Le Monde de Sophie - Jostein Gaarder (En pdf) - Oasisfle
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380<br />
LE MONDE DE SOPHIE<br />
Quand le major s'occupe uniquement <strong>de</strong> toi, je peux enfin me<br />
concentrer et travailler sans être dérangé.<br />
— C'est bizarre.<br />
— Non, je peux alors me cacher, tu comprends ? Même le<br />
meilleur service secret du mon<strong>de</strong> connaît <strong>de</strong>s limites, surtout<br />
quand il n'a qu'un seul agent... Au fait, j'ai reçu une carte <strong>de</strong><br />
toi. — Un carton d'invitation, tu veux dire.<br />
— Tu en as vraiment le courage?<br />
— Pourquoi pas ?<br />
— On ne sait jamais ce qui peut se passer au cours <strong>de</strong> soirées<br />
<strong>de</strong> ce genre.<br />
— Alors tu viens ?<br />
— Bien sûr que je viens. Mais il y a autre chose. As-tu réfléchi<br />
au fait que c'est le jour même où le père <strong>de</strong> Hil<strong>de</strong> revient du<br />
Liban?<br />
— Euh... non.<br />
— À mon avis ce n'est pas un hasard qu'il te laisse organiser<br />
une réception philosophique le jour même <strong>de</strong> son retour à<br />
Bjerkely.<br />
— Je t'ai déjà dit que je n'y avais pas fait attention.<br />
— Mais lui, oui. <strong>En</strong>fin, on en reparlera. Tu peux venir au<br />
chalet ce matin ?<br />
— C'est-à-dire que je <strong>de</strong>vais désherber les plates-ban<strong>de</strong>s...<br />
— Alors disons vers <strong>de</strong>ux heures. Ça ira ?<br />
— D'accord.<br />
Comme la <strong>de</strong>rnière fois, Alberto Knox l'attendait assis sur<br />
les marches.<br />
— Assieds-toi là, dit-il en enchaînant sur-le-champ, nous<br />
avons déjà parlé <strong>de</strong> la Renaissance, du baroque et du siècle <strong>de</strong>s<br />
Lumières. Nous allons nous intéresser aujourd'hui au romantisme,<br />
qui est peut-être la <strong>de</strong>rnière gran<strong>de</strong> pério<strong>de</strong> culturelle<br />
que l'Europe ait connue. Nous approchons <strong>de</strong> la fin, mon<br />
enfant.<br />
— La pério<strong>de</strong> romantique a duré si longtemps que ça?<br />
— Elle a commencé à la fin du xvIII e et a continué jusqu'au<br />
milieu du xix e siècle. Mais après 1850, parler <strong>de</strong> grands mouvements<br />
qui englobent aussi bien la littérature et la philosophie<br />
que l'art, la science et la musique n'a plus <strong>de</strong> sens.<br />
LE ROMANTISME 381<br />
— <strong>Le</strong> romantisme était un <strong>de</strong> ces grands mouvements ?<br />
— On a dit que le romantisme était le <strong>de</strong>rnier mouvement à<br />
définir un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie. Cela commença en Allemagne en réaction<br />
contre le règne sans partage <strong>de</strong> la raison pendant le siècle<br />
<strong>de</strong>s Lumières. Après Kant et sa philosophie <strong>de</strong> la raison qui<br />
était plutôt austère, les jeunes en Allemagne avaient envie d'air<br />
pur.<br />
— Et qu'est-ce qu'ils proposaient?<br />
— <strong>Le</strong>s nouveaux mots d'ordre étaient « sentiment », « imagination<br />
», « expérience » et « nostalgie ». Certes le sentiment<br />
n'avait pas été complètement mis <strong>de</strong> côté par les philosophes<br />
du siècle <strong>de</strong>s Lumières, rappelons-nous Rousseau, mais ce<br />
n'était que pour faire contrepoids à la raison. Ce qui n'était<br />
qu'accessoire <strong>de</strong>vint dorénavant essentiel dans la culture alleman<strong>de</strong>.<br />
— Kant n'était plus à la mo<strong>de</strong> ?<br />
— Oui et non. De nombreux romantiques se considéraient<br />
comme ses <strong>de</strong>scendants. Kant avait clairement indiqué qu'il y<br />
avait <strong>de</strong>s limites à ce que nous pouvons savoir <strong>de</strong> « la chose en<br />
soi » (das Ding an sich) tout en soulignant l'importance du sujet<br />
sur la voie <strong>de</strong> la connaissance. Ainsi chacun pouvait à sa guise<br />
redéfinir son rapport au mon<strong>de</strong> et donner sa propre interprétation<br />
du réel. <strong>Le</strong>s romantiques pratiquèrent à l'outrance ce<br />
« culte du moi ». Tout cela aboutit à l'idée <strong>de</strong> génie artistique<br />
comme quintessence <strong>de</strong> l'esprit romantique.<br />
— Il y eut beaucoup <strong>de</strong> génies comme ça?<br />
— Beethoven en est un exemple. Sa musique traduit les émotions<br />
et les désirs d'un être humain et, à ce titre, il s'oppose<br />
aux grands maîtres <strong>de</strong> la musique baroque comme Bach et<br />
Haen<strong>de</strong>l, qui composaient en l'honneur <strong>de</strong> Dieu et d'après <strong>de</strong>s<br />
règles souvent assez strictes.<br />
— Je connais seulement sa Sonate au clair <strong>de</strong> lune et la Neuvième<br />
Symphonie.<br />
— Mais tu sens le romantisme <strong>de</strong> cette sonate et l'atmosphère<br />
dramatique <strong>de</strong> la Neuvième Symphonie, dite Symphonie<br />
du <strong>de</strong>stin.<br />
— Mais tu m'as dit que les humanistes <strong>de</strong> la Renaissance<br />
étaient eux aussi <strong>de</strong>s individualistes.<br />
— Oui, il y a beaucoup <strong>de</strong> traits communs entre la Renaissance<br />
et le romantisme, entre autres la place privilégiée accordée