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<strong>Le</strong> disque<br />
Je suis un bûcheron. Peu importe mon nom. La cabane où je<br />
suis né et dans laquelle je mourrai bientôt est en bordure <strong>de</strong> la<br />
forêt. Il paraît que cette forêt va jusqu’à la mer qui fait tout le<br />
tour <strong>de</strong> la terre et sur laquelle circulent <strong>de</strong>s maisons en bois<br />
comme la mienne. Je n’en sais rien ; je n’ai jamais vu cela. Je<br />
n’ai pas vu non plus l’autre bout <strong>de</strong> la forêt. Mon frère aîné,<br />
quand nous étions petits, me fit jurer avec lui d’abattre à nous<br />
<strong>de</strong>ux la forêt tout entière jusqu’à ce qu’il ne reste plus un seul<br />
arbre <strong>de</strong>bout. Mon frère est mort et maintenant ce que je<br />
cherche et que je continuerai à chercher, c’est autre chose. Vers<br />
le Ponant court un ruisseau dans lequel je sais pêcher à la main.<br />
Dans la forêt, il y a <strong>de</strong>s loups, mais les loups ne me font pas peur<br />
et ma hache ne m’a jamais été infidèle. Je n’ai pas fait le compte<br />
<strong>de</strong> mes années. Je sais qu’elles sont nombreuses. Mes yeux n’y<br />
voient plus. Dans le village, où je ne vais pas parce que je me<br />
perdrais en chemin, j’ai la réputation d’être avare mais quel<br />
magot peut bien avoir amassé un bûcheron <strong>de</strong> la forêt ?<br />
Je ferme la porte <strong>de</strong> ma maison avec une pierre pour que la<br />
neige n’entre pas. Un après-midi, j’ai entendu <strong>de</strong>s pas pesants<br />
puis un coup frappé à ma porte. J’ai ouvert et j’ai fait entrer un<br />
inconnu. C’était un vieil homme, <strong>de</strong> haute taille, enveloppé dans<br />
une couverture élimée. Une cicatrice lui barrait le visage. Son<br />
grand âge semblait lui avoir donné plus d’autorité sans lui<br />
enlever ses forces, mais je remarquai toutefois qu’il <strong>de</strong>vait<br />
s’appuyer sur sa canne pour marcher. Nous avons échangé<br />
quelques propos dont je ne me souviens pas. Il dit enfin :<br />
— Je n’ai pas <strong>de</strong> foyer et je dors où je peux. J’ai parcouru tout<br />
le royaume anglo-saxon.<br />
Ces mots convenaient à son âge. Mon père parlait toujours<br />
du royaume anglo-saxon ; maintenant les gens disent<br />
l’Angleterre.