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Il me fit soulever tellement de troncs d’arbres, puis en scier et en couper que j’<strong>au</strong>rais pu monter une<br />

scierie professionnelle. Manier une hache ne faisait pas partie de mes espéran<strong>ce</strong>s de carrière mais Axel<br />

voulait que je sache comment l’utiliser. Pour couper la tête d’un semi, lui ouvrir le torse et lui arracher le<br />

cœur, ça fonctionne très bien. Il m’obligea <strong>au</strong>ssi à me perfectionner avec d’<strong>au</strong>tres armes que le coute<strong>au</strong>.<br />

À ma panoplie vinrent donc s’ajouter un arc et des flèches à pointes d’argent mêlé d’acier. Après les<br />

entraînements, je lui demandais de les garder, par<strong>ce</strong> qu’il était impossible de les planquer chez moi.<br />

Depuis ma désastreuse expérien<strong>ce</strong> avec les lièvres, Chuck et une flèche mal placée, je n’avais pas<br />

réutilisé d’arc. Je faillis bien me transper<strong>ce</strong>r le pied la première fois que je réessayai et <strong>ce</strong>la fit be<strong>au</strong>coup<br />

rire Axel. Il me montra comment bander et tirer en un seul mouvement fluide. Avec sa précision de semi,<br />

il était capable de trancher la tige d’une feuille à <strong>ce</strong>nt mètres. Je ne fis jamais <strong>au</strong>ssi bien, mais je finis<br />

quand même par toucher ma cible.<br />

Le jour où il <strong>ce</strong>ssa de se tenir derrière moi par pruden<strong>ce</strong> fut une belle récompense.<br />

À ma surprise, je grandis be<strong>au</strong>coup. Je pensais avoir hérité le gabarit de ma mère en plus de ses yeux<br />

et du f<strong>au</strong>ve de ses cheveux. Mais les gènes de mon père s’en mêlèrent et bientôt j’avoisinai un bon mètre<br />

quatre-vingt-dix. Grâ<strong>ce</strong> <strong>au</strong>x leçons d’Axel, je ne bougeais pas <strong>au</strong>ssi bien que les loups, mais pas si mal<br />

que ça finalement. Les filles qui me regardaient comme si j’étais un crap<strong>au</strong>d devant leur ch<strong>au</strong>ssure<br />

commencèrent à m’étudier avec un peu plus d’attention. Cela me rendit nerveux.<br />

Serafina, qui hantait mes rêves les moins avouables, me prit pour proie. Un jour, coquette, prête à me<br />

donner le baiser de mes fantasmes, le lendemain cruelle et moqueuse, ses crocs de louve prêts à mordre.<br />

Je ne savais pas qu’il était possible de haïr et d’aimer en même temps.<br />

Pour mes seize ans, Axel me prépara un programme qui était un mélange de travail sur l’agilité,<br />

l’équilibre, la for<strong>ce</strong> et surtout l’enduran<strong>ce</strong>. Cette fois-ci il n’était plus question d’aller vite, il fallait aller<br />

loin. Comme je n’avais pas besoin de lui pour <strong>ce</strong>tte partie-là, je fis quelques économies en allant courir<br />

tout seul, pendant des kilomètres et des kilomètres. Cela chassait les araignées du doute et de la peur de<br />

ma tête.<br />

Ma tristesse s’apaisait <strong>au</strong>ssi. Ma frustration plutôt. Les filles et garçons loups commençaient à sortir<br />

ensemble et j’étais exclu. Comme d’habitude. D’<strong>au</strong>tant que je ne pouvais pas chanter avec eux.<br />

Savez-vous quelle est la chose que préfèrent les loups dans la civilisation humaine ?<br />

La musique. Une véritable drogue pour eux. Il y en a constamment sur l’exploitation. De gros h<strong>au</strong>tparleurs<br />

diffusent de la musique tout le temps et même souvent la nuit.<br />

Mettez-leur n’importe quelle mélodie, mais surtout de la musique classique avec plein de cuivres et<br />

de grosses caisses, du Wagner par exemple, et vous <strong>au</strong>rez une dizaine de loups-garous en transe, hurlant<br />

de con<strong>ce</strong>rt. Enfin chantant plutôt.<br />

Pas sous leur forme humaine. Sous leur forme de loup. Même s’ils aimaient <strong>au</strong>ssi chanter lorsqu’ils<br />

étaient humains, <strong>ce</strong> n’était pas la même chose.<br />

Cela fait partie des codes de la meute. Chanter, pas spécialement lorsque la lune est pleine, mais<br />

chaque fois qu’ils sont ensemble. C’est magnifique. Un loup-garou commen<strong>ce</strong> et très vite les <strong>au</strong>tres<br />

suivent. Ils entonnent un chant glorieux et s<strong>au</strong>vage. Quand je leur demandais <strong>ce</strong> que <strong>ce</strong>la leur faisait<br />

comme sensation, les réponses étaient variées mais une revenait toujours : «J’ai l’impression de me sentir<br />

entier. »

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