Le Monde de Sophie - Jostein Gaarder (En pdf) - Oasisfle
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502<br />
LE MONDE DE SOPHIE<br />
l'absurdité <strong>de</strong> l'existence pour amener le public à réagir. Il ne<br />
s'agissait pas <strong>de</strong> cultiver l'absur<strong>de</strong> pour l'absur<strong>de</strong>. Bien au<br />
contraire : en exposant, en mettant à nu le côté absur<strong>de</strong> <strong>de</strong> certains<br />
événements <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong> tous les jours, le public <strong>de</strong>vait être<br />
contraint <strong>de</strong> trouver une forme d'existence plus authentique.<br />
— Continue !<br />
— Ce théâtre <strong>de</strong> l'absur<strong>de</strong> met souvent en scène <strong>de</strong>s situations<br />
tout ce qu'il y a <strong>de</strong> banal. On a pu à ce titre dire que<br />
c'était presque une forme d'« hyperréalisme ». L'homme est<br />
représenté exactement tel qu'il est. Mais si tu montres sur une<br />
scène <strong>de</strong> théâtre exactement ce qui se passe dans une salle <strong>de</strong><br />
bains un matin comme les autres dans la maison <strong>de</strong> monsieur<br />
Tout le mon<strong>de</strong>, je te garantis que le public est plié en <strong>de</strong>ux. On<br />
peut interpréter ce rire comme étant une protection qui évite à<br />
chacun <strong>de</strong> se reconnaître mis à nu sur scène.<br />
— Je comprends.<br />
— <strong>Le</strong> théâtre <strong>de</strong> l'absur<strong>de</strong> présente parfois aussi <strong>de</strong>s traits<br />
surréalistes. <strong>Le</strong>s personnages sur la scène se retrouvent dans les<br />
situations les plus invraisemblables, comme dans un rêve. <strong>En</strong><br />
voyant ces acteurs évoluer dans <strong>de</strong>s conditions imposées sans<br />
pouvoir manifester leur désaccord, le public, lui, est obligé <strong>de</strong><br />
s'étonner et <strong>de</strong> réagir justement à ce manque <strong>de</strong> réaction. C'est<br />
la même chose avec les films muets <strong>de</strong> Charlie Chaplin. Tout le<br />
comique <strong>de</strong> ces films rési<strong>de</strong> dans le fait que Chariot n'est pas<br />
surpris le moins du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> se retrouver mêlé à <strong>de</strong>s situations<br />
complètement invraisemblables. Par le biais du rire, les spectateurs<br />
sont contraints <strong>de</strong> s'interroger sur leur propre existence<br />
qu'ils peuvent enfin voir avec une certaine distance.<br />
— C'est vrai qu'il y a vraiment <strong>de</strong>s situations incroyables<br />
parfois et personne ne proteste !<br />
— C'est important <strong>de</strong> prendre conscience qu'il faut se détacher<br />
<strong>de</strong> tout ça, même si l'on ne sait pas encore très bien comment<br />
s'y prendre et où aller.<br />
— C'est comme lorsqu'une maison est en feu : il faut partir<br />
même si on n'a pas encore une autre maison où habiter.<br />
— C'est ça. Au fait, veux-tu une autre tasse <strong>de</strong> thé? Ou peutêtre<br />
un Coca-Cola?<br />
— Oui, merci. Je trouve que tu ne manques vraiment pas<br />
d'air <strong>de</strong> m'avoir fait poireauter si longtemps.<br />
— Libre à toi <strong>de</strong> penser ce que tu veux.<br />
L'ÉPOQUE CONTEMPORAINE 503<br />
Alberto revint vite avec une tasse <strong>de</strong> café et un Coca-Cola.<br />
Pendant ce temps, <strong>Sophie</strong> commençait à prendre goût à la vie<br />
<strong>de</strong> café. Elle n'était finalement pas si convaincue que ça <strong>de</strong> la<br />
superficialité <strong>de</strong>s conversations aux autres tables.<br />
Alberto posa la bouteille <strong>de</strong> Coca sur la table avec un petit<br />
bruit sec. Plusieurs personnes levèrent la tête.<br />
— Nous voilà bientôt au terme <strong>de</strong> notre route, déclara-t-il.<br />
— Est-ce que tu veux dire que l'histoire <strong>de</strong> la philosophie<br />
s'arrête avec Sartre et l'existentialisme?<br />
— Non, ce serait un peu exagéré. <strong>Le</strong>s thèses existentialistes<br />
ont exercé une énorme influence dans le mon<strong>de</strong> entier. Comme<br />
nous l'avons vu, nous pouvons trouver <strong>de</strong>s analogies chez Kierkegaard<br />
ou même Socrate. Mais le xx e siècle a aussi vu s'épanouir<br />
d'autres courants philosophiques dont nous avons déjà<br />
parlé.<br />
— <strong>Le</strong>squels par exemple?<br />
— Il y a ainsi le néo-thomisme qui reprend les thèses <strong>de</strong> saint<br />
Thomas d'Aquin. Quant à la philosophie analytique ou l'empirisme<br />
logique, ça remonte à Hume et à l'empirisme britannique<br />
mais aussi à la logique d'Aristote. Sans oublier bien entendu ce<br />
qu'on a appelé le néo-marxisme et ses courants dérivés. Nous<br />
avons déjà parlé sinon du néo-darwinisme et souligné l'importance<br />
capitale <strong>de</strong> la psychanalyse.<br />
— Je comprends.<br />
— Il faut cependant s'arrêter un instant sur un <strong>de</strong>rnier mouvement,<br />
le matérialisme, qui lui aussi est profondément ancré<br />
dans l'histoire <strong>de</strong> la philosophie. La science mo<strong>de</strong>rne doit beaucoup<br />
aux travaux <strong>de</strong>s présocratiques. On est par exemple toujours<br />
à la recherche <strong>de</strong> cette fameuse « particule élémentaire »<br />
qui serait à l'origine <strong>de</strong> toute la matière. Personne n'est encore<br />
aujourd'hui en mesure d'expliquer véritablement ce qu'est la<br />
« matière ». La science contemporaine, prenons la physique<br />
nucléaire ou la chimie biologique, est si fascinante qu'elle fait<br />
partie intégrante <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong> gens.<br />
— Il y a donc un amalgame entre les théories anciennes et<br />
les nouvelles ?<br />
— On peut dire ça comme ça, oui. <strong>Le</strong>s questions que je t'ai<br />
posées au début du cours restent sans réponse. Sartre avait<br />
raison d'affirmer que les problèmes existentiels ne pouvaient<br />
pas se régler une bonne fois pour toutes. Une question