Le Monde de Sophie - Jostein Gaarder (En pdf) - Oasisfle
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414 LE MONDE DE SOPHIE<br />
chacun d'entre nous est une personne unique qui ne vit qu'une<br />
seule fois.<br />
— Et Hegel ne s'était pas particulièrement intéressé à cette<br />
question ?<br />
— Non, il préférait considérer les gran<strong>de</strong>s lignes <strong>de</strong> l'histoire,<br />
Et c'est justement ce qui a irrité Kierkegaard. <strong>Le</strong> panthéisme<br />
<strong>de</strong>s romantiques, tout comme l'historicisme <strong>de</strong> Hegel, noyait la<br />
responsabilité individuelle ; c'est pourquoi, Hegel ou les romantiques,<br />
c'était selon lui du pareil au même.<br />
— Je comprends que ça l'ait rendu mala<strong>de</strong>.<br />
— S0ren Kierkegaard est né en 1813 et reçut <strong>de</strong> son père une<br />
éducation sévère. C'est <strong>de</strong> lui qu'il hérita un profond sentiment<br />
religieux.<br />
— Ça n'a pas l'air très encourageant.<br />
— C'est ce profond sentiment religieux qui le poussa à<br />
rompre ses fiançailles. Cela fut très mal perçu par la bourgeoisie<br />
bien-pensante <strong>de</strong> Copenhague et il dut subir force moqueries<br />
et brima<strong>de</strong>s. Il apprit petit à petit à répondre à ses détracteurs<br />
et se défendre, mais il <strong>de</strong>vint ce que Ibsen a appelé un<br />
« ennemi du peuple ».<br />
— Tout ça parce qu'il avait rompu ses fiançailles ?<br />
— Pas uniquement. Vers la fin <strong>de</strong> sa vie, il se mit à critiquer<br />
violemment toute la culture européenne. « Toute l'Europe<br />
s'achemine lentement vers la faillite », déclara-t-il. Il jugeait<br />
son époque sans passion et sans engagement et ne supportait<br />
pas la tié<strong>de</strong>ur et le manque <strong>de</strong> rigueur <strong>de</strong> l'Église danoise luthérienne.<br />
<strong>Le</strong> « christianisme du dimanche » lui sortait par les<br />
yeux.<br />
— On parle davantage <strong>de</strong> nos jours <strong>de</strong> « christianisme <strong>de</strong><br />
communion solennelle », à savoir que la plupart ne font leur<br />
communion que pour avoir plein <strong>de</strong> ca<strong>de</strong>aux.<br />
— C'est là que le bât blesse. Pour Kierkegaard, la religion<br />
s'imposait avec une évi<strong>de</strong>nce telle qu'elle s'opposait à la raison<br />
et qu'il fallait faire un choix : c'était soit l'un soit l'autre. On ne<br />
pouvait pas être « un peu » chrétien ou « jusqu'à un certain<br />
point ». Car soit le Christ était ressuscité le jour <strong>de</strong> Pâques, soit<br />
il ne l'était pas. Et s'il était vraiment ressuscité d'entre les<br />
morts, s'il était vraiment mort pour notre salut, cela était si<br />
extraordinaire que cela méritait bien <strong>de</strong> gui<strong>de</strong>r toute notre vie.<br />
— Je comprends.<br />
KIERKEGAARD 415<br />
— Mais Kierkegaard se rendit compte que l'Église et la plupart<br />
<strong>de</strong>s chrétiens avaient une vision un peu scolaire <strong>de</strong>s problèmes<br />
religieux. Selon lui, la religion et la raison étaient<br />
comme l'eau et le feu. Il ne suffit pas <strong>de</strong> croire que le christianisme<br />
est « vrai ». La vraie foi chrétienne consiste à suivre les<br />
traces <strong>de</strong> Jésus-Christ.<br />
— Qu'est-ce que Hegel a à voir là-<strong>de</strong>dans?<br />
— Bon, on n'aurait peut-être pas dû commencer par là.<br />
— Alors faisons marche arrière et reprenons tout <strong>de</strong>puis le<br />
début.<br />
— Kierkegaard commença à étudier la théologie dès l'âge <strong>de</strong><br />
dix-sept ans, mais se passionna <strong>de</strong> plus en plus pour les problèmes<br />
philosophiques. À vingt-sept ans il obtint son diplôme<br />
avec sa dissertation Sur le concept d'ironie en rapport avec<br />
Socrate, où il s'attaque à la conception romantique <strong>de</strong> l'ironie et<br />
à leur jeu facile avec l'illusion. Il voit dans l'« ironie socratique<br />
» l'opposé <strong>de</strong> cette forme d'ironie, car Socrate utilisait<br />
l'ironie comme moyen d'action afin <strong>de</strong> mettre en valeur la profon<strong>de</strong><br />
gravité <strong>de</strong> la vie. Contrairement aux romantiques,<br />
Socrate était aux yeux <strong>de</strong> Kierkegaard un « penseur existentiel<br />
», c'est-à-dire quelqu'un dont l'existence fait partie intégrante<br />
<strong>de</strong> sa philosophie.<br />
— Si tu le dis...<br />
— Après avoir rompu ses fiançailles avec Regine Olsen,<br />
Kierkegaard partit en 1841 pour Berlin, où il suivit entre autres<br />
les cours <strong>de</strong> Schelling.<br />
— Est-ce qu'il rencontra Hegel ?<br />
— Non, Hegel était mort dix ans plus tôt, mais l'esprit <strong>de</strong><br />
Hegel continuait <strong>de</strong> souffler pas seulement sur Berlin mais sur<br />
presque toute l'Europe. Son « système » servait dorénavant <strong>de</strong><br />
modèle d'explication pour <strong>de</strong>s questions en tout genre. Kierkegaard<br />
trouva que les « vérités objectives » prônées par la philosophie<br />
hégélienne ne pouvaient aucunement s'appliquer à<br />
l'existence individuelle.<br />
— Mais quel genre <strong>de</strong> vérité est essentiel alors?<br />
— Il ne s'agit pas tant <strong>de</strong> trouver la Vérité avec un grand V<br />
que <strong>de</strong> trouver <strong>de</strong>s vérités qui concernent la vie <strong>de</strong> tout un chacun.<br />
Il importe <strong>de</strong> trouver ce qui est « vrai pour moi ». Il<br />
oppose donc l'individu au « système ». Selon lui, Hegel avait<br />
oublié qu'il était lui-même un homme. <strong>Le</strong> professeur hégélien