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Le livre de sable

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crains que ma fainéantise et une certaine maladresse ne<br />

m’obligent, plus d’une fois, à commettre <strong>de</strong>s erreurs.<br />

Peu importent les dates précises. Rappelons que je débarquai<br />

<strong>de</strong> Santa Fe, ma province natale, en 1899. Je n’y suis jamais<br />

retourné ; je me suis habitué à Buenos Aires, une ville qui ne<br />

m’attire pas, comme on s’habitue à son corps ou à une vieille<br />

infirmité. Je prévois, sans y attacher gran<strong>de</strong> importance, que je<br />

mourrai bientôt ; je dois, par conséquent, refréner ma manie <strong>de</strong><br />

la digression et presser un peu mon récit.<br />

<strong>Le</strong>s années ne modifient pas notre essence, si tant est que<br />

nous en ayons une ; l’élan qui <strong>de</strong>vait me conduire un soir au<br />

Congrès du Mon<strong>de</strong> fut le même qui m’avait d’abord amené à<br />

entrer à la rédaction <strong>de</strong> Ultima Hora. Pour un pauvre jeune<br />

homme <strong>de</strong> province, <strong>de</strong>venir journaliste peut être un <strong>de</strong>stin<br />

romantique, tout comme un pauvre jeune homme <strong>de</strong> la capitale<br />

peut trouver romantique le <strong>de</strong>stin d’un gaucho ou d’un péon <strong>de</strong><br />

ferme. Je ne rougis pas d’avoir voulu être journaliste, métier qui<br />

aujourd’hui me paraît trivial. Je me souviens d’avoir entendu<br />

dire à Fernan<strong>de</strong>z Irala, mon collègue, que ce que le journaliste<br />

écrit est voué à l’oubli alors que son désir était <strong>de</strong> laisser trace<br />

dans les mémoires et dans le temps. Il avait déjà ciselé<br />

(l’expression était couramment employée) certains <strong>de</strong>s sonnets<br />

parfaits qui <strong>de</strong>vaient figurer par la suite, avec quelques légères<br />

retouches, dans son recueil Marbres.<br />

Je ne puis dire à quel moment précis j’entendis parler pour la<br />

première fois du Congrès.<br />

Ce fut peut-être le soir <strong>de</strong> ce jour où le caissier me régla mon<br />

premier salaire mensuel et où, pour fêter cet événement qui<br />

prouvait que Buenos Aires m’avait accepté, j’invitai Irala à dîner<br />

avec moi. Il déclina mon offre, me disant qu’il <strong>de</strong>vait<br />

absolument se rendre au Congrès. Je compris tout <strong>de</strong> suite qu’il<br />

ne faisait pas illusion au prétentieux édifice à coupole qui se<br />

trouve au bout d’une avenue habitée par <strong>de</strong>s Espagnols, mais<br />

bien à quelque chose <strong>de</strong> plus secret et <strong>de</strong> plus important. <strong>Le</strong>s<br />

gens parlaient du Congrès, certains en s’en moquant<br />

ouvertement, d’autres en baissant la voix, d’autres encore avec<br />

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