Le Monde de Sophie - Jostein Gaarder (En pdf) - Oasisfle
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284 LE MONDE DE SOPHIE<br />
— Oui, c'est ça. Selon Spinoza, nous autres hommes<br />
connaissons <strong>de</strong>ux qualités ou formes d'apparitions <strong>de</strong> Dieu, à<br />
savoir les attributs <strong>de</strong> Dieu, qui sont la « pensée » et l'« étendue<br />
» que Descartes avait déterminées. Dieu — ou la nature<br />
— se manifeste sous forme <strong>de</strong> pensée ou <strong>de</strong> chose dans<br />
l'espace. Il se peut que Dieu ait infiniment plus d'attributs<br />
que ces <strong>de</strong>ux-là, mais ce sont les seuls auxquels les hommes<br />
aient accès.<br />
— Je veux bien, mais pourquoi faire compliqué quand on<br />
peut faire simple ?<br />
— Je reconnais qu'il faut être soli<strong>de</strong>ment armé pour s'attaquer<br />
à la langue <strong>de</strong> Spinoza, mais le jeu en vaut la chan<strong>de</strong>lle,<br />
car la pensée qui se dégage finalement a la transparence et la<br />
beauté d'un diamant.<br />
— Tu excites ma curiosité.<br />
— Tout ce qui est dans la nature appartient soit à la Pensée<br />
soit à l'Étendue. Toutes les choses et les événements <strong>de</strong> notre<br />
vie quotidienne, que ce soit une fleur ou un poème sur cette<br />
même fleur, sont différents mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la Pensée ou <strong>de</strong> l'Étendue.<br />
Un modus (modi au pluriel) est une modification <strong>de</strong> la<br />
Substance infinie qu'est la Nature. Une fleur est un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
l'attribut <strong>de</strong> l'Étendue comme le poème sur cette même fleur<br />
un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'attribut <strong>de</strong> la Pensée. Ainsi chaque créature particulière<br />
apparaît-elle comme un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> Dieu.<br />
— Plutôt tordu comme type !<br />
— Non, c'est juste sa langue qui est un peu alambiquée.<br />
Derrière ces formules assenées <strong>de</strong> manière péremptoire se<br />
cache une vérité splendi<strong>de</strong> et d'une telle évi<strong>de</strong>nce que notre<br />
langue <strong>de</strong> tous les jours est trop pauvre pour la décrire.<br />
— Pour ma part, je préfère quand même la langue <strong>de</strong> tous<br />
les jours.<br />
— Très bien, je vais commencer par toi-même. Quand tu as<br />
mal au ventre, qu'est-ce qui a mal?<br />
— Tu l'as déjà dit, c'est moi.<br />
— C'est vrai. Et quand tu penses plus tard que tu as eu mal<br />
au ventre, qu'est-ce qui pense?<br />
— Eh bien, c'est toujours moi.<br />
SPINOZA 285<br />
— Car tu es une personne et une seule qui tantôt a mal au<br />
ventre, tantôt est l'objet d'une émotion. Toutes les choses qui<br />
nous entourent physiquement sont l'expression <strong>de</strong> Dieu ou <strong>de</strong><br />
la nature. De même nos pensées. Car tout est un. Il n'y a<br />
qu'un seul Dieu, une seule Nature ou une seule Substance.<br />
— Mais quand je pense à quelque chose, c'est moi qui<br />
pense et quand je me déplace, c'est toujours moi qui me<br />
déplace. Qu'est-ce que Dieu vient faire là-<strong>de</strong>dans?<br />
— J'aime ton engagement, mais qui es-tu? Tu es <strong>Sophie</strong><br />
Amundsen, mais tu es aussi l'expression <strong>de</strong> quelque chose<br />
d'infiniment plus grand. Tu peux affirmer, si cela te fait plaisir,<br />
que c'est toi qui penses ou qui te déplaces, mais ne peuxtu<br />
aussi dire que c'est la Nature qui pense tes pensées et qui<br />
se déplace à travers toi? <strong>En</strong> fait, tout n'est qu'une question<br />
<strong>de</strong> verres optiques, <strong>de</strong> perspective.<br />
—- Est-ce que ça revient à dire que ce n'est pas moi qui<br />
déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> ce que je fais ?<br />
— <strong>En</strong> quelque sorte. Tu as peut-être la liberté <strong>de</strong> bouger le<br />
pouce quand tu le désires, mais il ne peut bouger qu'en suivant<br />
sa propre nature. Pas question pour lui <strong>de</strong> sauter <strong>de</strong> ta<br />
main et <strong>de</strong> courir dans toute la pièce. Toi aussi tu as ta place<br />
dans le grand Tout. Tu es <strong>Sophie</strong>, mais tu es aussi un doigt <strong>de</strong><br />
la main <strong>de</strong> Dieu.<br />
— Alors c'est Dieu qui déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> tout ce que je fais ?<br />
— Dieu ou la Nature ou les lois naturelles. Pour Spinoza,<br />
Dieu est la cause immanente <strong>de</strong> tout ce qui arrive. Il n'est pas<br />
une cause extérieure, car Dieu ne se manifeste que par ces<br />
lois naturelles.<br />
— Je ne saisis pas bien la différence.<br />
— Dieu n'est pas un montreur <strong>de</strong> marionnettes qui tire sur<br />
les ficelles en décidant <strong>de</strong> ce qui va se passer. Au contraire,<br />
tout dans le mon<strong>de</strong> se produit par nécessité. Spinoza avait une<br />
conception déterministe <strong>de</strong> la vie sur terre.<br />
— Ça me rappelle quelque chose.<br />
— Tu penses peut-être aux stoïciens. Eux aussi avaient<br />
affirmé que tout se produisait dans le mon<strong>de</strong> par nécessité.<br />
D'où l'importance <strong>de</strong> faire face aux événements en gardant