Sud-Sud
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II<br />
1<br />
ÉPISTÉMOLOGIE ET MODÈLES DE CONNAISSANCE<br />
QUÊTE DE VÉRITÉ<br />
INTRODUCTION<br />
Au IX e siècle, second siècle de l’Hégire, la figure d’Al Kindî s’impose en philosophie comme une figure<br />
inaugurant un nouveau mode de pensée. Né autour de 800, Al Kindî bénéficia de la protection de trois<br />
califes abbassides : Al Ma’mûn, Al Mu’tassim et Al Wâtiq. Al Ma’mûn, fondateur de la maison de la sagesse,<br />
Bayt al Hikma (fondé en 832), lui confie la direction des équipes de traduction à l’œuvre dans cette maison et<br />
Al Mu’tassim, à qui il dédia l’épître sur la philosophie première, le fit précepteur de son fils. Sur les 242 épîtres<br />
(rasâ’il) qu’il écrivit, un peu moins du tiers nous est parvenu.<br />
Al Kindî est donc contemporain du mouvement exceptionnel de traduction qu’a connu Bagdad au IX e siècle.<br />
La culture perse, depuis l’époque d’Alexandre, a été en contact avec la culture grecque « soit de façon diffuse<br />
au niveau de la pensée commune, soit de façon plus raffinée au niveau de la science et de l’enseignement » 56 ,<br />
« il y a donc à ce moment une accumulation progressive, montante, de connaissances non arabes qui sont en<br />
même temps des connaissances profanes » 57 .<br />
Le nom d’Al Kindî est associé aux débuts de la falsafa, ce mode de pensée philosophique hérité de la pensée<br />
grecque. Très vite, ce philosophe a compris l’enjeu de traduire les œuvres grecques en langue arabe et<br />
d’irriguer par une nouvelle forme de savoir et d’argumentation les disciplines déjà développées par les Arabes<br />
comme la grammaire, la jurisprudence et la théologie. « La maison de la sagesse » fut pour lui le laboratoire<br />
adapté à cet enjeu.<br />
Manuel de philosophie : une perspective <strong>Sud</strong>-<strong>Sud</strong><br />
Dans ce texte, Al Kindî défend l’idée d’une continuité de la recherche de la vérité. Cette recherche passe par<br />
la connaissance de ce que les Anciens, et en particulier les Grecs, ont pu dire ; non pour répéter ce qu’ils<br />
ont dit mais pour l’exposer puis, le cas échéant le compléter, en « suivant la coutume de la langue et l’usage<br />
du temps », autrement dit en mettant en contexte le savoir acquis. Il s’agit pour Al Kindî d’inscrire la pensée<br />
arabo-musulmane dans ce qu’on pourrait appeler la tradition de l’humanité, au sens étymologique du mot<br />
« tradition », c’est-à-dire une transmission. La philosophie est caractérisée par lui comme « celui des arts<br />
humains qui a la dignité la plus haute » 58 en raison de son orientation vers « la connaissance des choses en<br />
leur vérité ».<br />
Ceux qui s’opposent à l’introduction de la science grecque dans le monde arabo-musulman sont inconséquents<br />
avec eux-mêmes, car « donner une raison et une démonstration » contre cette introduction fait partie de<br />
« l’acquisition de la science des choses en leurs vérités ». Ce propos est novateur à plusieurs titres et inaugure<br />
la démarche philosophique en la justifiant.<br />
56<br />
Jean Jolivet, « Le déploiement de la pensée philosophique dans ses rapports avec l’Islam jusqu’à Avicenne », in L’Islam,<br />
la philosophie et les sciences, Quatre conférences publiques organisées par l’UNESCO, Les Presses de l’UNESCO, 1981, p. 37.<br />
57<br />
Ibid.<br />
58<br />
Al Kindî, « Sur la philosophie première », in Métaphysique et cosmologie, volume 2, par Roshdi Rashed et Jean Jolivet, Leiden : Koninklijke BRILL<br />
NV., 1998, p. 8.<br />
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