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résumés des cours et travaux - Collège de France

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728 ANTOINE COMPAGNON<br />

Les « milices <strong>de</strong> réserve » nous renvoient à la Bible, à la « Sainte milice » (Isaïe,<br />

13, 3) ou à la milice céleste, l’ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> Anges ayant saint Michel pour chef<br />

(Daniel, 10, 13), l’ange du Jugement <strong>et</strong> le saint patron du baron <strong>de</strong> Charlus. Ces<br />

« bourgeoises pieuse <strong>et</strong> sèches » illustrent un lieu commun moral du Nouveau<br />

Testament : « Malheur à vous, scribes <strong>et</strong> Pharisiens hypocrites, parce que vous<br />

ressemblez à <strong><strong>de</strong>s</strong> tombeaux blanchis, qui au <strong>de</strong>hors paraissent beaux, mais au<br />

<strong>de</strong>dans sont remplis d’ossements <strong>de</strong> morts <strong>et</strong> <strong>de</strong> toute immondice. Ainsi vous, au<br />

<strong>de</strong>hors, vous paraissez justes aux hommes, mais au <strong>de</strong>dans vous êtes pleins<br />

d’hypocrisie <strong>et</strong> d’iniquité » (Matthieu, 23, 27-28). C’est l’habit qui ne fait pas le<br />

moine, comme dans le fameux prologue <strong>de</strong> Gargantua.<br />

La moralité <strong>de</strong> Combray relève <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te hypocrisie, comme les principes <strong>de</strong> la<br />

famille du narrateur, jouant contre le mariage <strong>de</strong> Swann ou les manières <strong>de</strong> Bloch :<br />

« Il n’était pas pourtant l’ami que mes parents eussent souhaité pour moi ; ils<br />

avaient fini par penser que les larmes que lui avait fait verser l’indisposition <strong>de</strong> ma<br />

grand-mère n’étaient pas feintes ; mais ils savaient d’instinct ou par expérience que<br />

les élans <strong>de</strong> notre sensibilité ont peu d’empire sur la suite <strong>de</strong> nos actes <strong>et</strong> la<br />

conduite <strong>de</strong> notre vie, <strong>et</strong> que le respect <strong><strong>de</strong>s</strong> obligations morales, la fidélité aux<br />

amis, l’exécution d’une œuvre, l’observance d’un régime, ont un fon<strong>de</strong>ment plus<br />

sûr dans <strong><strong>de</strong>s</strong> habitu<strong><strong>de</strong>s</strong> aveugles que dans ces transports momentanés, ar<strong>de</strong>nts <strong>et</strong><br />

stériles. » L’ami du narrateur leur paraît trop émotionnel ou même hystérique. Sa<br />

morale n’est pas coutumière : « Ils auraient préféré pour moi à Bloch <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

compagnons qui ne me donneraient pas plus qu’il n’est convenu d’accor<strong>de</strong>r à ses<br />

amis, selon les règles <strong>de</strong> la morale bourgeoise ; qui ne m’enverraient pas<br />

inopinément une corbeille <strong>de</strong> fruits parce qu’ils auraient ce jour-là pensé à moi<br />

avec tendresse, mais qui, n’étant pas capables <strong>de</strong> faire pencher en ma faveur la<br />

juste balance <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>voirs <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> exigences <strong>de</strong> l’amitié sur un simple mouvement <strong>de</strong><br />

leur imagination <strong>et</strong> <strong>de</strong> leur sensibilité, ne la fausseraient pas davantage à mon<br />

préjudice » (I, 91-92). C’est l’habitu<strong>de</strong> qui interdit les excès, qui garantit l’équilibre,<br />

la juste mesure, comme la balance <strong>de</strong> la justice : la morale bourgeoise n’accor<strong>de</strong><br />

pas <strong>de</strong> privilèges, mais elle ne comm<strong>et</strong> pas non plus <strong>de</strong> préjudices. Du moins c’est<br />

ce qu’elle prétend.<br />

La gran<strong>de</strong> scène <strong>de</strong> cant à « Combray » a lieu lors <strong>de</strong> la rencontre <strong>de</strong> Swann <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

Vinteuil : « Un jour que nous marchions avec Swann dans une rue <strong>de</strong> Combray,<br />

M. Vinteuil qui débouchait d’une autre, s’était trouvé trop brusquement en face <strong>de</strong><br />

nous pour avoir le temps <strong>de</strong> nous éviter ; <strong>et</strong> Swann avec c<strong>et</strong>te orgueilleuse charité <strong>de</strong><br />

l’homme du mon<strong>de</strong> qui, au milieu <strong>de</strong> la dissolution <strong>de</strong> tous ses préjugés moraux, ne<br />

trouve dans l’infamie d’autrui qu’une raison d’exercer envers lui une bienveillance<br />

dont les témoignages chatouillent d’autant plus l’amour-propre <strong>de</strong> celui qui les<br />

donne, qu’il les sent plus précieux à celui qui les reçoit, avait longuement causé avec<br />

M. Vinteuil » (I, 147). Swann, comme les dames <strong>de</strong> patronage, confond ici vice <strong>et</strong><br />

vertu, orgueil <strong>et</strong> charité, amour-propre <strong>et</strong> bienveillance, dans la pure « hypocrisie <strong>de</strong><br />

moralité ». Le narrateur n’est pas <strong>de</strong> ceux qui veulent faire <strong><strong>de</strong>s</strong> vices privés <strong><strong>de</strong>s</strong> vertus<br />

publiques. Mais Vinteuil n’est pas meilleur.

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