02.07.2013 Views

Le Monde de Sophie - Jostein Gaarder (En pdf) - Oasisfle

Le Monde de Sophie - Jostein Gaarder (En pdf) - Oasisfle

Le Monde de Sophie - Jostein Gaarder (En pdf) - Oasisfle

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

494<br />

LE MONDE DE SOPHIE<br />

— Ça tombe bien puisque nous allons parler <strong>de</strong> l'époque<br />

actuelle.<br />

— Ah?<br />

— Autant être en plein <strong>de</strong>dans, si tu vois ce que je veux dire.<br />

-— Tu veux que je vienne chez toi?<br />

— Mais non, pas chez moi. <strong>En</strong> plus, il y a une <strong>de</strong> ces pagailles !<br />

J'ai tout mis sens <strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>ssous pour vérifier s'il n'y avait pas<br />

<strong>de</strong> micros cachés.<br />

— Oh!<br />

— Non, il y a un nouveau café qui vient d'ouvrir juste en face<br />

<strong>de</strong> la place du Marché : le café Pierre. Tu vois où il est?<br />

— Oui. À quelle heure on se donne ren<strong>de</strong>z-vous ?<br />

— Disons... à midi?<br />

— D'accord, à midi au café.<br />

— Alors je t'en dirai plus tout à l'heure.<br />

— Salut!<br />

Peu après midi, <strong>Sophie</strong> fit son entrée au café Pierre. C'était<br />

un <strong>de</strong> ces nouveaux lieux à la mo<strong>de</strong> avec <strong>de</strong>s tables <strong>de</strong> bistrot et<br />

<strong>de</strong>s chaises noires. Derrière le comptoir s'alignaient <strong>de</strong>s bouteilles<br />

d'alcool la tête en bas avec un bec verseur, <strong>de</strong>s baguettes<br />

beurrées et <strong>de</strong>s portions <strong>de</strong> sala<strong>de</strong> individuelles.<br />

La salle n'était pas très gran<strong>de</strong> et la première chose qui sauta<br />

aux yeux <strong>de</strong> <strong>Sophie</strong>, c'était qu'Alberto n'était pas là. Il y avait<br />

foule et elle dévisagea rapi<strong>de</strong>ment chaque personne dans<br />

l'espoir <strong>de</strong> le découvrir parmi tout ce mon<strong>de</strong>.<br />

Elle n'avait pas l'habitu<strong>de</strong> d'aller seule au café. Peut-être<br />

valait-il mieux qu'elle ressorte et revienne voir un peu plus tard<br />

s'il était arrivé ?<br />

Non, finalement elle alla au comptoir et commanda un thé<br />

citron, Puis elle emporta sa tasse et s'assit à une table libre en<br />

gardant les yeux fixés sur la porte d'entrée par où entraient et<br />

sortaient beaucoup <strong>de</strong> gens. Mais Alberto ne venait pas.<br />

Si au moins elle avait eu un journal !<br />

Pour s'occuper, elle finit par jeter un coup d'œil autour<br />

d'elle. Elle eut droit à quelques regards en retour et tout à coup<br />

<strong>Sophie</strong> se sentit promue au rang <strong>de</strong> jeune femme. Elle n'avait<br />

que quinze ans, mais en paraissait bien dix-sept... ou disons<br />

seize et <strong>de</strong>mi.<br />

Que pouvaient bien penser tous ces gens assis au café <strong>de</strong> leur<br />

existence? Ils semblaient se trouver là par hasard, ils avaient<br />

L'ÉPOQUE CONTEMPORAINE 495<br />

vu la porte ouverte et étaient entrés. Ils discutaient et gesticulaient,<br />

mais leurs sujets <strong>de</strong> conversation paraissaient complètement<br />

futiles.<br />

Il lui revint en mémoire une phrase <strong>de</strong> Kierkegaard disant<br />

qu'une <strong>de</strong>s caractéristiques les plus significatives <strong>de</strong> la foule<br />

était ce « verbiage ». Est-ce que tous ces gens vivaient au sta<strong>de</strong><br />

esthétique? Ou y avait-il quand même quelque chose d'existentiellement<br />

important pour eux?<br />

Dans une <strong>de</strong> ses premières lettres, Alberto avait écrit qu'il y<br />

avait une parenté entre les enfants et les philosophes. De nouveau,<br />

<strong>Sophie</strong> sentit qu'elle avait peur <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir adulte. Et si<br />

elle aussi choisissait <strong>de</strong> vivre bien enfouie dans la fourrure du<br />

lapin blanc qu'on avait fait sortir du chapeau haut <strong>de</strong> forme <strong>de</strong><br />

l'univers?<br />

Elle n'avait pas quitté <strong>de</strong>s yeux la porte d'entrée <strong>de</strong>puis un<br />

bon moment lorsqu'elle aperçut enfin Alberto qui se précipita à<br />

l'intérieur. On avait beau être en été, il avait gardé son béret<br />

noir sur la tête. Il portait une veste longue avec un motif gris. Il<br />

la repéra immédiatement et alla vite la rejoindre. <strong>Sophie</strong> se rendit<br />

compte qu'ils ne s'étaient encore jamais donné ren<strong>de</strong>z-vous<br />

dans un lieu public.<br />

— Tu as vu l'heure ? Il est midi et quart, espèce <strong>de</strong> goujat !<br />

— C'est ce qu'on appelle le « quart d'heure autorisé », non ?<br />

Puis-je offrir à cette <strong>de</strong>moiselle quelque chose à manger?<br />

Il s'assit et la regarda droit dans les yeux. <strong>Sophie</strong> se contenta<br />

<strong>de</strong> hausser les épaules.<br />

— Oh ! ça m'est égal. Un sandwich, si tu veux.<br />

Alberto alla comman<strong>de</strong>r et revint avec une tasse <strong>de</strong> café et<br />

<strong>de</strong>ux sandwiches au fromage et au jambon.<br />

— C'était cher?<br />

— Laisse <strong>Sophie</strong>, ce n'est rien.<br />

— Est-ce que tu as au moins une excuse pour arriver à cette<br />

heure-ci ?<br />

— Non, je n'en ai pas car je l'ai fait exprès. Attends, je vais<br />

t'expliquer.<br />

Il commença par mordre dans son sandwich puis reprit :<br />

— Nous allons parler <strong>de</strong> notre propre siècle.<br />

— Est-ce qu'il s'y est passé quelque chose d'important sur le<br />

plan philosophique ?<br />

— Oui, beaucoup <strong>de</strong> choses, tellement que ça va dans toutes

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!