Sud-Sud
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L’économie agricole permet d’expliquer la tonalité spécifique des textes philosophiques africains. Non<br />
seulement elle posa les bases économiques et sociales et modela l’expérience anthropologique des<br />
premiers hommes, mais aussi l’agriculture lança la dynamique spirituelle qui permit un essor sans<br />
précédent du mouvement civilisateur. Leo Frobenius, Placide Tempels, Léopold Sédar Senghor, etc.,<br />
montrent l’isomorphisme entre la forme de la vie végétale et la forme de la civilisation africaine. Pour<br />
eux, la forme de cette civilisation s’apparente à la vie des plantes qui implique l’idée de germer, pousser,<br />
fleurir, mûrir. Ce que montrent les textes proposés, c’est le fait qu’il est possible que la civilisation agraire<br />
implique, certes, le développement de facultés mentales propres à la mystique ou encore à l’intuition,<br />
mais l’environnement culturel géorgique peut également entraîner une dynamique différente, orientée<br />
vers la saisie des régularités, des lois qui constituent les choses. Tel est par exemple le principal trait<br />
caractéristique des cosmogonies proposées.<br />
La cosmogonie africaine fournit le principe explicatif de tout, y compris l’activité rationnelle de l’homme.<br />
Comme exemple, le traité memphite exalte la puissance créatrice de la pensée, de la raison et de<br />
la volonté. Dans l’analyse du processus de la connaissance, il souligne la place des sensations, de<br />
l’entendement et du langage. Entité intellectuelle, Ptah connote de plus l’idée de métallurgie. Dans<br />
les systèmes étudiés, le forgeron symbolise la conscience intellectuelle et technologique du monde.<br />
De même, la pédagogie du Ndomo le pose comme l’inventeur du principe même de la connaissance,<br />
l’artisan de l’ouverture de l’esprit, l’amorceur du travail intellectuel et le promoteur des facultés spirituelles<br />
de l’homme. Un autre aspect important des cosmogonies africaines concerne la référence aux nombres.<br />
Une telle référence accrédite l’idée que la nature porte la marque du logos, car la texture du réel est<br />
numérique et, « pour accéder à l’essence des choses, il faut passer par les nombres » 2 . Le fait que la<br />
question d’une structure numérique du monde soit posée, constitue déjà en soi un événement de grande<br />
portée philosophique et culturelle. Certains aspects de la pensée étudiée inclinent au panlogisme. Mais,<br />
rendre justice à cette pensée, c’est rappeler que le panlogisme lui-même traduit parfois le désespoir<br />
d’un monde menacé par les forces occultes indomptables. Or, tout l’effort des sages d’Afrique consista<br />
à maîtriser ces forces, en projetant dans le cosmos un puissant jet de lumière.<br />
Voilà pourquoi la raison imprègne tout, jusqu’au contenu des contes, comme ceux de la Tortue qui font<br />
l’apologie de l’intelligence et de la ruse 3 . Tel est l’intérêt de la partie III de ce recueil qui nous familiarise<br />
avec l’un des concepts clés de la philosophie africaine, la Maât (Vérité-Justice). Anticipant la Dikè des<br />
Grecs, Maât recouvre le dictamen de la conscience, les obligations morales, les lois politiques, les<br />
devoirs rituels. Elle traduit en même temps l’idéal le plus élevé de l’État et une conception étatique de<br />
l’administration et de la justice 4 . C’est ici que chaque fonctionnaire d’État doit régler sa conduite sur le<br />
modèle rationnel proposé par les dieux eux-mêmes. Chacun doit être à l’image du vizir Mentouhotep<br />
(1964-1919 av. J.-C.), qui avait les écrits de Thot sur « sa langue […] et surpassait en justesse l’aiguille<br />
de la balance » 5 .<br />
Soulignons la continuité entre cette vision du monde et le concept de « communauté instituée des<br />
consciences » présent chez Marcien Towa. Ce concept rencontre ceux de conscience éclairée et de<br />
2<br />
Abdoulaye Elimane Kane, « Systèmes de numération et fonction symbolique du langage », in Critique. Revue générales des publications<br />
françaises et étrangères, août-septembre 2011, Tome LXVII, n° 771-772, p. 710.<br />
3<br />
Cf. Pour une étude philosophique des contes africains, voir Marcien Towa, L’Idée d’une philosophie négro-africaine, Yaoundé : Éditions<br />
Clé, 1979, pp. 31-38.<br />
4<br />
Cf. Jean Yoyotte, « Le jugement des morts dans l’Égypte ancienne », in Le Jugement des morts, Paris : Seuil, 1961, p. 21.<br />
5<br />
Cité par Adolf Erman et Hermann Ranke, La Civilisation égyptienne, traduction de Charles Mathien, Paris : Payot, 1986, p. 114.<br />
AFRIQUE<br />
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