Le Monde de Sophie - Jostein Gaarder (En pdf) - Oasisfle
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LE MONDE DE SOPHIE<br />
— Qu'est-ce que tu entends par là?<br />
— Depuis la Renaissance, l'homme a dû se faire à l'idée <strong>de</strong><br />
vivre sur une planète perdue au sein d'un vaste univers. Cela<br />
dit, je ne crois pas que l'on s'y soit vraiment habitué, même<br />
<strong>de</strong> nos jours. Mais à la Renaissance, certains soulignèrent le<br />
fait que l'homme occupait désormais une place plus centrale<br />
qu'avant.<br />
— Comment ça?<br />
— Auparavant, la Terre avait été le centre du mon<strong>de</strong>. Mais<br />
<strong>de</strong>puis que les astronomes avaient démontré qu'il n'existait<br />
pas <strong>de</strong> centre absolu dans l'univers, il y eut autant <strong>de</strong> centres<br />
qu'il y eut d'êtres humains.<br />
— Je vois.<br />
— La Renaissance établit une nouvelle relation à Dieu. Au<br />
fur et à mesure que la philosophie et la science s'éloignèrent<br />
<strong>de</strong> la théologie, apparut une nouvelle forme <strong>de</strong> piété. Avec la<br />
Renaissance, l'image <strong>de</strong> l'homme elle aussi changea et cela<br />
eut <strong>de</strong>s conséquences pour la foi individuelle. La relation à<br />
l'Église comme organisation s'effaça <strong>de</strong>vant la relation personnelle<br />
<strong>de</strong> chacun à Dieu.<br />
— Tu veux parler <strong>de</strong> la prière du soir, par exemple ?<br />
— Oui, ça aussi. Dans l'Église catholique au Moyen Âge,<br />
la liturgie latine et les prières rituelles <strong>de</strong> l'Église avaient<br />
formé la colonne vertébrale <strong>de</strong> la messe. Seuls les prêtres et<br />
les moines pouvaient lire la Bible car elle n'était écrite qu'en<br />
latin. Mais à partir <strong>de</strong> la Renaissance, la Bible fut traduite <strong>de</strong><br />
l'hébreu et du grec en langue populaire. Cela fut une étape<br />
essentielle pour ce qu'on a appelé la Réforme.<br />
— Martin Luther...<br />
— Oui, Luther était important, mais il n'était pas le seul<br />
réformateur. Il y eut d'autres réformateurs ecclésiastiques qui<br />
choisirent <strong>de</strong> rester au sein <strong>de</strong> l'Église catholique romaine.<br />
L'un d'entre eux était Érasme <strong>de</strong> Rotterdam.<br />
— Luther rompit avec l'Église catholique parce qu'il ne<br />
voulait pas payer les indulgences, n'est-ce pas?<br />
— Oui, c'est vrai, mais il s'agissait <strong>de</strong> quelque chose <strong>de</strong><br />
beaucoup plus important. Selon Luther, l'homme n'avait plus<br />
LA RENAISSANCE 245<br />
besoin <strong>de</strong> passer par l'Église ou par les prêtres <strong>de</strong> l'Église<br />
pour obtenir le pardon <strong>de</strong> Dieu. Cela dépendait encore moins<br />
<strong>de</strong>s indulgences que l'on <strong>de</strong>vait payer à l'Église. Précisons<br />
que le commerce <strong>de</strong>s indulgences fut condamné au sein <strong>de</strong><br />
l'Église catholique vers la <strong>de</strong>uxième moitié du xvi e siècle.<br />
— Cela a dû faire plaisir à Dieu.<br />
— Luther a vraiment pris ses distances vis-à-vis d'un<br />
grand nombre <strong>de</strong> coutumes et <strong>de</strong> dogmes religieux dont était<br />
truffée l'Église <strong>de</strong>puis le Moyen Âge. Il voulait revenir au<br />
christianisme du Nouveau Testament. « L'Écriture seulement<br />
», disait-il. Avec ce mot d'ordre, Luther entendait revenir<br />
aux sources du christianisme comme les humanistes <strong>de</strong> la<br />
Renaissance voulaient retrouver l'Antiquité dans les<br />
domaines artistique et culturel. Il traduisit la Bible en allemand<br />
et jeta ainsi les fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> la langue écrite alleman<strong>de</strong>.<br />
Chacun <strong>de</strong>vait pouvoir lire la Bible et d'une certaine<br />
façon <strong>de</strong>venir son propre pasteur.<br />
— Son propre pasteur? Est-ce que ce n'était pas aller trop<br />
loin?<br />
— <strong>Le</strong>s prêtres, selon lui, ne jouissaient pas d'une relation<br />
privilégiée avec Dieu. Dans les communautés luthériennes,<br />
on nomma pour <strong>de</strong>s raisons pratiques <strong>de</strong>s pasteurs pour dire<br />
la messe et vaquer aux diverses tâches quotidiennes <strong>de</strong><br />
l'Église, mais il était persuadé que l'homme n'obtenait pas<br />
son pardon et la rémission <strong>de</strong> ses péchés en observant <strong>de</strong>s<br />
rituels religieux. La foi seule offrait « gratuitement » à<br />
l'homme son salut. Cette conception lui venait <strong>de</strong> la lecture<br />
<strong>de</strong> la Bible.<br />
— Alors Luther aussi est typiquement un homme <strong>de</strong> la<br />
Renaissance ?<br />
— Oui et non. Un trait caractéristique <strong>de</strong> la Renaissance<br />
est la place centrale <strong>de</strong> l'homme dans son individualité et <strong>de</strong><br />
sa relation personnelle avec Dieu. À l'âge <strong>de</strong> trente-cinq ans,<br />
il apprit le grec et entreprit <strong>de</strong> traduire la Bible en allemand.<br />
<strong>Le</strong> fait que le latin s'efface au profit <strong>de</strong> la langue populaire<br />
relève aussi typiquement <strong>de</strong> la Renaissance. Cela dit, Luther<br />
n'était pas un humaniste comme Marsile Ficin ou Léonard <strong>de</strong>