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J’étais prêt. Je voulais partir quelques jours plus tôt, mais grand- père trouvait toujours des prétextes
pour que je reste. À quarante- huit heures de la rentrée, il lui fallut bien me lâcher. La maison m’attendait.
Dave l’avait remplie à ras bord de tout ce qui était possible et imaginable.
Avant de partir je devais accomplir quelque chose qui allait me briser le cœur, j’en étais sûr.
Je devais aller dire au revoir à ma mère.
Grand-mère m’accompagna. J’aurais pu y aller tout seul, mais elle savait à quel point cela me
blessait. De plus elle devait parler avec le directeur de l’hôpital.
Celui-ci se trouvait sur notre territoire à une cinquantaine de kilomètres de chez nous. Chaque meute a
le sien, en général proche des ranchs où nous habitons. Il existe une cinquantaine d’hôpitaux
psychiatriques comme celui-ci dans le pays. Le nôtre ne renferme pas uniquement ma mère, qui est
internée sous l’étiquette « schizophrène à tendances agressives ». Il y a également des vampires qui se
prennent pour des lapins, des loups qui ne supportent plus la pression de la meute, ou des fées qui ont
perdu leur magie. Bref, c’était un asile de dingues, certes, mais de dingues très spéciaux.
Vu la force et les pouvoirs des patients, l’hôpital était férocement gardé. Le jour par des sorcières et
des loups sous leur forme humaine, la nuit par des vampires, des sorciers, des loups sous leur forme
lupine et des fées. Il y a plus de monde !a nuit, parce que les ténèbres décuplent les pouvoirs de certains
des spéciaux.
Les sorcières étaient de garde de jour et les sorciers, de nuit ou vice versa parce qu’on ne pouvait pas
les faire patrouiller ensemble. Du moins pas si on tenait à ce qu’ils gardent leurs vêtements. Les sorciers
et les sorcières descendent de la déesse égyptienne Sekhmet, dont le nom signifie « la puissante ». La
déesse lionne, que l’on connaît également sous son autre avatar, Bastet, la déesse chatte. Ils ont donc la
moralité des chats, leur comportement et leurs habitudes. Ils sont paresseux, dorment beaucoup et sont de
chauds lapins, si l’on peut dire. La majorité d’entre eux vit avec les humains sous leur forme de chat.
Vous savez, ce chat qui se lèche les babines alors qu’une cuisse de poulet a disparu du réfrigérateur qu’il
ne peut pas ouvrir avec ses pattes, et qui n’est donc pas accusable ? C’est un sorcier. Ou cette chatte qui
est sans cesse dans vos jambes lorsque vous vous préparez et que mystérieusement votre mascara neuf est
quasiment vide et votre fard à paupières a disparu ? C’est une sorcière. Contrairement à nous, ils ne sont
pas des garous, parce qu’ils semblent ignorer cette histoire de masse corporelle. Ils sont les enfants
magiques de la volonté de la déesse.
Si j’aime bien les sorciers (enfin surtout les sorcières), je n’aime pas les buveurs de sang. La salive
des vampires est à la fois anesthésiante, aphrodisiaque et surtout fluidifiante, afin que le sang coule
mieux. Un peu comme les moustiques, en fait. Sauf que les moustiques ne laissent pas les humains saigner
à mort parce qu’ils trouvent ça amusant. Certains auteurs ont écrit que les morsures de vampires ont des
propriétés coagulantes. C’est vraiment débile comme idée. Le but de la salive des vampires est de faire
couler le sang, pas de l’arrêter ! Depuis que Bram Stoker est tombé sur l’un d’entre eux et a réussi à en
parler avant de se faire tuer (non, il n’est pas mort de mort naturelle, désolé), tout le monde raconte
n’importe quoi sur les vampires, Hollywood en tête.
Ce sont les croque-mitaines de nos races. Les nettoyeurs. Ceux qui interviennent lorsque les choses
dérapent vraiment. Ils sont beaux, ils sont morts. Ils vivent par le sang et par le sexe. Les histoires
d’humains qui les combattent font ricaner toutes les races étranges. Leur charisme est si puissant que
personne ne peut leur résister. À part nous. Enfin les loups, parce que moi, hein...