Exode (des Kurdes d'Irak) - Institut kurde de Paris
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Les ministres <strong><strong>de</strong>s</strong> affaires ~trangè"es <strong><strong>de</strong>s</strong> Douze, "'~unis lundi<br />
15 avril ~ Luxembourg, ont propos~ que le pr~si<strong>de</strong>nt irakien Saddam<br />
Hussein soit jug~ pour «tentative <strong>de</strong> g~noci<strong>de</strong>» contre la<br />
population <strong>kur<strong>de</strong></strong>, aux termes <strong>de</strong> la convention <strong><strong>de</strong>s</strong> Nations unies<br />
<strong>de</strong> 1948. Entre 400 et 1 000 r~fugi~s kur<strong><strong>de</strong>s</strong> meurent chaque<br />
jour aux abords <strong>de</strong> la frontière irako-turque, «1(1plupart <strong>de</strong> mala-<br />
,dies qui pourraient8tre ~vit~es», a indiqu~ le porte-parole du<br />
d~partement d'Etat ~ Wsshington. Au totsI, plus <strong>de</strong> 2 250 000,<br />
Kur<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>d'Irak</strong> ont quitt~ leurs foyers, selon les <strong>de</strong>rniers chiffres; ,<br />
rendus publics par les organisations humsnitaires ~ Genève.<br />
par Jean-Pierre<br />
Entre l'exil et la peur'<br />
Langellier<br />
Nation orpheline, recrue<br />
d'épreuves, les Kur<strong><strong>de</strong>s</strong> vivent un<br />
,nouveau calvaire, l'un <strong><strong>de</strong>s</strong> pires <strong>de</strong><br />
'leur longue histoire. Familier <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
défaites et <strong><strong>de</strong>s</strong> trahisons, le plus<br />
:nombreux <strong><strong>de</strong>s</strong> peuples sans patrie<br />
'disait n'avoir que ses montagnes<br />
pour .amis.<br />
Dans le nord <strong>de</strong> l'lrak, <strong>de</strong>ux millions<br />
<strong>de</strong> Kur<strong><strong>de</strong>s</strong> l~s ont pourtant<br />
quittées, et affrontent aujou1 d'hui<br />
.1'impossible choix entre l'exil et hi '<br />
mort. Ce n'est ni leur premier<br />
exo<strong>de</strong>, ni la plus grosse - loin <strong>de</strong>,<br />
.Ià - <strong><strong>de</strong>s</strong> hémorragies humaines en<br />
cette fin <strong>de</strong> siècle qui vit s'enfuir"<br />
parmi beaucoup d'autres, dix mil-:<br />
lions <strong>de</strong> Bengalais et six millions<br />
d'Afghans. Mais rarement une,<br />
fuite éperdue aura réuni, si vite,!<br />
tant '<strong>de</strong> mon<strong>de</strong> et dans <strong><strong>de</strong>s</strong> conditions<br />
aussi terribles. En outre, cet<br />
exo<strong>de</strong> <strong>kur<strong>de</strong></strong> diffère <strong><strong>de</strong>s</strong> précé<strong>de</strong>nts<br />
par son ampleur et sa nature. ""<br />
Les 300 000 réfugiés qui en 1975~<br />
trouvèrent asile en Iran étaient,:<br />
pour l'essentiel, liés par la famille'<br />
ou le clan, aux Peshmergas, que le,<br />
'brusque « lâchage» <strong>de</strong> Téhéran:<br />
venait <strong>de</strong> plonger dans la débâcle.'<br />
Les 65 000 villageois échoués en<br />
Turquie en 1988 avaient, eux, survécu<br />
aux bombar<strong>de</strong>ments chi mi.,<br />
- ques qui firent 5 000 morts dans la<br />
région <strong>de</strong> Halabja. Cette fois, c'est<br />
un peuple tout entier - <strong><strong>de</strong>s</strong> paysans:<br />
aux hommes d'affaires - qui a,<br />
abandonné sa terre natale.<br />
Cet exo<strong>de</strong> rappelle, à certains:<br />
égards, celui <strong><strong>de</strong>s</strong> Arabes <strong>de</strong> Pales.'<br />
, tine en 1948. A l'époque, le massa.<br />
cre par l'Irgoun <strong>de</strong> Menahem Be~in<br />
<strong>de</strong> 230 villageois à Oeir- YasslO,<br />
amplifié par la propagan<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
Etats arabes, alimenta une formidable<br />
réaction en chaîne qui aura,<br />
jeté au total sur les routes <strong>de</strong> l'exil<br />
quelque 600 000 personnes, d'autant<br />
plus apeurées qu'ell~s a,vaient<br />
cru à une foudroyante VictOIre sur<br />
les « bandits sionistes».- Traqués,<br />
par les soldats d'un régime dont ils<br />
ont une vieille et amèreexpérience.<br />
terror.i.séJp3r "les pluies <strong>de</strong>,<br />
262<br />
napàlm dies bômbes äü phos-<br />
,phare, les Kur<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>d'Irak</strong> ont, eux,<br />
au'ssi, obéi d'emblée à un réflexe<br />
<strong>de</strong> peur.<br />
Ce parallèle, qu'il serait hasar<strong>de</strong>ux<br />
<strong>de</strong> prolonger, entre la Palestine<br />
<strong>de</strong> 1948 et l'Irak <strong>de</strong> 1991, a un<br />
'mérite: mettre en lumière les risi<br />
ques <strong><strong>de</strong>s</strong> départs précipités. Qua.,<br />
rante-trois ans après ce que les<br />
Palestiniens appellent la « première<br />
calamité», une partie <strong><strong>de</strong>s</strong> réfugiés"<br />
<strong>de</strong> 1948 continuent <strong>de</strong> vivre dans<br />
les camps <strong>de</strong> l'exil, Israël leur<br />
ayant toujours dénié le « droit au'<br />
retour», tandis que le mon<strong>de</strong> arabe<br />
refusait <strong>de</strong> les intégrer. Et près <strong>de</strong><br />
la moitié <strong><strong>de</strong>s</strong> réfugiés kur<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong><br />
1988 se trouvent encore dans les<br />
camps <strong>de</strong> Turquie orientale où<br />
leurs frères en détresse s'apprêtent<br />
à les rejoindre en plus grand nombre.<br />
Arabisation<br />
forcée<br />
L'exil <strong><strong>de</strong>s</strong> Kur<strong><strong>de</strong>s</strong> ne pourrait<br />
que combler d'aise un Saddam<br />
Hussein, soucieux <strong>de</strong>puis toujours<br />
<strong>de</strong> déraciner - au sens fort du<br />
mot - cette minorité trop indocile,<br />
fille d'une nation éclatée sur cinq<br />
pays (Turquie, Irak, Iran, Syrie et<br />
URSS) et qui revendique chez elle<br />
l'autonomie politiq~e et culturelle;<br />
faute d'oser croire"encore à une'.<br />
improbable indépendance <strong>de</strong> l'entière<br />
diaspora. Les Kur<strong><strong>de</strong>s</strong>, qui ont<br />
-la « mémoire- arabe» douloureuse<br />
- leur plus ancien poème connu<br />
décrit les exactions commises au<br />
septième' siècle par l'envahisseur<br />
mahométan - font les frais <strong>de</strong>puis'<br />
près <strong>de</strong> trente ans <strong>de</strong> la politique<br />
d'« arabisiltion» forcée,' que le<br />
parti Baas remet périodiquement à<br />
l'honneur, au nom d'une oppres-:<br />
sive unité nationale. .<br />
'Rompant <strong><strong>de</strong>s</strong> équilibres millé •.<br />
naires entre un peuple montagnard<br />
et ses villages, ses pâturages et ses<br />
vergers, le régime baasiste<br />
regroupa, au cours <strong><strong>de</strong>s</strong> années 70,<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> milliers <strong>de</strong> Kur<strong><strong>de</strong>s</strong> dans <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
« hameaux stratégiques» et en<br />
déporta <strong>de</strong>ux cent mille, ,à l'autre<br />
bout du pays, dans les villages<br />
arabes du Bas.Euphrate. Cesdé.pla-,<br />
cements <strong>de</strong> popula!.i,on ,ét.aient<br />
ILE MONDE la AVRIL 19911<br />
cyriïqucinent légitimés plU <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
considérations politiques - le souci<br />
'd'éloigner les Kur<strong><strong>de</strong>s</strong> d'une région<br />
« sensible» car frontalière et riche<br />
en pétrole ,- ou par les « exigences<br />
du marché interne du travail »,'<br />
comme disait joliment M. Tarek<br />
Aziz en 1975.<br />
En retour, on organisa l'installa.'<br />
,tion <strong>de</strong> colons arabes irakiens sur<br />
'les terres fertiles <strong><strong>de</strong>s</strong> environs <strong>de</strong>,<br />
'Kirkouk et l'on fit même venir,"<br />
avec un sens très particulier du<br />
,panarabisme, <strong><strong>de</strong>s</strong> paysans é~yp-<br />
'tiens et yéménites entre Irbll et,<br />
Soulaymaniyah.<br />
'<br />
Les craintes<br />
d'Ankara<br />
Ces mesures <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> enverguni<br />
aJlaient <strong>de</strong> pair avec une'<br />
répression plus « quotidienne »,<br />
justifiée par la lutte contre la rébellion<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> peshmergas - vergers<br />
incendiés, puits empoisonnés,<br />
sources murées - et qui dégénérait<br />
'parfois en politique <strong>de</strong> la terre<br />
brûlée - 4 000 villages rasés en<br />
1988 - ou en début <strong>de</strong> génoci<strong>de</strong><br />
- 8 000 partisans <strong>de</strong> Massoud Barczani<br />
arrêtés puis « disparus» sans<br />
'laisser <strong>de</strong> trace en 1983. Pour Saddam<br />
Hussein, le dépeuplement du<br />
Kurdistan, résultat d'un exil forcé,<br />
serait une « solution finale» inespérée,<br />
en ces len<strong>de</strong>mains d'h,umiliante<br />
défaite au Koweït. . .<br />
Vue <strong>de</strong> Turquie, l'arrivée à ses<br />
'frontières d'un tel flot humain,<br />
impossible à endiguer, ressemble à<br />
une vengeance démographique<br />
ourdie à Bagdad contre un pays à<br />
la pointe du récent combat antiirakien.<br />
Les craintes d'Ankara sont<br />
'multiples et fondées. L'afflux massif<br />
<strong>de</strong> réfugiés risque d'y déstabiliser<br />
une économie fragile, <strong>de</strong> stimu-,<br />
1er le nationalisme <strong>de</strong> la minorité<br />
<strong>kur<strong>de</strong></strong> - un Turc sur quatre - voire<br />
<strong>de</strong> grossir les troupes du PKK.:<br />
Seule formation <strong>kur<strong>de</strong></strong> ouvertement<br />
indépendantiste, ce '« parti<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> travailleurs du Kurdistan », qui<br />
pratique le terrorisme, est responsable<br />
<strong>de</strong> la mort d'au moins,<br />
2 600 personnes <strong>de</strong>puis 1984.<br />
Les foules kur<strong><strong>de</strong>s</strong> qui, il y a quelques<br />
semaines. lc temps d'une,<br />
éphémère libération, souhaitaient<br />
« longue vie» au « Hadji Bush»<br />
(Bush le sage), maudissent aujourd'hui<br />
le prési<strong>de</strong>nt américain, en<br />
criant à la trahison. Constatant<br />
une nouvelle fois leur solitu<strong>de</strong>, les<br />
Kur<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>d'Irak</strong> n'ont même plus le,<br />
réconfort <strong>de</strong> leurs montagnes<br />
nàtales, où sévit, 'loin <strong>de</strong>rrière eux,<br />
la sol