la nuit et mon opacité interne fusionne avec l’opacité externe. L’«inspect»(Jean Paulhan) se substitue alors à l’aspect: la présence sensibledes choses l’emporte sur la simple apparence. Plus de perspective possible,mais le sentiment d’une existence, irréductible au trompe-l’œil.A la nuit noire il faut cependant opposer la nuit lumineuse, celleque Péguy appelle «ma grande lumière sombre». De fait, l’obscuriténe prive pas nécessairement de toute la vision, mais déclenche un nouveautype de vision, marginal, biaisé ou «fourbe», comme disent lesastronomes, mobilisant des photorécepteurs propres, situés non aucentre de la rétine, mais sur sa périphérie. L’espace alors s’agrandit,ainsi qu’en témoigne un personnage de Giono: «comme le soleil neme trompe plus, je vois le large de tout, je vois beaucoup plus clairementqu’en plein jour» 8 . Loin de nous aveugler, la nuit ouvre l’espace,favorisant la rencontre avec des choses sous un angle imprévu etnouveau, tandis que le jour tend à les dissimuler sous des masquesutilitaires et pratiques.«Cette grande lumière sombre», l’électricité nous la fait sans douteaujourd’hui en partie méconnaître. Mais la peinture moderne ne cessed’en faire état par le refus systématique du point de fuite, de l’axonométrieou de la perspective atmosphérique qui provoque la sensationd’un espace dont nous n’avions aucunement l’idée. De quoi témoignentles vastes peintures de Rothko que les bords de la toile n’arrêtentpas. Point d’entrée dans un espace en profondeur, mais la manifestationd’un espace large en perpétuelle dilatation et contraction.La sensation d’infini y est incontestablement lié à l’extension de lavision marginale.Existe-t-il alors un régime nocturne de notre vie sensible et affectiveet de son pràttein qui se distinguerait radicalement du régimediurne ou s’y entremêlerait sans disparaître comme tel? Il me sembleen tout cas que l’acte esthétique, tel que j’en forme la fiction, a uneaffinité particulière avec ce régime pour des raisons qui tiennent à soncaractère toujours paradoxal: comme mixte non seulement d’activité etde passivité mais de vision et de non-vision, de perception et d’imagination,d’analyse et de gustation, d’extrême rigueur et de fantaisie, desagesse et d’ivresse.(3) Pourrai-je, cependant, avancer davantage en analysant ce qui seproduit dans l’acte esthétique non plus paysagiste, ni nocturne, maispictural? Dans quelle mesure le refus de réduire le tableau à une image,contrairement à l’amalgame que suggère l’anglais picture, permetilune approche plus féconde de la peinture et des processus psychiquesqui s’y déploient? Dans quelle mesure, face au tableau, l’imagepeut-elle apparaître comme un résidu, si intéressant soit-il, voire commeun alibi servant à dissimuler l’enjeu véritable qui serait celui <strong>del</strong>’homo pictor et de l’homo æstheticus ?96
Prendre le parti d’un tableau présuppose qu’on l’ait vu à une ouplusieurs reprises et suivant des périodes de temps variables. Mais leproblème reste alors entier de savoir ce qu’est la vision picturale et cequi, par sa médiation, s’ébranle dans la relation du sujet à une réalitéqui peut lui rester à certains égards fermée et incompréhensible. Doitonlaisser retentir en soi la puissance d’appel du tableau ou bien tenterde mémoriser les facteurs qui nous permettraient d’en poursuivre lajouissance in absentia? S’illusionne-t-on quand on se croit transportépar empathie à l’instant de sa conception et de son «faire» et faut-ilseulement s’appliquer à chercher systématiquement le problème dontl’œuvre serait la solution? Le tableau prend-il de lui-même sa place ausein de séries qui s’autoconstituent ou bien nous appartient-il d’enproduire des signifiants qui en exprimeraient la portée subjective?Bref, de quelles manières certaines activités dirigées – travail de la mémoire,reconstruction de questions, transposition poïétique – composent-ellesavec l’effort pour suivre les métamorphoses de notre être leplus sensible, lorsque nous l’exposons au tableau?Tout paraît simple lorsqu’on dit que «nos maîtres sont les tableaux»,mais il est bien difficile de comprendre pourquoi des œuvresnous étonnent et se mettent à exister si puissamment. Une voie est-elletrouvable qui ne soit ni la dérive dans un flux d’images par une impossibletransition du visible au visible, ni la promotion d’un signifiantamputé de tout support perceptif? Il importe de prendre en comptedifférentes formes d’invisibilité: non seulement la vie passée du tableau(préparation, repentirs, restauration, etc.), non seulement les opérationspsychiques dont il est issu (rêveries, intentions, constructions) etcelles qu’il requiert aujourd’hui pour accéder à la visibilité, mais, au<strong>del</strong>àmême de tous ces facteurs, l’invisible qui lui confère une réalitésubjective, c’est-à-dire qui, de façon aussi précaire qu’irrésistible, luiassure la portée d’un principe.Qu’est-ce donc que penser un tableau? Le propre de la pensée estde «rouler en elle» les images des choses et de les «emporter», affirmesaint Augustin 9 ; ainsi se donne-t-elle des moyens à travers unemultiplicité de prises. Mais sont-ce des images que nous roulons ennous ou bien quelque chose de différent? Et ce quelque chose, le roulons-nous,tel un tapis, ou bien s’introduit-il dans notre appareil psychique,comme une «donne» dont la puissance nous est encore inconnue?La pensée picturale rencontre, semble-t-il, un intermédiaire entrel’image et le concept, démon opérant à travers l’image et s’affirmantcontre elle, dans sa proximité et son antagonisme. L’image est àla fois la servante et l’adversaire du tableau, si bien que celui-ci constituele lieu d’un combat entre ce qui s’affirme et ce qui est apparemmentaffirmé.Aussi bien, pour devenir sensible au tableau comme tableau, est-il97
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