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Le Monde de Sophie - Jostein Gaarder (En pdf) - Oasisfle

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410 LE MONDE DE SOPHIE<br />

Soudain <strong>Sophie</strong> entendit frapper à la porte. Alberto la<br />

regarda d'un air déterminé :<br />

— Ne nous laissons pas distraire.<br />

<strong>Le</strong>s coups retentirent <strong>de</strong> plus belle.<br />

— Je vais te parler d'un philosophe danois qui fut bouleversé<br />

par la philosophie <strong>de</strong> Hegel, commença Alberto.<br />

<strong>Le</strong>s coups <strong>de</strong>vinrent à présent si violents que toute la porte<br />

fut ébranlée.<br />

— C'est naturellement encore un coup monté du major qui<br />

nous envoie un <strong>de</strong> ces personnages farfelus pour nous mettre à<br />

l'épreuve, poursuivit Alberto. Ça ne lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> aucun effort.<br />

— Mais si nous n'allons pas ouvrir, il peut lui prendre l'envie<br />

<strong>de</strong> détruire tout le chalet.<br />

— Tu as peut-être raison, allons voir qui c'est.<br />

Ils se dirigèrent vers la porte. Étant donné la violence <strong>de</strong>s<br />

coups, <strong>Sophie</strong> s'était imaginé se trouver en face d'un homme<br />

immense, mais il n'y avait sur le perron qu'une petite fille avec<br />

<strong>de</strong> longs cheveux blonds et une robe d'été à fleurs. Elle tenait<br />

<strong>de</strong>ux petites bouteilles à la main. L'une était rouge, l'autre était<br />

bleue.<br />

— Bonjour, lança <strong>Sophie</strong>. Qui es-tu ?<br />

— Je m'appelle Alice, répondit la petite fille, un peu gênée,<br />

en faisant une révérence.<br />

— Je m'en doutais, intervint Alberto. C'est Alice au pays <strong>de</strong>s<br />

merveilles.<br />

— Mais comment a-t-elle fait pour venir jusqu'ici?<br />

Alice prit alors la parole :<br />

— <strong>Le</strong> pays <strong>de</strong>s merveilles est un pays qui ne connaît pas <strong>de</strong><br />

frontières. Ça veut dire que le pays <strong>de</strong>s merveilles est partout,<br />

un peu comme les Nations unies. C'est pourquoi il <strong>de</strong>vrait être<br />

un membre honoraire <strong>de</strong> l'ONU. Nous <strong>de</strong>vrions avoir <strong>de</strong>s<br />

représentants dans toutes les délégations.<br />

— Ah ! ce major ! grommela Alberto.<br />

— Et qu'est-ce qui t'amène ici?<br />

— On m'a chargée <strong>de</strong> donner ces bouteilles <strong>de</strong> philosophie à<br />

<strong>Sophie</strong>, répondit-elle en tendant les petites bouteilles vers la<br />

jeune fille.<br />

Toutes <strong>de</strong>ux étaient en verre dépoli, seule changeait la couleur<br />

du liqui<strong>de</strong>, rouge dans l'un, bleue dans l'autre. Sur la<br />

KIERKEGAARD 411<br />

bouteille rouge était écrit : « BOIS-MOI » et sur la bleue ; « BOIS-<br />

MOI AUSSI ».<br />

L'instant d'après, un lapin blanc fila comme une flèche<br />

<strong>de</strong>vant le chalet. Il courait sur <strong>de</strong>ux pattes et portait veste et<br />

gilet. Il sortit une montre à gousset <strong>de</strong> sa poche en disant :<br />

— Oh ! mon Dieu ! Je vais vraiment être en retard.<br />

Sur ce, il reprit sa course et Alice le suivit. Elle eut juste le<br />

temps <strong>de</strong> faire une autre révérence en disant :<br />

— Ça y est, ça recommence.<br />

— Dis bonjour à Dinah et à la Reine <strong>de</strong> ma part, lui cria<br />

<strong>Sophie</strong> avant <strong>de</strong> la voir disparaître tout à fait.<br />

Restés seuls, Alberto et <strong>Sophie</strong> examinèrent les <strong>de</strong>ux bouteilles.<br />

— BOIS-MOI et BOIS-MOI AUSSI, lut <strong>Sophie</strong> qui ajouta aussitôt :<br />

je ne sais pas si je vais oser le faire.<br />

Alberto se contenta <strong>de</strong> hausser les épaules.<br />

— C'est le major qui nous l'envoie, et tout ce qui vient <strong>de</strong><br />

lui est <strong>de</strong> la conscience. Ce ne peut donc être que du « jus <strong>de</strong><br />

pensée ».<br />

<strong>Sophie</strong> déboucha la bouteille rouge et la porta pru<strong>de</strong>mment<br />

à ses lèvres. <strong>Le</strong> liqui<strong>de</strong> avait un drôle <strong>de</strong> goût sucré, en tout cas<br />

celui-là. Mais, dans le même temps, tout ce qui l'entourait <strong>de</strong>venait<br />

soudain différent.<br />

C'était comme si l'étang, la forêt et le chalet se fondaient en<br />

un seul élément. Elle eut bientôt l'impression qu'elle ne voyait<br />

plus qu'une seule personne et que cette personne, c'était <strong>Sophie</strong><br />

elle-même. Elle leva les yeux vers Alberto, mais lui aussi semblait<br />

n'être qu'une partie <strong>de</strong> l'âme <strong>de</strong> <strong>Sophie</strong>.<br />

— Ça fait un drôle d'effet, expliqua-t-elle. Je vois tout comme<br />

avant, mais c'est comme si tout faisait partie d'un tout. J'ai<br />

l'impression que tout n'est qu'une seule et unique conscience.<br />

Alberto hocha la tête d'un air entendu, mais <strong>Sophie</strong> eut<br />

l'impression qu'elle se hochait la tête à elle-même.<br />

— C'est le panthéisme ou la philosophie <strong>de</strong> la totalité. C'est<br />

l'Esprit du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s romantiques. Selon eux, le mon<strong>de</strong> entier<br />

n'était qu'un vaste « je ». Hegel aussi n'oubliait pas l'individu<br />

pris isolément et voyait dans le mon<strong>de</strong> l'expression d'une seule<br />

et unique raison universelle.<br />

— Est-ce que je dois aussi goûter l'autre bouteille ?<br />

— C'est ce qui est marqué.

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