Sud-Sud
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COMMENTAIRE<br />
Le gain enregistré par la thématique de la domination dans ces fables est l’investissement du champ<br />
anthropologique pour expliquer le règne des princes. Il ne s’agit pas de se réfugier derrière les mirages d’un<br />
âge d’or ou de s’installer dans un messianisme quelconque. En décrivant comment naît et meurt un pouvoir,<br />
des auteurs comme Ibn al-Muqaffa’ montrent les conditions de l’exercice de celui-ci. Le point de vue est plus<br />
pragmatique qu’orienté vers les principes ou les fondements du pouvoir quant à la légitimité de celui-ci. Cela<br />
est particulièrement sensible dans la préface d’Ali Ibn Ach-châh Al Fârîsî. Celui-ci ajoute au texte d’Ibn al-<br />
Muqaffa’ toute une réflexion sur la domination exercée par Alexandre sur une partie de l’Inde, sur la manière<br />
dont le Grec a sauvé de la servitude les Hindous et comment le nouveau roi Debchelim allait renouer avec le<br />
cycle des injustices. Le philosophe Bidpaï, devenu conseiller du roi, l’exhorta à changer d’attitude : cela fut fait<br />
par le récit des fables et leur enseignement.<br />
La domination n’est, de fait, pas une fin en soi. La question qui revient souvent chez nos auteurs est celle-ci :<br />
que fait le pouvoir politique de la domination ? C’est autour de cette question que se trouve articulée la sphère<br />
du gouvernement de soi (dit « gouvernement pastoral », des âmes) et celle du gouvernement des autres.<br />
Les hommes politiques ont besoin de la géographie de l’âme, de l’aménagement des facultés humaines, du<br />
rapport entre les puissances rationnelles et les puissances irrationnelles de l’âme humaine, mais aussi de bien<br />
se connaître eux-mêmes : le prince doit réfléchir, comme en un miroir de la pensée, ses actions. L’un des<br />
enjeux est de contrer le pouvoir des courtisans qui cachent au prince ses maux ainsi que ceux de la société<br />
qu’il gouverne. Rien ne doit faire écran entre le prince et son peuple. Les conseillers du prince sont ses relais<br />
non des obstacles à son action. Le paradigme médical est omniprésent dans ces textes : il y a d’abord le<br />
médecin Borzouyeh qui part à la recherche du précieux texte, puis plus généralement il y a la thématique de la<br />
tumeur cachée qui une fois apparue devient hideuse et sans remède. Il s’agit de faire le diagnostic du malade<br />
puis de le persuader de changer de mode de vie. Ce travail est à mener individuellement d’où l’importance<br />
de la prudence qui est la vertu qui ne s’exerce que selon des conditions particulières, car ce qui convient<br />
à cet homme ci et à cette cité ci ne convient pas universellement, « cette faculté ne s’acquiert pas par la<br />
connaissance des universaux de l’art et par leur assimilation complète, mais par la longueur de l’expérience sur<br />
les personnes individuelles » 69 . L’enjeu d’amis qui sont des miroirs dans lesquels on voit les bonnes conduites<br />
et à partir de quoi l’on se met à polir son tempérament est sans cesse souligné.<br />
QUESTIONS<br />
1 La fable est une écriture philosophique spécifique. En donner les caractéristiques.<br />
2 Comment la fable d’Ibn al-Muqaffa’ s’adapte-t-elle à l’hybridation des cultures ?<br />
3 Le gouvernement de soi et le gouvernement des autres se croisent chez Ibn Muqqafa’. Indiquer comment.<br />
Manuel de philosophie : une perspective <strong>Sud</strong>-<strong>Sud</strong><br />
4 D’autres traditions philosophiques ont recours aux fables. Comparer les différents styles.<br />
69<br />
Al Fârâbî, « Le livre de la religion », in Philosopher à Bagdad au X e siècle, § 14d, Paris : Seuil, 2007.<br />
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