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Le Monde de Sophie - Jostein Gaarder (En pdf) - Oasisfle

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402 LE MONDE DE SOPHIE HEGEL<br />

— Je l'espère.<br />

— Cela dit, quand on est pris à partie, il n'est pas toujours<br />

aussi aisé <strong>de</strong> faire la part du raisonnable. C'est finalement l'histoire<br />

qui montrera ce qui était vrai ou faux. Ce qui est « raisonnable<br />

», c'est ce qui est « doué <strong>de</strong> vie ».<br />

— Ce qui continuera à vivre, c'est ce qui est juste, c'est ça ?<br />

— Ou vice versa : ce qui est juste, c'est ce qui continuera à<br />

vivre.<br />

— Si ça ne te gêne pas, j'aurais bien aimé avoir un petit<br />

exemple.<br />

— Eh bien, il y a cent cinquante ans, <strong>de</strong> nombreuses personnes<br />

revendiquèrent l'égalité <strong>de</strong>s droits entre les hommes et<br />

les femmes. Mais d'autres s'insurgèrent contre cette égalité. Si<br />

nous nous penchons aujourd'hui sur l'argumentation <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

parties, il est très difficile <strong>de</strong> dire qui avait les arguments les<br />

plus « raisonnables ». Nous ne <strong>de</strong>vons jamais oublier qu'il est<br />

toujours facile <strong>de</strong> dire « après coup » ce qu'il convenait <strong>de</strong> faire<br />

dans telle ou telle situation. Il s'avère que ceux qui prônaient<br />

l'égalité <strong>de</strong>s droits entre les hommes et les femmes avaient raison.<br />

Plus d'un pourtant serait gêné <strong>de</strong> lire noir sur blanc l'opinion<br />

<strong>de</strong> son grand-père à cette même époque.<br />

— Ça ne m'étonne pas. Et qu'en pensait Hegel?<br />

— De l'égalité entre les sexes?<br />

— C'était bien <strong>de</strong> ça qu'on était en train <strong>de</strong> parler, non?<br />

— Tu veux une citation ?<br />

— Volontiers !<br />

— « La différence qu'il y a entre l'homme et la femme est<br />

celle qu'il y a entre l'animal et la plante, a-t-il écrit. L'animal<br />

correspond davantage au tempérament masculin, la plante<br />

davantage à celui <strong>de</strong> la femme. Car la femme a davantage un<br />

développement paisible, dont le principe est l'unité indéterminée<br />

<strong>de</strong> la sensibilité. Si les femmes sont à la tête du gouvernement,<br />

l'État est en danger, car elles n'agissent pas selon les exigences<br />

<strong>de</strong> l'universalité, mais au gré <strong>de</strong>s inclinations et <strong>de</strong>s<br />

opinions contingentes. La formation <strong>de</strong> la femme se fait, on ne<br />

sait trop comment, par imprégnation <strong>de</strong> l'atmosphère que diffuse<br />

la représentation, c'est-à-dire davantage par les circonstances<br />

<strong>de</strong> la vie que par l'acquisition <strong>de</strong>s connaissances.<br />

L'homme, par contre, ne s'impose que par la conquête <strong>de</strong> la<br />

pensée et par <strong>de</strong> nombreux efforts d'ordre technique. »<br />

— Merci, je n'en <strong>de</strong>mandais pas tant !<br />

— Mais cette citation est un exemple excellent pour montrer<br />

à quel point la conception du « raisonnable » est en perpétuelle<br />

évolution. Elle révèle aussi que Hegel était un enfant <strong>de</strong> son<br />

siècle, comme nous tous. Nos conceptions, apparemment si « évi<strong>de</strong>ntes<br />

», ne résisteront guère elles aussi à l'épreuve du temps.<br />

— Tu n'aurais pas un exemple?<br />

—Non.<br />

— Et pourquoi ça ?<br />

— Parce que je parlerais <strong>de</strong> quelque chose qui serait déjà en<br />

train <strong>de</strong> changer. Je ne peux pas te dire que c'est une idiotie <strong>de</strong><br />

conduire puisque la voiture pollue la nature. Tant <strong>de</strong> gens l'ont<br />

déjà dit. Ce serait un mauvais exemple. L'histoire se chargera<br />

elle-même <strong>de</strong> montrer que nos prétendues évi<strong>de</strong>nces ne résistent<br />

pas au jugement du temps.<br />

— Je comprends.<br />

~ Soit dit en passant, nous pouvons noter que c'est justement<br />

parce que les hommes au temps <strong>de</strong> Hegel clamaient si fort<br />

l'infériorité <strong>de</strong> la femme que le mouvement <strong>de</strong> libération <strong>de</strong>s<br />

femmes a pu voir le jour.<br />

— Comment ça?<br />

— <strong>Le</strong>s hommes ont avancé, selon Hegel, une « thèse ». Et<br />

s'ils avaient éprouvé le besoin <strong>de</strong> le faire, c'est que le mouvement<br />

<strong>de</strong> libération <strong>de</strong>s femmes avait déjà commencé. Quel intérêt<br />

y aurait-il eu à défendre un point sur lequel tout le mon<strong>de</strong><br />

tombait d'accord? Plus leurs propos étaient virulents, plus<br />

l'antithèse ou la « négation » était forte.<br />

— Je vois.<br />

— Tu peux donc affirmer que rien ne vaut d'avoir <strong>de</strong>s opposants<br />

énergiques pour progresser. Plus les détracteurs seront<br />

puissants, plus la réaction qu'ils provoqueront sera violente.<br />

C'est ce qu'on appelle « apporter <strong>de</strong> l'eau au moulin ».<br />

— J'ai l'impression que mon moulin tourne vraiment à plein<br />

maintenant.<br />

— De manière purement logique ou philosophique, il y aura<br />

souvent une tension dialectique entre <strong>de</strong>ux concepts.<br />

— Un exemple, s'il te plaît !<br />

— Si je réfléchis au concept « être », je suis contraint d'introduire<br />

le concept contraire, à savoir « ne pas être ». Il est impossible<br />

<strong>de</strong> réfléchir à ce qu'on est sans penser dans le même temps<br />

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