari frère Ahmed.: yeux, les larmes avaient creusé <strong>de</strong>ux<br />
tnstallés dans Halabja. '.' « N aus enterrons ma mère et mes trois :'Sillons clairs dans la poussière <strong>de</strong> terre.<br />
':Au pied <strong><strong>de</strong>s</strong> montagnes qui mar-.sœurs. Nous habitoQs le village d'à: è.qui lui collait au visage. «Tout le'<br />
:quent la frontière naturelle entre 'côté. Nous sommes revenus hier, nous: . :'.inon<strong>de</strong> a parlé <strong>de</strong> Halabja, il ne faut<br />
l'Iran et l'Irak, Halabja était aupara-, ~allons reconstruire notre maison" ,:pas oublier Anap. Bien sûr, nous ne..<br />
;vant une grosse bourga<strong>de</strong> <strong>de</strong> 70000' mais avant nous voulions leur donner: .sommes qu'un petit village. Avant, il y<br />
,habitants vivant <strong><strong>de</strong>s</strong> ressource~ agri- .une vraie sépulttlre.» .::rait 500 ha?itants. 275 sont ~orts le,<br />
:Colesd'une plaine parmi les plus fer- Cet après-midi du 16 mars 1988;, :16 I?ars. MaiS nous reconstrUIrons les<br />
:tiles <strong>de</strong> la région. Cité <strong>kur<strong>de</strong></strong>, c'était Kamal ne l'oubliera pas. « Les avions. ,maisons. »<br />
:a,ussi une ville <strong>de</strong> passage et <strong>de</strong> bras-sont arrivés un peu avant le coucher: :( Enterrer ses morts pour reprendre la<br />
~age, mais la guerre entre l'Iran et du soleil. l'étais près d'ici à ce mo- ~'Iié,cela rèsonnait comme un message.<br />
l'Irak ruina la ville, dont près <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>ux 'ment-là. Il y en avait vingt-cinq, je les1{üjabja n'avait pas oublié. Halabja<br />
tiers <strong><strong>de</strong>s</strong> habitants avaient fui pour se. \Iicomptés. Desjels russes et <strong><strong>de</strong>s</strong> petits ;,p'oublierait probablement jamais.:<br />
'réfugier à Sulaymaniah ou dans les :avions à hélices, <strong><strong>de</strong>s</strong> Pi/alus. Ils vo- Mais cette fois, ce n'était plus une ville.<br />
:villages alentour. A l'inverse, dans les :laient lentement et bas, comme pour: "Iian:tée par <strong><strong>de</strong>s</strong> fantômes. Les ombres<br />
premiers jpurs <strong>de</strong> ma~sdl,lgrs @e:4esJ,ln~pa!a<strong>de</strong>. Qua!ld ils.s()ntarrlyés sur: :~~f~gitélie~t all. crépuscule ce soir.<br />
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