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Le Monde de Sophie - Jostein Gaarder (En pdf) - Oasisfle

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286 LE MONDE DE SOPHIE<br />

un « calme stoïque ». Il ne fallait surtout pas se laisser emporter<br />

par ses émotions.<br />

— Je comprends ce que tu veux dire, mais je n'aime pas<br />

cette idée que l'on n'est pas maître <strong>de</strong> ses actions.<br />

— Revenons à ce petit garçon <strong>de</strong> l'âge <strong>de</strong> pierre qui vivait<br />

il y a trente mille ans. <strong>En</strong> grandissant, il apprit à se servir<br />

d'une lance pour tuer les animaux, il fit l'amour à une femme<br />

qui <strong>de</strong>vint la mère <strong>de</strong> ses enfants et tu peux être sûre qu'il<br />

vénérait les dieux <strong>de</strong> sa tribu. Crois-tu vraiment qu'il ait<br />

décidé tout cela lui-même ?<br />

— Je ne sais pas.<br />

— Ou imagine un lion en Afrique. Est-ce lui qui déci<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> mener la vie d'un grand fauve? De se précipiter sur la<br />

première gazelle qui boite? N'aurait-il pas préféré être<br />

végétarien ?<br />

— Mais non, le lion doit vivre selon sa nature.<br />

— Autrement dit selon les lois <strong>de</strong> la nature. Tout comme<br />

toi, <strong>Sophie</strong>, car tu fais aussi partie <strong>de</strong> la nature. Bien sûr tu<br />

peux t'appuyer sur Descartes et me rétorquer que le lion est<br />

un animal et non un homme doté d'un esprit libre. Mais<br />

prends l'exemple d'un nouveau-né : il crie, et si on ne lui<br />

donne pas <strong>de</strong> lait, il sucera son pouce à la place. À ton avis, ce<br />

bébé a-t-il une volonté libre ?<br />

— Non.<br />

— Quand aura-t-il une volonté libre alors ? À l'âge <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />

ans, cette petite fille gamba<strong>de</strong>ra partout en montrant du doigt<br />

tout ce qu'elle voit. À trois ans, elle épuisera sa mère par ses<br />

caprices et à quatre ans aura soudain peur du noir. Où est la<br />

liberté dans tout ça, <strong>Sophie</strong> ?<br />

— Je ne sais pas.<br />

— Et quand elle aura quinze ans, elle s'amusera <strong>de</strong>vant la<br />

glace à se maquiller. Est-ce maintenant qu'elle prend <strong>de</strong>s<br />

décisions personnelles et fait ce qu'elle veut?<br />

— Je comprends ce que tu veux dire.<br />

— Elle s'appelle <strong>Sophie</strong> Amundsen, ça, elle le sait. Mais<br />

elle vit aussi selon les lois <strong>de</strong> la nature, mais comment pourrait-elle<br />

s'en rendre compte, puisqu'il y a une infinité <strong>de</strong><br />

SPINOZA 287<br />

causes extrêmement complexes <strong>de</strong>rrière la moindre <strong>de</strong> ses<br />

actions ?<br />

— Je n'ai pas envie d'en apprendre davantage.<br />

— Il faut que tu répon<strong>de</strong>s encore à une <strong>de</strong>rnière question.<br />

Imagine <strong>de</strong>ux vieux arbres fruitiers qui ont été plantés en<br />

même temps dans un grand jardin. L'un a poussé au soleil et a<br />

bénéficié d'une terre riche et bien arrosée, alors que l'autre a<br />

poussé à l'ombre sur un sol pauvre. Quel arbre sera le plus<br />

grand et portera le plus <strong>de</strong> fruits ?<br />

— Évi<strong>de</strong>mment celui qui aura eu les meilleures conditions<br />

pour pousser.<br />

— Eh bien, pour Spinoza, cet arbre est libre, à savoir qu'il<br />

a la liberté <strong>de</strong> développer toutes les possibilités qu'il porte en<br />

lui. Bien sûr, s'il s'agit d'un pommier, il n'y a aucune chance<br />

pour qu'il donne <strong>de</strong>s poires ou <strong>de</strong>s prunes. Il en va <strong>de</strong> même<br />

pour nous les hommes. Nous pouvons rencontrer <strong>de</strong>s obstacles,<br />

par exemple d'ordre politique, qui freineront notre<br />

croissance personnelle. Des contraintes extérieures peuvent<br />

nous inhiber, aussi est-ce seulement quand nous pouvons<br />

« librement » développer toutes nos possibilités en puissance<br />

que nous vivons en hommes libres. Mais nous restons en un<br />

sens tout aussi tributaires <strong>de</strong> nos dispositions <strong>de</strong> départ et <strong>de</strong>s<br />

conditions extérieures qu'un petit garçon <strong>de</strong> l'âge <strong>de</strong> pierre,<br />

un lion en Afrique ou un pommier du jardin.<br />

— Je crois que ça me suffit comme ça.<br />

— Seul un être est « la cause <strong>de</strong> lui-même », c'est-à-dire<br />

conçu par lui-même, et peut agir en toute liberté. Seul Dieu<br />

ou la nature est capable <strong>de</strong> s'épanouir tout à fait librement.<br />

Un être humain peut lutter pour conquérir une liberté qui le<br />

délivre <strong>de</strong> contraintes extérieures, mais il ne jouira jamais<br />

d'une « libre volonté ». Comment pourrions-nous déci<strong>de</strong>r <strong>de</strong><br />

tout ce qui se passe dans notre corps, qui n'est lui-même<br />

qu'un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'attribut <strong>de</strong> l'Étendue? De la même façon,<br />

nous ne « choisissons » pas ce que nous pensons non plus.<br />

L'homme n'a donc pas une « âme libre » qui serait prisonnière<br />

d'un corps mécanique.<br />

— Ce point-là est un peu difficile à comprendre.

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