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plus courte. Il me <strong>de</strong>manda pourquoi. Je lui répondis que <strong>de</strong><br />
mon poing à son cœur la distance était la même. Sur une rive <strong>de</strong><br />
la mer Noire se trouve l’épitaphe runique que je gravai pour<br />
mon compagnon <strong>Le</strong>if Arnarson. J’ai combattu avec les Hommes<br />
Bleus <strong>de</strong> Serkland, les Sarrasins. Au cours du temps j’ai été<br />
plusieurs personnes, mais ce tourbillon ne fut qu’un long rêve.<br />
L’essentiel était la Parole. Il m’arriva <strong>de</strong> douter d’elle.<br />
Je me dis et redis qu’il était absur<strong>de</strong> <strong>de</strong> renoncer à ce jeu<br />
magnifique qui consiste à combiner entre eux <strong>de</strong>s mots<br />
magnifiques et que se mettre en quête d’un mot unique, peutêtre<br />
illusoire, était insensé. Ce raisonnement fut vain. Un<br />
missionnaire me proposa le mot Dieu, que je rejetai. Un certain<br />
matin, au bord d’un fleuve s’élargissant en mer, je crus avoir<br />
enfin la révélation <strong>de</strong> ce que je cherchais.<br />
Je retournai au pays <strong>de</strong>s Urniens, où j’eus du mal à retrouver<br />
la maison du chanteur.<br />
J’entrai et dis mon nom. La nuit était tombée. Thorkelsson,<br />
du sol où il gisait, me dit d’allumer une grosse bougie au<br />
chan<strong>de</strong>lier <strong>de</strong> bronze. Son visage avait tellement vieilli que je ne<br />
pus m’empêcher <strong>de</strong> penser que moi aussi j’étais maintenant un<br />
vieillard. Comme il est d’usage, je lui <strong>de</strong>mandai <strong>de</strong>s nouvelles <strong>de</strong><br />
son roi. Il me répondit :<br />
— Il ne s’appelle plus Gunnlaug. Maintenant son nom est<br />
différent. Raconte-moi tous tes voyages.<br />
Je m’exécutai du mieux que je pus et lui donnai force détails<br />
que j’omets ici. Il m’interrompit avant que j’aie terminé :<br />
— As-tu beaucoup chanté dans tous ces pays ?<br />
Sa question me prit au dépourvu.<br />
— Au début, lui dis-je, j’ai chanté pour gagner mon pain. Par<br />
la suite, une peur inexplicable m’a fait abandonner le chant et la<br />
harpe.<br />
— C’est bien, acquiesça-t-il. Tu peux continuer ton récit.<br />
J’obéis à son ordre. Puis il y eut un long silence.<br />
— Qu’as-tu reçu <strong>de</strong> la première femme qui s’est donnée à<br />
toi ? me <strong>de</strong>manda-t-il.<br />
— Tout, lui répondis-je.<br />
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