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Le livre de sable

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— Parfaitement, Dufour. Cela te suffit ?<br />

— Non, répondit-il. Ces preuves ne prouvent rien. Si je suis<br />

en train <strong>de</strong> vous rêver, il est naturel que vous sachiez ce que je<br />

sais. Votre catalogue prolixe est tout à fait vain.<br />

L’objection était juste. Je lui répondis :<br />

Si cette matinée et cette rencontre sont <strong>de</strong>s rêves, chacun <strong>de</strong><br />

nous <strong>de</strong>ux doit penser qu’il est le rêveur. Peut-être cesseronsnous<br />

<strong>de</strong> rêver, peut-être non.<br />

Entre-temps nous sommes bien obligés d’accepter le rêve<br />

tout comme nous avons accepté l’univers et comme nous<br />

acceptons le fait d’avoir été engendrés, <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r avec les<br />

yeux, <strong>de</strong> respirer.<br />

— Et si le rêve se prolongeait ? dit-il avec anxiété.<br />

Pour le calmer et me calmer moi-même, je feignis un aplomb<br />

qui assurément, me faisait défaut. Je lui dis :<br />

— Mon rêve a déjà duré soixante-dix ans. En fin <strong>de</strong> : compte,<br />

quand on se souvient, on ne peut se retrouver qu’avec soimême.<br />

C’est ce qui est en train <strong>de</strong> nous arriver, à ceci près que<br />

nous sommes <strong>de</strong>ux. Ne veux-tu pas savoir quelque chose <strong>de</strong><br />

mon passé, qui est l’avenir qui t’attends ?<br />

Il acquiesça sans dire un mot. Je continuai, un peu perdu.<br />

— Mère est en pleine forme, dans sa maison, au coin <strong>de</strong><br />

Charcas et <strong>de</strong> Maipu, à Buenos Aires, mais Père est mort <strong>de</strong>puis<br />

une trentaine d’années. Il est mort d’une maladie <strong>de</strong> cœur. Une<br />

crise d’hémiplégie l’a emporté, sa main gauche posée sur sa<br />

main droite était comme la main d’un enfant sur celle d’un<br />

géant. Il est mort avec l’impatience <strong>de</strong> mourir, mais sans une<br />

plainte. Notre grand-mère était morte dans la même maison.<br />

Quelques jours avant la fin, elle nous avait fait venir auprès<br />

d’elle et elle nous avait dit : « Je suis une très vieille femme qui<br />

est en train <strong>de</strong> mourir très lentement. Que personne ne s’affole<br />

d’une chose aussi commune et aussi banale. » Norah, ta sœur,<br />

s’est marié et a <strong>de</strong>ux garçons. À propos, comment vont-ils à la<br />

maison ?<br />

— Bien. Père, toujours avec ses plaisanteries contre la foi.<br />

Hier soir il nous a dit que Jésus était comme les gauchos qui ne<br />

veulent jamais se compromettre, et que c’est pour cela qu’il<br />

prêchait par paraboles.<br />

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