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s’il était enfoui sous une épaisse couche de rancœur. J’ai mis plusieurs mois à me rendre. Cette fille était
plus têtue qu’un troupeau de mules !
— Vous êtes restés ensemble combien de temps après ta transformation ?
— Quatre mois, vingt jours et dix-sept heures. Je n’avais pas compris à quel point les semis étaient
méprisés par les loups. Je n’avais pas compris non plus qu’elle n’avait pas le choix, elle devait dévoiler
mon existence aux siens. Un soir, elle m’a fièrement présenté aux loups de sa meute. C’était la première
fois que j’en voyais autant. J’étais à la fois fasciné et terrorisé. Parce que je sentais leur hostilité. Leur
chef m’a demandé calmement si j’avais tué un humain. J’ai répondu que non. Contrairement à Gemma, je
voyais bien qu’il nous avait déjà condamnés à mort. J’avais raison. Elle s’est avancée et lui a tenu tête.
Ma Gemma, si belle, si fière et si naïve.
Il était resté silencieux un instant, les images passant sans doute devant ses yeux.
— Leur chef s’est transformé. Et il l’a égorgée.
J’avais dégluti. Posé mon reste de hot dog. Je n’avais plus faim.
— Cela n’a pas suffi pour la tuer. Elle ne pouvait pas hurler, mais le sang coulait de sa gorge et elle
n’arrivait plus à respirer. Je me suis élancé, mais quatre loups derrière moi m’ont immobilisé. Je ne
pouvais plus bouger. Il a fait un signe du museau et deux autres loups se sont précipités sur Gemma. Ça a
été un carnage.
— Comment...
Ma voix avait déraillé, je m’étais repris. Mais j’avais dû avaler un peu d’eau tant ma gorge s’était
serrée. Il avait débité son histoire d’un ton plat, comme si c’était celle d’un autre.
— Comment tu t’en es sorti ?
Il avait hésité, mais m’avait répondu.
— Normalement, nous ne nous transformons qu’à la pleine lune, contrairement aux loups. Mais une
extrême émotion peut jouer le même rôle. Je me suis transformé. J’ai tué deux d’entre eux et je me suis
enfui. Au départ, j’étais tellement fou de rage contre cette meute que j’ai décidé de me venger. Mais avant
d’avoir eu le temps de commencer ma traque, l’histoire avait déjà fait le tour des meutes. Et ton grandpère
est venu me trouver. Ou plus précisément m’est tombé dessus au détour d’une ruelle sombre.
Je m’étais raidi.
— Grand-père Karl ?
— Oui. Il m’a d’abord assommé parce que j’allais me battre. Lorsque j’ai repris conscience, il m’a
expliqué que ce que cette meute avait fait n’était pas normal. « On ne tue pas l’une des nôtres parce
qu’elle a désobéi à un ordre. Nous ne sommes pas assez nombreux pour cela, a-t-il grondé alors que je
croyais ma dernière heure venue. La sentence de mort sur ta tête a été levée pour nous faire pardonner de
ce qui t’est arrivé. Tu peux rejoindre l’exploitation des semis. Elle est voisine de la nôtre. » Puis il a fait
demi-tour et est parti. Ton grand-père est un loup vraiment très impressionnant.
— Je sais.