Le Monde de Sophie - Jostein Gaarder (En pdf) - Oasisfle
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162 LE MONDE DE SOPHIE<br />
nous arriver, à <strong>de</strong> rares occasions, <strong>de</strong> ressentir que nous sommes<br />
ce mystère divin lui-même.<br />
<strong>Le</strong>s images <strong>de</strong> Plotin rappellent l'Allégorie <strong>de</strong> la caverne<br />
chez Platon : plus on s'approche <strong>de</strong> l'entrée <strong>de</strong> la grotte, plus on<br />
se rapproche <strong>de</strong> l'origine <strong>de</strong> tout ce qui est. Mais à la différence<br />
<strong>de</strong> Platon qui sépare la réalité en <strong>de</strong>ux parties distinctes, la pensée<br />
<strong>de</strong> Plotin est sous le signe d'une expérience <strong>de</strong> la totalité.<br />
Tout est un, car tout est Dieu. Même les ombres tout au fond <strong>de</strong><br />
la caverne <strong>de</strong> Platon reçoivent un pâle reflet <strong>de</strong> l'Un.<br />
Au cours <strong>de</strong> sa vie, Plotin eut quelquefois la révélation que<br />
son âme fusionnait avec Dieu. C'est ce que nous appelons une<br />
expérience mystique. Plotin n'est pas le seul à avoir eu ce genre<br />
<strong>de</strong> révélation. Il y a eu <strong>de</strong> tout temps et dans toutes les cultures<br />
<strong>de</strong>s personnes qui en ont parlé. <strong>Le</strong> récit <strong>de</strong> leur expérience peut<br />
légèrement varier, mais on retrouve <strong>de</strong>s traits essentiels dans<br />
toutes ces <strong>de</strong>scriptions. Examinons quelques-uns <strong>de</strong> ces traits.<br />
La mystique<br />
Une expérience mystique signifie que l'on ressent une unité<br />
avec Dieu ou l'« âme du mon<strong>de</strong> ». Certaines religions insistent<br />
sur le fossé qui existe entre Dieu et la Création, mais le mystique<br />
fait justement l'expérience qu'un tel fossé n'existe pas. La<br />
personne « fait corps » avec Dieu, « s'est fondue » en Lui.<br />
Derrière tout cela, il y a l'idée que ce que nous appelons communément<br />
« moi » n'est pas notre véritable moi. Dans <strong>de</strong>s<br />
moments <strong>de</strong> fulgurance, nous faisons l'expérience d'appartenir<br />
à un Moi beaucoup plus vaste. Certains l'appellent Dieu,<br />
d'autres l'« âme du mon<strong>de</strong> », la « Nature universelle » ou<br />
encore la « totalité du mon<strong>de</strong> ». Au moment <strong>de</strong> la révélation, le<br />
mystique « se perd lui-même », il disparaît ou se fond en Dieu,<br />
telle une goutte d'eau qui se perdrait elle-même en se mêlant à<br />
l'océan. Un mystique indien s'exprima en ces termes : « Quand<br />
j'étais, Dieu n'était pas. Quand Dieu est, je ne suis plus. » <strong>Le</strong><br />
mystique chrétien Angélus Silesius (1624-1677) dit quant à lui<br />
que chaque goutte <strong>de</strong>vient l'océan en se fondant en lui, <strong>de</strong><br />
même que l'âme s'élève et <strong>de</strong>vient Dieu.<br />
Tu penses peut-être que ce ne doit pas être très agréable <strong>de</strong><br />
« se perdre soi-même ». Je comprends tes réticences. Seulement<br />
voilà : ce que tu perds a infiniment moins <strong>de</strong> valeur que ce que<br />
L'HELLÉNISME 163<br />
tu gagnes. Tu te perds toi-même dans ta forme présente, mais<br />
tu prends aussi conscience que tu es quelque chose d'infiniment<br />
plus grand. Tu es l'univers. Oui, c'est toi, <strong>Sophie</strong>, qui es l'âme<br />
du mon<strong>de</strong>. C'est toi qui es Dieu. Même si tu dois renoncer à toimême<br />
en tant que <strong>Sophie</strong> Amundsen, console-toi en te disant<br />
que tu finiras bien un jour ou l'autre par perdre ce « moi <strong>de</strong><br />
tous les jours ». Ton vrai moi, que tu ne peux réussir à<br />
connaître qu'en renonçant à toi-même, est selon les mystiques<br />
semblable à un feu étrange qui brûle <strong>de</strong> toute éternité.<br />
Mais une telle expérience mystique n'arrive pas toujours<br />
d'elle-même. <strong>Le</strong> mystique doit souvent suivre le « chemin <strong>de</strong> la<br />
purification et <strong>de</strong> l'illumination » à la rencontre <strong>de</strong> Dieu. Ce<br />
chemin consiste en un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie rudimentaire et en diverses<br />
pratiques méditatives. Et un jour survient où le mystique<br />
atteint son but et peut enfin s'écrier : « Je suis Dieu » ou « Je<br />
suis Toi ».<br />
Nous trouvons <strong>de</strong>s orientations mystiques au sein <strong>de</strong> toutes<br />
les gran<strong>de</strong>s religions dans le mon<strong>de</strong>. Et il est frappant <strong>de</strong><br />
constater à quel point les <strong>de</strong>scriptions que le mystique fait <strong>de</strong><br />
son expérience se rejoignent par-<strong>de</strong>là les différences culturelles.<br />
Ce n'est que lorsque le mystique tente <strong>de</strong> donner une interprétation<br />
religieuse ou philosophique <strong>de</strong> son expérience que<br />
l'arrière-plan culturel réapparaît.<br />
Dans la mystique occi<strong>de</strong>ntale, influencée par les religions<br />
monothéistes, judaïsme, christianisme et islam, le mystique souligne<br />
qu'il fait l'expérience d'une rencontre avec un Dieu personnel.<br />
Même si Dieu est présent dans la nature et dans l'âme<br />
<strong>de</strong> l'homme, il plane aussi bien au-<strong>de</strong>ssus du mon<strong>de</strong>.<br />
Dans la mystique orientale, c'est-à-dire au sein <strong>de</strong> l'hindouisme,<br />
du bouddhisme et du taoïsme, il est plus courant <strong>de</strong><br />
souligner que le mystique fait l'expérience d'une fusion totale<br />
avec Dieu ou !'« âme du mon<strong>de</strong> ». « Je suis l'âme du mon<strong>de</strong> »,<br />
peut s'écrier le mystique, ou encore « je suis Dieu ». Car Dieu<br />
n'est pas aussi dans le mon<strong>de</strong>, il n'est précisément en aucun<br />
autre lieu que là. <strong>En</strong> In<strong>de</strong> tout particulièrement, il y a eu bien<br />
avant l'époque <strong>de</strong> Platon <strong>de</strong> forts courants mystiques. Swami<br />
Vivekananda, qui fît connaître la pensée hindoue en Occi<strong>de</strong>nt,<br />
dit un jour : « De même que certaines religions dans le mon<strong>de</strong><br />
nomment athée l'homme qui ne croit pas à un Dieu existant en<br />
<strong>de</strong>hors <strong>de</strong> sa personne, nous disons quant à nous qu'est athée