CENTENAIREMAGAZINELes prémonitions deSous ses airs devieux tacot, la Ford T,née il y a cent anstout juste, est uneavant-gardiste quia scellé les basesde l’automobilemoderne. Retoursur une américainerévolutionnaire.PAR PIERRE LEFEBVREPHOTOS LAURENT LACOSTE, DRes clichés sur les Américains,les Français enont plein la bouche etvice-versa. Et s’il estsouvent difficile de diresur quoi ces stéréotypes sebasent, nous avons peut-êtretrouvé l’origine de celui del’Américain qui fait tout avecsa voiture, et même la cuisine :on le doit à la Ford T.Directement posé sur le moteur,un bac de cuisson livré en accessoirepermettait de réchaufferou cuire un repas en roulant :encore plus pratique que le fastfood! Si l’automobile modernea – heureusement – échappéà ce gadget farfelu, elle doitvraiment beaucoup à celle queles Américains surnommentaffectueusement “Tin Lizzie”.Nous avons pu le vérifier lors dugrand rassemblement-anniversaireorganisé par Ford l’été dernier àRichmond, dans l’Indiana, qui aréuni près de 1 000 exemplaireset bien plus de fanatiques venusparfois de très loin.De l’artisanatà l’industrieL’innovation la plus connue dela T, c’est évidemment l’assemblageà la chaîne. On sait moinsque Henry Ford s’est inspiré desméthodes employées dans lesabattoirs de Chicago pour inventerle “prêt à rouler” et réduireainsi les délais et les coûts defabrication. Comme dans lesabattoirs où les bouchers, toujoursaffectés à la même tâche,sont très efficaces, les ouvriersqui vont produire la T travaillentà la chaîne avec des piècesinterchangeables dites “standard”.De nos jours, l’industrieautomobile procède toujourscomme cela, le renfort ou le remplacementdes hommes par desrobots en plus. Mais au début duXX e siècle, c’était une idée révolutionnaire,puisque le monde del’automobile était un peu commecelui de la haute couture. On nefabriquait que du sur-mesure, aucompte-gouttes, et cela coûtaittrès cher. Aux Etats-Unis, oncomptait d’ailleurs seulement11 voitures pour 1 000 habitantset encore moins en France (3pour 1 000, contre près de 500pour 1 000 aujourd’hui).Tout va s’accélérer avec la T.Lorsque la toute première sortde l’usine de Piquette, à Detroit,le 27 septembre 1908, seules200 000 voitures circulent dansle pays. Quatre ans plus tard, laproduction à la chaîne prend sonenvol dans la nouvelle usine deHighland Park et ce chiffre estmultiplié par cinq. Au final, cesont plus de 15 millions de Tqui seront assemblées jusqu’en1927 (*). Si bon nombre d’en-104 DÉCEMBRE 2008
INFUSIONS DE TMadametre elles vont partirau pilon lors de laSeconde Guerremondiale pour répondreaux besoins enacier, 30 000 circulentencore aujourd’hui,de toute sorte, surtous les continentset... de toutes lescouleurs.La légende quiveut que toutes lesT soient noires n’estpas totalement exacte. On ladoit à Henry Ford, qui aurait ditun jour : “Un client peut commandercette voiture dans n’importequelle couleur, du momentque c’est noir.” En réalité, des Trouges, grises, vertes ou encorebleues ont été livrées entre 1908et 1914, puis lors de la dernièreannée de production (entre 1926et 1927). L’impossibilité de choisirune autre couleur que le noirentre 1914 et 1926 a surtout étéle moyen de standardiser aumaximum la production et deréaliser de substantielles économiesauprès des fournisseursen commandant de très grossesquantités de peinture.Le faible nombrede variantes, dumoins au départ,permet égalementde gagnerdu temps surles chaînes demontage. Jusqu’en1911, lesT qui sortent dechaînes sont engrande majoritédes “Tourer”,versionsdécouvrables avec capote entoile sans pare-brise. A partirde 1917, les coupés, berlines,et même les utilitaires, sortesd’ancêtres des pick-up sur châssisrallongé (baptisé TT) serontajoutés au catalogue, voire livrésnus pour être habillés par descarrossiers.Ce souci de limiter les coûtsse retrouve enfin dans la volontéde Ford de produire les piècesen grande série et de les rendreinterchangeables (à partir de1910). Grâce à ces méthodes derationalisation de la production,le temps de fabrication va passerde onze voitures lors du premiermois de production en 1908 àDans son second album, Tintin partà l’aventure au Congo avec une T.une T en moinsde deux heuresdès 1914. Fordva ainsi réussirau début desannées 1920 à dépasser lesdeux millions d’exemplairesproduits en un an, soit autant quede voitures vendues en Franceen 2007 ! A cette période, Fordassure avec la T 57 % de laproduction automobile mondiale,grâce à des usines disséminéessur toute la planète et notammentune unité d’assemblageouverte dès 1912 du côté deLevallois-Perret, puis une àBordeaux un an plus tard. A titrede comparaison, cette année-làRenault produit 6 000 voitures,Ford 200 000.Une voiturenovatriceAvec la T,Henry Ford adonné naissanceà l’industrieautomobile.Pour le cahier des charges de saLogan, Renault n’a rien inventé. Lavoiture robuste, légère, simple etpas chère, c’était déjà les objectifsde la Ford T. Evidemment, le “lowcost” de l’époque n’est pas celuid’aujourd’hui. Reposant sur ●●●C’est à Richmond, dans l’Indiana, que Ford a célébrél’été dernier l’anniversaire de la T. L’occasion dedécouvrir de drôles de gadgets, comme le bac àcuisson posé directement sur le moteur et, surtout,de rencontrer des passionnés, pour ne pas dire desfarfelus. Le Californien Ed Archer et son Speedsterjaune (ci-dessus) ont parcouru 4 200 km en six jourset demi pour assister à l’événement, et cela sansaucune panne ! Grâce à la médiatisation du centenaire,le plateau était particulièrement riche. Ci-dessus,un véhicule de commandement des pompiersde l’US Navy datant de 1926 avec son équipementLa T est la première voiture de l’histoire produite à la chaîne. Elle est un symbole de la révolution industrielle.complet et, ici, une version camping-car aveclaquelle il était possible de partir à la découverted’un pays 14 fois plus grand que la France.105