Le Monde de Sophie - Jostein Gaarder (En pdf) - Oasisfle
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LE MONDE DE SOPHIE<br />
ce qui était nécessaire pour vivre pouvait être acheté contre <strong>de</strong><br />
l'argent. Cela encouragea le travail bien fait, l'imagination et<br />
la création. L'homme en tant qu'individu dut relever <strong>de</strong> nouveaux<br />
défis.<br />
— Cela rappelle un peu comment se sont formées les cités<br />
grecques il y a <strong>de</strong>ux mille ans.<br />
— Oui, c'est une bonne remarque. Je t'ai raconté comment<br />
la philosophie grecque s'était détachée d'une conception<br />
mythique du mon<strong>de</strong> qui était liée à une culture paysanne. De<br />
la même manière, les bourgeois <strong>de</strong> la Renaissance ont commencé<br />
à se libérer <strong>de</strong>s seigneurs féodaux et <strong>de</strong> l'hégémonie<br />
<strong>de</strong> l'Église. Dans le même temps, la culture grecque fut redécouverte<br />
grâce à <strong>de</strong>s contacts plus étroits avec les Arabes en<br />
Espagne et la culture byzantine dans l'est <strong>de</strong> l'Europe.<br />
— <strong>Le</strong>s trois fleuves <strong>de</strong> l'Antiquité se sont à nouveau fondus<br />
dans un même courant.<br />
— Je vois que tu apprends bien tes leçons ! Bon, voilà<br />
grosso modo le contexte <strong>de</strong> la Renaissance. Parlons à présent<br />
<strong>de</strong>s nouvelles idées.<br />
— Dépêche-toi, car il faut que je sois rentrée pour déjeuner.<br />
Alberto se rassit dans le canapé et regarda <strong>Sophie</strong> dans les<br />
yeux :<br />
— La Renaissance introduisit avant tout une nouvelle<br />
conception <strong>de</strong> l'homme. <strong>Le</strong>s humanistes <strong>de</strong> la Renaissance<br />
avaient une foi toute nouvelle en l'homme et en sa valeur qui<br />
contrastait terriblement avec le parti pris du Moyen Âge qui<br />
ne voyait en l'homme qu'un pécheur. L'homme fut dès lors<br />
considéré comme quelque chose d'infiniment grand et précieux.<br />
Un <strong>de</strong>s grands personnages <strong>de</strong> la Renaissance s'appelait<br />
Marsile Ficin. Il s'écria : « Connais-toi toi-même, ô race<br />
divine déguisée en homme ! » Un autre, Pic <strong>de</strong> La Mirandole,<br />
rédigea un Discours sur la dignité <strong>de</strong> L'homme, chose impensable<br />
au Moyen Âge où tout partait <strong>de</strong> Dieu. <strong>Le</strong>s humanistes<br />
<strong>de</strong> la Renaissance partaient <strong>de</strong> l'homme lui-même.<br />
— Mais c'est ce qu'avaient fait les philosophes grecs aussi.<br />
— Oui, et c'est pourquoi nous parlons d'une « <strong>de</strong>uxième<br />
naissance » <strong>de</strong> l'humanisme antique. Mais l'humanisme <strong>de</strong> la<br />
LA RENAISSANCE 231<br />
Renaissance met plus l'accent sur l' individualisme. Nous ne<br />
sommes pas seulement <strong>de</strong>s êtres humains, nous sommes aussi<br />
<strong>de</strong>s individus uniques. D'où le risque d'aduler le génie en tant<br />
que tel. L'idéal <strong>de</strong>vint ce que nous appelons l' homme <strong>de</strong> la<br />
Renaissance, c'est-à-dire un être humain qui s'intéresse à tout<br />
ce qui a trait à la vie, l'art ou la science. Ce n'est pas un<br />
hasard si on se passionna à cette époque pour l'anatomie du<br />
corps humain. Comme dans l'Antiquité, on commença par<br />
disséquer <strong>de</strong>s morts pour analyser comment le corps était<br />
constitué. Ce fut utile pour la science et pour l'art. On recommença,<br />
en art, à peindre l'homme nu, mettant ainsi fin à mille<br />
ans <strong>de</strong> pu<strong>de</strong>ur. L'homme osait à nouveau être lui-même. Il<br />
n'avait plus <strong>de</strong> raison d'avoir honte.<br />
— À t'entendre, on dirait une sorte d'ivresse, dit <strong>Sophie</strong> en<br />
se penchant au-<strong>de</strong>ssus d'une petite table qui se trouvait entre<br />
elle et le professeur <strong>de</strong> philosophie.<br />
— Incontestablement. La nouvelle conception <strong>de</strong> l'homme<br />
conduisit à une toute nouvelle façon <strong>de</strong> vivre. L'homme<br />
n'existait plus seulement pour servir Dieu. Ce <strong>de</strong>rnier avait<br />
aussi conçu les hommes pour eux-mêmes. Il incombait donc<br />
aux hommes <strong>de</strong> se réjouir <strong>de</strong> la vie ici et là. Et quand<br />
l'homme pouvait s'épanouir en toute liberté, ses capacités ne<br />
connaissaient plus <strong>de</strong> frontières, puisqu'il s'agissait au<br />
contraire d'aller toujours plus loin. Cela aussi était nouveau<br />
par rapport à l'humanisme <strong>de</strong> l'Antiquité, car les Anciens<br />
insistaient plutôt sur le repos <strong>de</strong>s sens, la mesure et la maîtrise<br />
<strong>de</strong> soi.<br />
— Tu veux dire que les humanistes <strong>de</strong> la Renaissance ont<br />
perdu le contrôle d'eux-mêmes?<br />
— Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'ils n'étaient pas <strong>de</strong>s<br />
champions <strong>de</strong> la modération. <strong>Le</strong> mon<strong>de</strong> entier leur paraissait<br />
enfin se réveiller d'un très long sommeil. Il y eut une extraordinaire<br />
prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong> leur époque qui les conduisit à<br />
appeler « Moyen Âge » tous les siècles intermédiaires entre<br />
l'Antiquité et eux et on assista dans tous les domaines à un<br />
épanouissement exceptionnel : l'art, l'architecture, la littérature,<br />
la musique, la philosophie et la science. Prenons un