02.07.2013 Views

Le Monde de Sophie - Jostein Gaarder (En pdf) - Oasisfle

Le Monde de Sophie - Jostein Gaarder (En pdf) - Oasisfle

Le Monde de Sophie - Jostein Gaarder (En pdf) - Oasisfle

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

306 LE MONDE DE SOPHIE<br />

s'enchaîner par la suite toutes les émotions et les concepts.<br />

C'est comme un film à l'écran : les images défilent si vite que<br />

nous ne voyons pas que le film est en fait constitué d'une infinité<br />

d'images isolées. <strong>En</strong> réalité, un film n'est qu'une somme<br />

d'instants.<br />

— Je crois que j'abandonne.<br />

— Tu veux dire que tu abandonnes la représentation fallacieuse<br />

<strong>de</strong> ton moi que tu croyais immuable ?<br />

— Je suis bien obligée.<br />

— Avoue que tu n'étais pas partie pour, au début ! Pourtant<br />

quelqu'un d'autre que Hume, <strong>de</strong>ux mille cinq cents ans plus<br />

tôt, avait analysé la conscience <strong>de</strong> l'homme et détruit le<br />

mythe d'un moi irréductible.<br />

— C'était qui?<br />

— Bouddha. <strong>Le</strong>urs formulations sont si proches que c'en<br />

est presque troublant. Bouddha considérait la vie <strong>de</strong> l'homme<br />

comme une suite ininterrompue <strong>de</strong> cycles psychiques et physiques<br />

qui modifiaient à chaque instant l'être humain. <strong>Le</strong> nouveau-né<br />

n'est pas le même que l'adulte et je ne suis pas<br />

aujourd'hui la même personne qu'hier. De rien je ne peux<br />

dire : « ceci m'appartient », dit Bouddha, et rien ne me permet<br />

<strong>de</strong> dire : « ça, c'est moi ». Il n'existe pas <strong>de</strong> moi ou <strong>de</strong><br />

noyau immuable <strong>de</strong> la personnalité.<br />

— C'est vraiment très proche <strong>de</strong> Hume en effet.<br />

— Dans le même ordre d'idées, les rationalistes avaient<br />

également affirmé l'immortalité <strong>de</strong> l'âme.<br />

— Mais ça aussi c'est une idée fausse, non?<br />

— Oui, aussi bien pour Hume que pour Bouddha. Sais-tu<br />

ce que dit Bouddha à ses disciples avant <strong>de</strong> mourir?<br />

— Comment le saurais-je ?<br />

— « Toutes les choses créées sont condamnées à disparaître,<br />

aussi travaillons à notre salut », dit-il. Hume aurait pu<br />

dire la même chose. Et, qui sait, même Démocrite. Nous<br />

savons en tout cas que Hume refusa d'essayer <strong>de</strong> démontrer<br />

l'immortalité <strong>de</strong> l'âme ou l'existence <strong>de</strong> Dieu. Non qu'il en<br />

exclût la possibilité, mais croire qu'on pouvait fon<strong>de</strong>r la foi<br />

religieuse par la raison humaine relevait selon lui <strong>de</strong> l'hérésie<br />

HUME<br />

rationaliste. Hume n'était pas chrétien, mais il n'était pas non<br />

plus athée. Il était ce que nous appelons un agnostique.<br />

— Ce qui signifie ?<br />

— Un agnostique est quelqu'un qui ne sait si Dieu existe.<br />

Quand Hume, sur son lit <strong>de</strong> mort, reçut la visite d'un ami qui<br />

lui <strong>de</strong>manda s'il croyait à une vie après la mort, Hume lui<br />

aurait répondu qu'un morceau <strong>de</strong> charbon jeté au feu pouvait<br />

ne pas brûler.<br />

— Ah ! bon...<br />

— Sa réponse dénote bien sa totale liberté <strong>de</strong> jugement. Il<br />

ne reconnaissait comme vrai que ce qu'il avait perçu comme<br />

tel par ses propres sens. Il laisse sinon le champ ouvert à<br />

toutes les hypothèses. Il ne rejetait pas la foi chrétienne ou la<br />

croyance aux miracles. Mais dans les <strong>de</strong>ux cas il est question<br />

<strong>de</strong> foi et non <strong>de</strong> savoir ou <strong>de</strong> raison. On peut en gros affirmer<br />

que le <strong>de</strong>rnier maillon entre la foi et la raison se brise avec la<br />

philosophie <strong>de</strong> Hume.<br />

— Mais tu as dit qu'il ne rejetait pas les miracles.<br />

— Ce qui ne veut pas dire qu'il y croyait, bien au contraire.<br />

Il constate seulement le besoin qu'ont les hommes <strong>de</strong> croire à<br />

<strong>de</strong>s événements que nous qualifierons aujourd'hui <strong>de</strong> « surnaturels<br />

». Mais ce n'est pas un hasard si tous ces miracles se<br />

passent très loin d'ici, il y a très, très longtemps. Hume refuse<br />

<strong>de</strong> croire aux miracles tout simplement parce qu'il n'en a<br />

jamais vu <strong>de</strong> ses propres yeux. Mais que les miracles n'existent<br />

pas, il n'en a pas <strong>de</strong> preuves tangibles non plus.<br />

—- Tu peux reprendre ce <strong>de</strong>rnier point?<br />

— Hume considère le miracle comme une rupture avec les<br />

lois naturelles. Mais il est absur<strong>de</strong> <strong>de</strong> dire que nous avons une<br />

expérience sensible <strong>de</strong>s lois naturelles. Nous voyons bien<br />

qu'une pierre tombe par terre si nous la lâchons, mais si elle<br />

ne tombait pas, nous en aurions tout autant fait l'expérience.<br />

— J'aurais pourtant dit que c'était un miracle, ou quelque<br />

chose <strong>de</strong> surnaturel.<br />

— Tu crois donc qu'il existe <strong>de</strong>ux natures, une « nature »<br />

et une « surnature ». Ne sens-tu pas que tu retombes dans les<br />

propos nébuleux <strong>de</strong>s rationalistes ?<br />

307

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!