Le Monde de Sophie - Jostein Gaarder (En pdf) - Oasisfle
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150 LE MONDE DE SOPHIE<br />
dépendait pas du milieu, elle était commune à tous les<br />
hommes. On pouvait peut-être comparer le milieu et les<br />
conditions sociales avec la situation qui prévalait au fond <strong>de</strong><br />
la caverne <strong>de</strong> Platon. La raison permettait à l'individu <strong>de</strong> quitter<br />
en rampant l'obscurité <strong>de</strong> la caverne. Mais une telle entreprise<br />
nécessitait une bonne dose <strong>de</strong> courage personnel.<br />
Socrate constituait un bon exemple <strong>de</strong> quelqu'un qui s'était<br />
affranchi <strong>de</strong>s opinions courantes <strong>de</strong> son temps en faisant<br />
appel à sa raison. <strong>Sophie</strong> conclut en écrivant : « De nos jours,<br />
<strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> pays et <strong>de</strong> cultures très différents se mêlent <strong>de</strong><br />
plus en plus. Dans un même immeuble on peut voir se<br />
côtoyer <strong>de</strong>s chrétiens, <strong>de</strong>s musulmans et <strong>de</strong>s bouddhistes. Il<br />
importe davantage <strong>de</strong> respecter la croyance <strong>de</strong> chacun plutôt<br />
que se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r pourquoi tous ne croient pas en la même<br />
chose. »<br />
Tout bien réfléchi, <strong>Sophie</strong> trouva qu'elle ne se débrouillait<br />
pas trop mal avec ce qu'elle avait appris <strong>de</strong> son prof <strong>de</strong> philosophie.<br />
Il suffisait <strong>de</strong> rajouter quelques remarques sensées ici<br />
et là et reprendre <strong>de</strong>s phrases qu'elle avait lues ou entendues<br />
dans un autre contexte.<br />
Elle attaqua la troisième question : « Qu'entend-on par<br />
conscience ? La conscience est-elle selon vous la même pour<br />
tous ? » C'était un sujet dont il avait été beaucoup question<br />
en classe. <strong>Sophie</strong> écrivit : « On entend généralement par<br />
conscience la faculté qu'ont les hommes <strong>de</strong> réagir vis-à-vis<br />
du juste et du faux. Tous les hommes possè<strong>de</strong>nt, selon moi,<br />
cette faculté, en d'autres termes, la conscience est innée.<br />
Socrate aurait dit la même chose. Mais ce qu'on entend par<br />
conscience peut beaucoup varier d'un individu à l'autre. Il est<br />
légitime <strong>de</strong> se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si sur ce point les sophistes n'avaient<br />
pas raison. Eux pensaient que la distinction entre le juste et le<br />
faux dépendait avant tout du milieu dans lequel l'individu<br />
grandit, alors que Socrate prétendait que la conscience était<br />
commune à tous. Il est difficile <strong>de</strong> dire qui a raison et qui a<br />
tort, car si certains hommes n'ont pas mauvaise conscience à<br />
se montrer nus, la plupart ont en tout cas mauvaise<br />
conscience s'ils ont fait du tort à leur prochain. Précisons en<br />
L'HELLÉNISME 151<br />
passant qu'avoir une conscience n'est pas la même chose<br />
qu'utiliser sa conscience. Certaines personnes peuvent<br />
paraître agir sans le moindre scrupule, mais à mon avis elles<br />
ont aussi une conscience, même si cette <strong>de</strong>rnière est bien<br />
cachée. Ainsi il est <strong>de</strong>s êtres apparemment dépourvus <strong>de</strong> raison,<br />
mais c'est parce qu'ils ne s'en servent pas.<br />
P.-S. : La raison comme la conscience peuvent être comparées<br />
à un muscle. Si on ne se sert pas d'un muscle, il <strong>de</strong>vient<br />
progressivement <strong>de</strong> plus en plus faible. »<br />
Il ne restait plus que la <strong>de</strong>rnière question : « Qu 'entend-on<br />
par échelle <strong>de</strong>s valeurs ? » C'était un sujet à la mo<strong>de</strong>. Rien <strong>de</strong><br />
tel que savoir conduire pour se déplacer rapi<strong>de</strong>ment d'un<br />
endroit à l'autre, mais si les automobilistes contribuent à la<br />
mort <strong>de</strong> la forêt et à l'empoisonnement <strong>de</strong> la nature, on se<br />
trouve confronté à un problème moral et <strong>Sophie</strong> écrivit que<br />
<strong>de</strong>s forêts saines et une nature propre étaient finalement plus<br />
importantes que d'arriver vite au travail. Elle cita d'autres<br />
exemples et conclut : « Mon avis personnel est que la philosophie<br />
est une matière plus importante que la grammaire<br />
anglaise. Ce serait par conséquent respecter l'échelle <strong>de</strong>s<br />
valeurs que <strong>de</strong> rogner un peu sur les heures d'anglais pour<br />
introduire la philosophie dans l'emploi du temps. »<br />
Pendant la récréation, le professeur prit <strong>Sophie</strong> à part.<br />
— J'ai déjà corrigé votre <strong>de</strong>voir, dit-il. Il était tout en haut<br />
<strong>de</strong> la pile.<br />
— J'espère que vous y avez trouvé votre bonheur.<br />
— C'est justement ce dont je voudrais vous parler. <strong>En</strong> un<br />
sens vous avez répondu avec beaucoup <strong>de</strong> maturité. Oui, une<br />
maturité étonnante même. Et très personnelle. Mais vous<br />
n'aviez pas révisé, n'est-ce pas?<br />
<strong>Sophie</strong> se défendit :<br />
— Vous aviez dit que vous apprécieriez les considérations<br />
personnelles.<br />
— Soit... mais il y a <strong>de</strong>s limites.<br />
<strong>Sophie</strong> le regarda droit dans les yeux. Elle trouvait qu'elle<br />
pouvait se le permettre après tout ce qu'elle venait <strong>de</strong> vivre.<br />
— J'ai commencé à étudier la philosophie, déclara-t-elle.