Je sais que ce n’est nullement là un usage occidental ; et je suis bien p<strong>la</strong>cé, comme Occidenta<strong>la</strong>yant sillonné l’Inde pendant quinze ans et rencontré beaucoup d’Européens qui enétaient à leur premier voyage là-bas, pour savoir combien les Européens, en Inde, peuventrefuser ce geste <strong>du</strong> pranam et combien, à plus forte raison, il pourrait paraître étrange oudéroutant à des Européens en Europe. Si l’on garde une vue superficielle des choses, on peutaussi se demander comment le gourou devant qui l’on fait le pranam reçoit ce pranam. Ce<strong>la</strong>ne le gêne-t-il pas dans son humilité ? Ce<strong>la</strong> ne le f<strong>la</strong>tte-t-il pas ? Ni l’un ni l’autre. Ce genrede réactions est complètement hors de question, puisque le gourou n’a plus d’ego qui puisseêtre f<strong>la</strong>tté ni vexé, gratifié ni frustré. En même temps que le disciple, le gourou fait dans soncœur le pranam à l’atman. Dans un rite d’initiation, en Inde, l’initiation <strong>du</strong> disciple par legourou, celui-ci fait le pranam devant le disciple, c’est-à-dire reconnaît que l’atman est là,présent dans le disciple. Quand les disciples font le pranam, le gourou le fait en lui-même,en même temps qu’eux, à l’atman de chaque disciple, ou plutôt à l’atman qui est en chaquedisciple. Car l’atman n’est <strong>la</strong> propriété d’aucun ego, il est <strong>la</strong> réalité qui anime et soutient toutce qui apparaît dans le monde <strong>du</strong> changement et <strong>du</strong> devenir.Dans le chemin de Swâmiji, il n’est pas demandé de tout quitter pour venir vivre jour etnuit auprès <strong>du</strong> gourou incarné. Une part de <strong>la</strong> sadhana s’effectue auprès <strong>du</strong> maître, une autrepart dans les « conditions et circonstances » ordinaires de l’existence. Si vous voulez vraimentéchapper aux émotions, aux conflits, à <strong>la</strong> peur, à <strong>la</strong> souffrance, à <strong>la</strong> prison tragique de l’ego etde <strong>la</strong> <strong>du</strong>alité, le monde entier doit devenir l’ashram et chaque incident de <strong>la</strong> vie doit devenirpour vous le gourou lui-même. Je vais insister un peu sur ce point essentiel.Il existe trois manières de s’engager dans <strong>la</strong> sadhana, <strong>la</strong> discipline spirituelle.La première, c’est se retirer complètement <strong>du</strong> monde. En Inde, le sannyasin est celui quia tout abandonné, qui a renoncé à tout et qui, dans une société et une civilisation qui lepermettent, n’a plus de domicile, plus de « carte d’identité », et vit uniquement de ce que <strong>la</strong>Providence lui attribue : d’aumônes qu’il n’a même pas le droit de réc<strong>la</strong>mer. En Inde, lesvil<strong>la</strong>geois se font encore un devoir de subvenir aux besoins des sannyasins. Un disciple deSwâmiji, beaucoup plus âgé que moi, m’a raconté qu’il se souvenait comment, dans son enfance,sa mère, toutes les demi-heures, jetait un coup d’œil dehors pour voir s’il n’y avait pasun sannyasin à l’horizon, souhaitant avoir le privilège d’être <strong>la</strong> femme, ou plutôt <strong>la</strong> mère, <strong>du</strong>vil<strong>la</strong>ge qui essuierait <strong>la</strong> poussière de ses pieds et lui donnerait à manger avant qu’il reprenne<strong>la</strong> route. Cette vie d’abandon <strong>du</strong> monde se fait aussi à l’intérieur d’un monastère. C’est cequ’on appelle <strong>la</strong> vie cénobitique. Qu’il s’agisse d’un monastère tibétain, zen ou cistercien, lemonastère prend entièrement en charge l’existence <strong>du</strong> moine. Certains monastères vivent dedonations, d’autres <strong>du</strong> travail effectué par les moines. Il y a beaucoup de rapprochementspossibles entre un monastère trappiste, un monastère zen et un monastère tibétain (en excluantles monastères tibétains, aujourd’hui disparus, qui groupaient sept mille moines et quiétaient d’immenses universités).La deuxième manière de s’engager dans <strong>la</strong> sadhana, c’est de ne s’y engager que partiellement.Et, par rapport à un moine ou à un yogi vivant avec trois ou quatre autres disciplesauprès de son maître dans un endroit inaccessible de l’Hima<strong>la</strong>ya ou des forêts indiennes, cetengagement partiel ne peut évidemment donner que des résultats limités : on médite quandon a un moment ; quand on y pense, on met en pratique un exercice de vigi<strong>la</strong>nce ; et puis,on est de nouveau emporté par le courant de l’existence en pensant : « Les conditions actuellesne sont pas favorables... Si je n’avais pas un mari..., une femme..., des enfants..., un mé-22
tier..., des responsabilités... Si je pouvais me consacrer entièrement à <strong>la</strong> sadhana... commetout serait plus facile ! La vie est si difficile aujourd’hui qu’elle est incompatible avec <strong>la</strong> <strong>recherche</strong>spirituelle. » Il est bien certain que celui qui pratique six heures de piano par jour aune chance de devenir un virtuose, et non celui qui pratique deux heures de piano par semaine.À quelqu’un qui avait demandé à Mâ Anandamayi s’il y avait des sadhanas meilleuresque d’autres, Mâ répondit : « Ce qui est plus important que <strong>la</strong> sadhana elle-même, c’est toutsimplement le temps que vous y consacrez. » C’est si vrai. Après des années où je trouvaistrès agréable de mener de front une sadhana ou l’illusion d’une sadhana et toutes sortes d’activités,en novembre 1964, c’est-à-dire exactement au bout de quinze ans de méditationsdiverses, je me trouvai dans l’Hima<strong>la</strong>ya <strong>du</strong> côté de Darjeeling. Cette région n’attirait pas encoreles étrangers et, pendant plusieurs semaines, j’y étais le seul Européen parmi les Tibétains.J’y ai intensément souffert – au bout de quinze ans, il était temps – de sentir que jen’étais pas disciple à part entière. J’étais tout doucement en train de me faire un nom dans <strong>la</strong>spiritualité, comme on se fait un nom dans les affaires ou dans les arts, à travers mes livres etmes émissions de télévision ; mais je n’étais finalement, par rapport aux moines tibétains ouà certains disciples de yogis tels que Lopon Sonam Zangpo, qu’un outsider. J’en ai souffertd’une façon très pure ; aucun désir de l’ego ne s’y mê<strong>la</strong>it. Il n’était plus question de pratiquerune sadhana pour devenir plus efficace ou pour me faciliter l’existence, et c’est à ce momentlàqu’un courage nouveau s’est levé en moi, animé par ce qu’on appelle l’énergie <strong>du</strong> désespoir,au vrai sens <strong>du</strong> mot. J’étais réellement désespéré de voir que les années passaient, etqu’effectivement je ne me trouvais pas à égalité avec un disciple tibétain engagé vingt-quatreheures sur vingt-quatre dans <strong>la</strong> sadhana. J’avais beaucoup reçu, j’avais été émerveillé pendantdes années, notamment pendant mes premières années Gurdjieff que je ne renierai pas ; MâAnandamayi et Ramdas m’avaient comblé ; comparé à d’autres à Paris, j’étais peut-être parmiles plus sérieux, mais comparé à ces disciples tibétains avec lesquels je vivais depuis plusieursmois, je n’étais qu’un amateur. Ce<strong>la</strong> ne m’avait jamais bouleversé à ce point, mêmequand je vivais à l’ashram de Mâ Anandamayi.J’ai été voir alors un certain Swâmi Prajnânpad, dont je traînais l’adresse avec moi depuissix ans, et auprès de qui je n’al<strong>la</strong>is pas parce que le moment n’était pas venu, parce que jen’étais pas mûr, parce que je savais très bien intuitivement ce qui m’attendait là-bas, et jeremettais toujours à demain. C’est auprès de Swâmiji que je devais trouver un chemin quej’avais tant cherché – tout en essayant en même temps de l’esquiver – où je puisse continuerà rester dans l’existence normale, puisque je n’avais pas <strong>la</strong> possibilité de <strong>la</strong> quitter, et où je mesente enfin à égalité avec un disciple à temps plein d’un maître hindou ou tibétain. Je dis queje n’avais pas <strong>la</strong> possibilité de quitter l’existence. On considère toujours que cette impossibilitéest d’ordre pratique, matériel : c’est vrai ; mais elle est surtout d’ordre psychologique. Denombreux hommes diront qu’ils ne peuvent pas abandonner l’existence pour aller se réfugierdans un monastère ou un ermitage de l’Hima<strong>la</strong>ya, parce qu’ils ont une femme et des enfants; mais le jour où ils tombent follement amoureux, il n’y a plus de femme ni d’enfantsqui tiennent et ils s’en vont avec le nouvel amour de leur vie. Je vivais dans une société qui neprévoit pas qu’un homme marié et père de famille puisse abandonner sa femme et ses enfantscomme le prévoit <strong>la</strong> société hindoue. Il n’était donc pas question de rester sans travailler,sans gagner ma vie auprès de Lopon Sonam Zangpo. Ce<strong>la</strong> a été un grand déchirement.J’ai découvert cette troisième manière de s’engager auprès de Swâmiji. Tous les maîtreset tous les sages ont toujours reconnu et affirmé qu’il était possible de progresser sans quitter23
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