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Le livre de sable

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Elle avait déjà ôté son peignoir. Je m’allongeai près d’elle et<br />

cherchai son visage avec mes mains. Je ne sais combien <strong>de</strong><br />

temps passa. Il n’y eut pas un mot ni un baiser. Je lui défis sa<br />

tresse et jouai avec ses cheveux, qui étaient très lisses, et ensuite<br />

avec elle. Nous ne <strong>de</strong>vions plus nous revoir et je ne sus jamais<br />

son nom.<br />

Une détonation nous fit sursauter. La Captive me dit :<br />

— Tu peux sortir par l’autre escalier.<br />

C’est ce que je fis, et je me retrouvai dans la rue en terre<br />

battue. Il y avait clair <strong>de</strong> lune. Un sergent <strong>de</strong> la police, avec un<br />

fusil, la baïonnette au canon, surveillait le mur. Il rit et me dit :<br />

— À ce que je vois, tu es <strong>de</strong> ceux qui se lèvent <strong>de</strong> bonne<br />

heure.<br />

Je dus répondre quelque chose, mais il n’y prêta pas<br />

attention. <strong>Le</strong> long du mur un homme se laissait glisser.<br />

D’un bond, le sergent lui cloua sa lame d’acier dans le corps.<br />

L’homme roula au sol où il resta étendu sur le dos, gémissant et<br />

perdant son sang. Je me souvins du petit chien. <strong>Le</strong> sergent, pour<br />

l’achever une bonne fois, lui redonna un coup <strong>de</strong> baïonnette.<br />

Avec une sorte d’éclat <strong>de</strong> joie, il lui lança :<br />

— Aujourd’hui, Moreira, ça t’aura servi à rien <strong>de</strong> prendre la<br />

fuite.<br />

De tous côtés accoururent les hommes en uniforme qui<br />

avaient cerné la maison, puis vinrent les voisins. Andrés Chirino<br />

eut du mal à extraire l’arme du corps. Tous voulaient lui serrer<br />

la main. Rufino dit en riant :<br />

— Il a fini <strong>de</strong> crâner, ce dur !<br />

J’allais <strong>de</strong> groupe en groupe, racontant aux gens ce que<br />

j’avais vu. Soudain, je me sentis très fatigué ; peut-être avais-je<br />

<strong>de</strong> la fièvre. Je m’éclipsai, j’allai chercher Rufino et nous<br />

rentrâmes. Nous chevauchions encore quand nous aperçûmes<br />

les blancheurs <strong>de</strong> l’aube. Plus que fatigué, je me sentais étourdi<br />

par un tel flot d’événements. »<br />

— Par le grand fleuve <strong>de</strong> cette nuit-là, dit mon père.<br />

L’autre acquiesça :<br />

— C’est vrai. Dans le bref espace <strong>de</strong> quelques heures j’avais<br />

connu l’amour et j’avais vu la mort. À tous les hommes il arrive<br />

que toute chose soit révélée ou, du moins, tout ce qu’il est donné<br />

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