Le Monde de Sophie - Jostein Gaarder (En pdf) - Oasisfle
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474 LE MONDE DE SOPHIE<br />
conscience — il y a tout ce dont nous ne sommes pas conscients,<br />
le subconscient ou encore l'inconscient.<br />
— L'inconscient, c'est donc ce que nous avons en nous, mais<br />
que nous avons oublié et dont nous ne pouvons plus nous souvenir?<br />
— Toutes nos expériences ne sont pas présentes en permanence<br />
dans notre conscience. Mais toutes les pensées ou les<br />
expériences qui peuvent nous revenir en mémoire, pour peu<br />
que nous nous donnions la peine <strong>de</strong> nous concentrer, forment<br />
ce que Freud appelait le préconscient. Il n'utilisait le terme<br />
inconscient que pour parler <strong>de</strong> ce que nous avons refoulé, c'està-dire<br />
toutes ces pensées et ces choses que nous nous sommes<br />
efforcés d'oublier parce qu'elles étaient inconvenantes et déplacées,<br />
voire dégoûtantes. Quand un désir est rejeté par la<br />
conscience ou le surmoi, nous le reléguons à l'étage inférieur.<br />
Bon débarras !<br />
— Je comprends.<br />
— Ce mécanisme fonctionne chez tous les êtres en bonne<br />
santé. Mais certains doivent déployer <strong>de</strong> tels efforts pour refouler<br />
<strong>de</strong>s pensées dérangeantes ou interdites qu'ils finissent par<br />
éprouver <strong>de</strong> réelles souffrances nerveuses. Car le refoulé tente<br />
constamment <strong>de</strong> remonter à la conscience et les personnes<br />
s'épuisent à maintenir cet équilibre artificiel entre leurs désirs<br />
et la réalité. Lorsque Freud fit <strong>de</strong>s conférences aux États-Unis<br />
en 1909, il cita un exemple <strong>de</strong> ce mécanisme <strong>de</strong> refoulement.<br />
— Eh bien, je t'écoute.<br />
— Il dit à ses auditeurs qu'il fallait s'imaginer la présence<br />
d'un élément perturbateur dans la salle qui en riant, en intervenant<br />
à tout bout <strong>de</strong> champ et en frappant du pied, gênerait<br />
son exposé au point d'obliger l'orateur à s'arrêter. Quelques<br />
soli<strong>de</strong>s gaillards se lèveraient probablement pour conduire<br />
manu militari l'intrus dans le couloir. Il serait donc refoulé et<br />
l'orateur pourrait poursuivre en paix sa conférence. Pour être<br />
même bien sûrs qu'il n'y ait pas <strong>de</strong> nouvelle intrusion — c'està-dire<br />
que le refoulement a réussi —, ces mêmes hommes s'installeraient<br />
avec leurs chaises <strong>de</strong>vant la porte d'entrée pour servir<br />
<strong>de</strong> « barrage ». Il suffit <strong>de</strong> nommer la salle le « conscient » et<br />
le couloir l'« inconscient » pour avoir une bonne image du processus<br />
<strong>de</strong> refoulement.<br />
— Je reconnais que c'était une bonne image en effet.<br />
FREUD 475<br />
— Mais le « trouble-fête » n'a pas dit son <strong>de</strong>rnier mot,<br />
<strong>Sophie</strong>. C'est en tout cas ce qui se passe avec les pensées et les<br />
pulsions refoulées. Nous vivons sous la pression constante <strong>de</strong><br />
ces pensées refoulées qui essaient <strong>de</strong> se frayer un chemin<br />
jusqu'à la conscience. C'est pourquoi il nous arrive souvent<br />
d'avoir « la langue qui fourche », c'est-à-dire <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s lapsus.<br />
C'est ainsi que <strong>de</strong>s réactions inconscientes peuvent gui<strong>de</strong>r<br />
nos sentiments et nos actions.<br />
— De quelle manière ?<br />
— Freud met au jour différents mécanismes <strong>de</strong> cet ordre. Il y<br />
a d'abord ce qu'il appelle les mauvaises réactions. Nous disons<br />
ou faisons <strong>de</strong> nous-mêmes quelque chose que nous avons autrefois<br />
essayé <strong>de</strong> refouler. Il cite l'exemple <strong>de</strong> cet ouvrier qui <strong>de</strong>vait<br />
un jour porter un toast à son patron. <strong>Le</strong> problème, c'était que<br />
personne n'aimait ce patron. Il était même ce que certains qualifient<br />
sans hésiter <strong>de</strong> « salaud ».<br />
— Oh!<br />
— L'ouvrier se leva le verre à la main et déclara solennellement<br />
: « Et maintenant buvons à la santé <strong>de</strong> notre cher<br />
salaud ! »<br />
— Ça alors !<br />
— L'ouvrier non plus n'en est pas revenu. <strong>En</strong> fait il avait<br />
juste dit ce qu'il pensait réellement, mais il n'avait jamais eu<br />
l'intention <strong>de</strong> le faire. Tu veux un autre exemple?<br />
— Volontiers,<br />
— Dans la famille d'un pasteur où il y avait beaucoup <strong>de</strong> filles<br />
douces et bien élevées, on attendit un jour la visite d'un évêque.<br />
Cet homme avait vraiment un nez incroyablement long. Ordre<br />
fut donné aux filles <strong>de</strong> ne surtout pas faire allusion à son nez. Et<br />
tu sais qu'il n'y a rien <strong>de</strong> tel qu'un enfant pour vous envoyer vos<br />
quatre vérités en pleine figure, tout simplement parce que chez<br />
un enfant le mécanisme <strong>de</strong> refoulement n'est pas aussi au point<br />
que chez un adulte. L'évêque se rendît chez le pasteur, et les<br />
petites filles si adorables et bien élevées s'appliquèrent terriblement<br />
pour ne pas faire <strong>de</strong> commentaires sur son long nez. Mais<br />
ce n'est pas tout : elles s'évertuèrent à ne pas regar<strong>de</strong>r le nez du<br />
tout, à faire comme s'il n'existait pas tout en ne pensant qu'à ça.<br />
Mais voilà qu'une <strong>de</strong>s filles <strong>de</strong>vait faire passer le sucre pour le<br />
café. Elle se posta <strong>de</strong>vant l'évêque si digne en <strong>de</strong>mandant :<br />
« Vous prendrez bien un peu <strong>de</strong> sucre avec votre nez ? »