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résumés des cours et travaux - Collège de France

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762 MICHAEL EDWARDS<br />

presque été changé, dit un témoin, en un autre homme ». Il entrevoit la conversion<br />

totale <strong>de</strong> l’être, mais il n’est que « presque » changé, <strong>et</strong> cela seulement pendant un<br />

moment. Il se repent <strong>de</strong> ses actions (mépriser Hélène, débaucher Diane, mentir) à<br />

la <strong>de</strong>rnière scène, <strong>et</strong> prom<strong>et</strong> d’aimer toujours <strong>et</strong> ar<strong>de</strong>mment sa femme, mais il<br />

semble hésiter aussi, en attendant <strong>de</strong> savoir si les conditions apparemment<br />

impossibles qu’il avait posées avant <strong>de</strong> se réconcilier avec Hélène ont été satisfaites.<br />

Il <strong>de</strong>meure, comme le jeune homme <strong><strong>de</strong>s</strong> Sonn<strong>et</strong>s, énigmatique, insaisissable.<br />

Il est vrai aussi que la pièce semble partagée entre un conte magique <strong>et</strong> un récit<br />

réaliste. En guérissant le roi d’une maladie incurable, Hélène fait participer à son<br />

acte, par la poésie d’une incantation, la totalité <strong>de</strong> l’univers en mouvement <strong>et</strong> les<br />

fables (les chevaux du soleil, la lampe d’Hespérus) par lesquelles nous l’imaginons.<br />

En se substituant à Diane dans le lit <strong>de</strong> Bertrand, cependant, elle conçoit une ruse<br />

d’un réalisme, disons, médiéval (<strong>et</strong> qui vient, d’ailleurs, <strong>de</strong> Boccace). Mais si nous<br />

sommes conscients <strong>de</strong> passer entre le mon<strong>de</strong> surnaturel intermittent <strong>et</strong> le mon<strong>de</strong><br />

naturel <strong><strong>de</strong>s</strong> convoitises <strong>et</strong> les lâch<strong>et</strong>és, n’est-ce pas ce que Shakespeare cherche ? La<br />

discordance entre <strong><strong>de</strong>s</strong> types d’histoire <strong>et</strong> entre <strong><strong>de</strong>s</strong> styles d’écriture marque l’accès<br />

discontinu <strong>et</strong> provisoire à une réalité supérieure dans notre mon<strong>de</strong>.<br />

Tous ces signes contradictoires culminent dans le dénouement, qui refuse la<br />

profon<strong>de</strong> réconciliation entre Hélène <strong>et</strong> Bertrand à laquelle on s’attend, <strong>et</strong> qui laisse<br />

supposer, malgré le titre <strong>de</strong> la pièce, que tout ne finit pas bien pleinement <strong>et</strong> aussitôt.<br />

Shakespeare a déjà donné à un Deuxième Seigneur anonyme c<strong>et</strong>te pensée pascalienne<br />

avant la l<strong>et</strong>tre : « La trame <strong>de</strong> notre vie est tissée avec <strong><strong>de</strong>s</strong> fils mélangés […] ; nos<br />

vertus seraient fières si nos fautes ne les fou<strong>et</strong>taient pas, <strong>et</strong> nos vices désespéreraient<br />

s’ils n’étaient pas consolés par nos vertus », <strong>et</strong> il semble s’intéresser à écrire une<br />

comédie qui tient parfaitement compte <strong>de</strong> ce qu’elle opère ses transformations <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

êtres <strong>et</strong> <strong>de</strong> la vie entière dans un mon<strong>de</strong> divisé <strong>et</strong> radicalement imparfait. La pièce va<br />

bien <strong>de</strong> la mort vers la vie. Hélène, qui répand la rumeur <strong>de</strong> sa propre mort,<br />

« ressuscite » à la fin, comme le font tant <strong>de</strong> personnages shakespeariens afin <strong>de</strong><br />

représenter <strong>de</strong> la manière la plus n<strong>et</strong>te la transformation qui se situe au cœur <strong>de</strong> son<br />

œuvre, <strong>et</strong> elle est en outre enceinte. Mais en réfléchissant <strong>de</strong> nouveau sur l’idée <strong>de</strong><br />

dénouement, Shakespeare prend au sérieux, dans la pièce qui annonce l’idée dans<br />

son titre, le fait qu’à l’époque finir bien signifiait avant tout mourir bien, <strong>et</strong> que la<br />

vraie fin attendait après la mort. Il freine donc la résolution <strong>et</strong> la joie <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>rnières<br />

scènes afin <strong>de</strong> laisser personnages <strong>et</strong> spectateurs dans le vrai mon<strong>de</strong> contradictoire <strong>et</strong><br />

inaccompli que l’on r<strong>et</strong>rouve en quittant le théâtre.<br />

Dans Cymbeline, finalement, qui pourrait dater <strong>de</strong> 1609-1610 <strong>et</strong> qui figure<br />

parmi ses <strong>de</strong>rnières pièces, Shakespeare réfléchit continuellement sur la poésie <strong>et</strong><br />

sur le théâtre. Quand Iachimo décrit une tapisserie représentant la rencontre<br />

d’Antoine <strong>et</strong> Cléopâtre, où le fleuve Cydnus débor<strong>de</strong> à cause « soit du nombre <strong>de</strong><br />

barques, soit <strong>de</strong> son orgueil », il offre, en quelques mots, une p<strong>et</strong>ite leçon <strong>de</strong><br />

poétique : la recréation du réel la plus convaincante est celle qui respecte les faits.<br />

Lorsqu’il décrit une sculpture représentant le bain <strong>de</strong> Diane, en disant que les

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