INFRASTRUCTURESB. GUNEM/123RFSOCIÉTÉAUTOROUTESFaut-il avoir peur du noir ?Les autoroutes françaisessont de moins en moinséclairées. Outre lespannes non réparées, desportions sont plongéesdans le noir suite au voldu câblage. L’occasion dese poser la question à1 000 mégawatts : éclairerles autoroutes améliore-tille confort ou la sécurité ?PAR TIFFANY HENAULTepuis deux ans, lesusagers de l’autorouteA15, reliant Cergy-Pontoiseà la Défense, sontplongés dans le noir sur25 km suite au vol des câbles encuivre. Même scénario depuis lemois de juin sur l’autoroute A1,dans le sens Paris-province àla hauteur d’Aulnay-sous-Bois.Près de 30 % des voies rapidesd’Ile-de-France, dont plusieursportions de la francilienne (l’A86,qui ceinture partiellement Paris),seraient sans éclairage faute detravaux d’entretien et de réparationou suite à des vols decâbles en cuivre. Ces dernierssont de plus en plus fréquentsdepuis que le prix de la tonne aété multiplié par 2,5, passant de1 690 € à 4 120 € en cinq ans.Le mode opératoire n’est passorcier : il consiste, de nuit, àcouper à l’aide de pinces spécialesles câbles d’alimentationélectrique de l’éclairage– 15 000 volts – accessiblespar des regards d’entretien,après les avoir cisaillés à labase des lampadaires, puis deles enrouler sur des bobines.Une deuxième équipe de trafiquantsvient ensuite emporterles centainesde mètres ainsidérobés dansdes camionnettes.Une opérationqui supposedes repérages,du matériel etdes allers et venues peu discrets– la coupure des câblesqui plonge l’autoroute dans lenoir l’est elle-même assez peu–, et pourtant rares sont lesvoleurs ou les receleurs arrêtés !Seuls les sept hommes ayantplongé l’A1 dans le noir au moisArgument pourl’éclairage : lesconducteursanticipent mieuxde juin dernier ont été pris enflagrant délit par une patrouillede CRS.Mais le plus étonnant estqu’aucune réparation ne soitentreprise : “Bien souvent, lescâbles remplacés sont volés ànouveau la semaine suivante”,reconnaît-on à la directiondépartementalede l’équipementdu Val-d’Oise, responsablede l’A15.Seules les zonesoù l’éclairage estobligatoire sontréparées. Effectivement,l’administration n’imposepas d’éclairer les autoroutes,sauf dans les tunnels, les garesde péage ou les zones où lecontraste lumineux est agressifpour les automobilistes, commeà proximité des aéroports et desagglomérations. Si de nombreu-108 DÉCEMBRE 2008
J. LYE/FOTOLIALAMPADAIRES SANSFIL... ET SANS VOLPour éviter les volsrécurrents descâbles d’alimentationen cuivre, ilexiste différentstypes de lampadairessolaires et/ouéoliens pour routesou autoroutes. Testésau Canada, enFloride et en Chine,ces lampadairesproposent uneautonomie d’environdouze heures.A Issy-les-Moulineaux(92), unexemplaire éolien etsolaire, qui nenécessite aucunapport énergétiqueextérieur, a été installéen 2007. Troispales s’activent parvent faible, et troisautres pales génèrentde l’énergiepar vent fort. Labatterie rechargéepar ces aérogénérateursest capablede pallier pendantquatre à cinq joursl’absence totale devent. Et des cellulesphotovoltaïquespermettent de prolongercette autonomied’une nuitsupplémentaire.La non-augmentation du nombre d’accidents et les économies d’énergie plaident en faveur de l’extinction des feux.BOY/FOTOLIAses portions d’autoroutes sonttout de même éclairées, c’estévidemment pour le confort desusagers, mais est-ce aussi un“plus” en termes de sécurité ?Allumer oupas : unehistoire belgeEn Belgique, où les autoroutessont éclairées depuis toujours,l’argument numéro 1 estque les automobilistes anticipentmieux les événementsde la route. A 130 km/h surautoroute, le conducteur disposed’un champ visuel réduità 30° et de nuit, sans éclairageextérieur, la portée des pharesest de 100 mètres. L’éclairageen continu permet de voir audelàde la portée des phares etd’améliorer ainsi la perceptionde l’environnement. Selon uneétude du CNRS de Strasbourgsur l’influence de l’éclairageambiant sur le comportementet les performances du conducteur,l’éclairage de l’autoroutepermettrait à l’automobilistede rester plus vigilant : “Onconstate que les automobilistesont un meilleur comportementet que leur niveau de vigilanceaugmente lorsqu’onéclaire les autoroutes.La monotonie étant leprincipal problème, l’éclairagestimule le conducteur lors detrajets souvent longs sur autoroute”,expliqueAurélie Campagne,chargée del’étude en 2000.Des résultats,malheureusement,au conditionnel...puisque les automobilistesqui ont participé àcette étude étaient aux prisesavec des simulateurs deconduite !Du confortde vision pouraller vite ?Dans la réalité, il faut aussicompter avec ce que les chercheursappellent la “conduiteà risque constant” : chaqueprogrès en matière de sécuritéde l’infrastructureou des véhiculesétant contrebalancépar uneaugmentationde la prise derisque desusagers. Surdes autorouteséclairées, les automobilistesont tendance à rouler plus viteet à être moins attentifs, carl’éclairage leurMoins de vitesseet moins deblessés gravesdans le noirEn cinq ans, leprix de latonne de cuivrea été multiplié2,5 fois.De quoi tenterles voleurs... etdonner l’enviede s’en passer.procure un sentimentde sécuritéet de confort.La vitesse étantplus élevée,mécaniquementles accidentssont plus graves. Une étudemenée par la direction interdépartementaledes routesdu Nord, comparant les accidentssurvenus entre 1995 et2006 sur les réseaux de l’A16éclairée – en rase campagneparce qu’elle reliait Boulogneau nord de la Belgique – et ceuxde l’A1, plongés dans le noir àl’exception des abords de Paris,a démontré que les accidentsde nuit en rase campagne ouen zone urbaine étaient quatrefois plus graves sur l’A16 quesur l’A1.Le préfet du Val-d’Oise, Paul-Henri Trollé, qui vient dedresser un bilan à proposde l’absence d’éclairagesur l’A15, va plus loin :“En deux ans, l’absenced’éclairage s’est traduitepar une diminution du nombred’accidents de la route.”Argument de poids pour nepas procéder aux travaux, leséconomies d’énergie neseraient pas négligeables.Si aucune estimationchiffrée ne nous a été dévoiléepour les autoroutes franciliennes,l’étude menée par la directioninterdépartementale desroutes du Nord en 2006 faisaitétat d’une économie de 600 000à 900 000 euros par an en coupantl’alimentation électrique surl’autoroute A16 entre Boulogneet la frontière belge, soit prèsde 70 km. D’ailleurs, même enBelgique, l’éclairage sur autorouten’est plus d’actualité surl’ensemble du territoire. Depuisjanvier 2008, suite au plan AirClimat, 610 km des 750 km quecompte le réseau d’autorouteswallonnes ne sont plus éclairésla nuit. Bilan : pas d’augmentationdes tués et 25 % deconsommation électrique enmoins (15 GWh), soit uneéconomie de 7 200 tonnesde CO 2. Notons qu’il estpossible de rallumer encas de besoin. ■CHANELLE/FOTOLIAB. KWIECISZEWSKI, H. SLEGERS,A. SANJAYA/FOTOLIA.PHOTOMONTAGE J. JODRYDÉCEMBRE 2008 109