july-2010

De par sa position stratégique entre l’Allemagne, la
France et les Pays-Bas, Liège était la candidate idéale pour
devenir une gare TGV. Pour ce faire, il lui fallait cependant se
doter non seulement des rails spéciaux pour trains à grande
vitesse, mais également d’une nouvelle gare à cinq quais.
En 1997, le projet de Calatrava a été sélectionné à l’issue
d’un concours relevé auquel ont participé de grands noms de
la spécialité tels que Sir Nicholas Grimshaw et Aldo Rossi. Cet
architecte espagnol attachant est devenu le génie à contacter
lorsque l’on désire transformer des espaces fonctionnels en
œuvres d’art. À cette époque, Calatrava avait non seulement
conçu, mais bien redéfi ni les gares de Lucerne, de Lyon, de
Lisbonne et de Zurich.
Le génie de Santiago Calatrava réside certainement dans
son approche sculpturale des bâtiment fonctionnels, mais
aussi dans le fait qu’il est conscient que les constructions
basiques telles que les aéroports, les gares et les ponts sont
plus compliquées qu’il n’y paraît. « Construire à l’horizontale
est beaucoup plus diffi cile qu’à la verticale », affi rme-t-il.
« Les gens pensent qu’une gare est juste un toit, mais c’est
beaucoup plus que cela. » Calatrava est spécialiste de l’axe
horizontal. Il a en effet débuté sa carrière par des ponts à
Berlin, Bilbao, Barcelone, Dublin, Jérusalem, Séville et Toronto.
Les structures de Calatrava sont immédiatement
reconnaissables. En tant qu’architecte, il utilise des
formes sculpturales blanches – arcs-boutants, consoles et
voûtes – afi n de créer ce que l’on pourrait décrire comme
un exosquelette abritant la fonction de l’édifi ce. Ses
constructions sont dénuées de façades. La structure du
bâtiment et son squelette sont toujours visibles. Bien que
cette approche ait généré des formes fonctionnelles très
brutales – telles que le Centre Pompidou à Paris, avec ses
tuyaux apparents – Calatrava utilise des formes organiques
afi n de compenser cette fonctionnalité, voire en extraire une
certaine beauté. Chaque arc et colonne est véritablement
sculpté. Le toit de la nouvelle gare de Liège, culminant
à 35 mètres au-dessus des voyageurs, ressemble à une
cage thoracique géante. Tout comme la nature ne peut
engendrer la laideur, il en va de même de Calatrava. Ses
quais, ses escalators et ses portiques ont une élégance fl uide
rappelant presque les lignes sinueuses de l’Art Nouveau.
En dépit de son génie visuel évident, les projets de
Santiago Calatrava sont controversés. À Valence, il a construit
l’un des plus beaux opéras du monde, le Palau de les Arts
Reina Sofi a (332 millions d’euros). Dès son inauguration en
2007, la Sala Principal (scène lyrique) de l’édifi ce a connu des
problèmes d’acoustique. Fidèle à lui-même, Calatrava n’avait
pas délégué la conception de l’auditorium à des spécialistes
du théâtre, comme le font de nombreux architectes, mais
avait tout pris en charge, jusqu’aux poignées de portes en
céramique (des torses humains bleus). Les fi nitions des
murs portaient pour la plupart la signature « trencadis »
de l’architecte (un style de mosaïque catalan utilisant des
morceaux de céramiques). Malheureusement, l’acoustique
en pâtissait et des experts ont dû apporter des modifi cations,
toujours coûteuses. Par ailleurs, certaines places ne
bénéfi ciaient pas d’une vue complète sur la scène.
À Bilbao, les pavés de son pont Campo Volantín étaient
glissants lorsqu’ils étaient mouillés et menaçaient de se
fendre. À Venise, son Ponte della Costituzione, quatrième pont
sur le Grand Canal, à l’origine trop lourd pour ses contreforts,
a fait exploser le budget et a été taxé de trop escarpé pour les
personnes en fauteuil roulant.
En général, Calatrava n’est jamais contesté pour sa vision,
mais parce qu’il fait fi de considérations pratiques et dépasse
son budget. Personne ne peut critiquer ses idées ni son
ambition. À Liège, on pourrait se demander pourquoi les
dix magasins alignés le long du hall devaient être circulaires,
ce qui entrave l’installation des rayonnages. Et les ponts
suspendus entre les plates-formes ne sont toujours pas
accessibles à l’heure actuelle. Néanmoins, la gare vaut sans
nul doute le détour, tant comme œuvre d’art que comme
infrastructure ferroviaire. Comme l’a souligné Architectural
Record en mars dernier, « la gare TGV surréelle de Santiago
Calatrava remet une ville historique à l’honneur ».
La gare des Guillemins joue un rôle essentiel pour la
nouvelle image de Liège. Ces dernières années, la ville a
entrepris d’excellents travaux de rénovation, tels que le
nouveau centre commercial bigarré surmonté d’un toit
extraordinaire conçu par le britannique Ron Arad. Par ailleurs,
lorsque le Crowne Plaza émergera enfi n de l’ancien Palais
des Comtes de Méan au Mont Saint-Martin, Liège sera dotée
d’un superbe hôtel cinq étoiles arborant probablement la plus
belle salle de bal du XIX e siècle de Wallonie. Mais la ville avait
surtout besoin d’un symbole de sa renaissance.
Les gares ferroviaires, négligées dans la seconde moitié
du XX e siècle au profi t des autoroutes et des voitures,
reviennent sur le devant de la scène au XXI e siècle. Les villes
ont toujours eu besoin d’édifi ces symboles de leur richesse, de
leur goût et de leur importance dans le monde. Au Moyen-
Âge, les cathédrales incarnaient le statut de l’endroit. Au
XIX e siècle, la gare ferroviaire a remplacé la cathédrale, selon
des proportions similaires. La Gare du Nord de Paris, la Gare
centrale de Newcastle et le joyau Art Nouveau d’Anvers,
la Centraal Station, avaient vocation à impressionner les
nouveaux arrivants.
Récemment, de nombreux pays ont beaucoup investi dans
de nouveaux aéroports. Ainsi, Pékin a autant impressionné
avec son Terminal 3 que son stade olympique. Mais les
aéroports sont toujours en dehors de la ville et n’affectent pas
la vision de ses résidents et de ses visiteurs. Non seulement
la gare ferroviaire est une première impression, mais il s’agit
également d’un point de référence. La rénovation de
METROPOLITAN 77